La toute premi�re image que j'ai de la psychiatrie date de fin octobre 1968. La fi�vre des �v�nements �tait quelque peu retomb�e. Nous avions pass� nos examens en septembre. Pour �viter tout remous, on avait demand� aux profs de recevoir tout le monde. Les oraux avaient �t� incroyablement faciles. Des examinateurs, r�put�s de vraies peaux de vache, qui, lors des c�l�bres "colles des agr�g�s" d'avant mai vous retournaient sadiquement sur le gril et vous trouvaient toujours une question � laquelle il �tait impossible de r�pondre, comme la description d�taill�e des insertions sur l'os pisiforme par exemple, et vous recalaient en vous traitant de pure nullit�, se mettait soudain � vous poser des questions dont on trouvait la r�ponse dans les manuels de science naturelle des �l�ves de sixi�me. Nous n'osions pas y croire. Nous ne reconnaissions plus, dans ces examinateurs bienveillants et pleins d'encouragements, appliquant cyniquement les consignes, les ma�tres hautains et m�prisants qui avaient sem� la terreur les deux premi�res ann�es. Nous r�pondions des �vidences du bout des l�vres, persuad�s qu'on nous tendait un pi�ge et que nous allions chuter � la question suivante, qui ne venait pas car nous �tions d�j� d�clar�s re�us, incr�dules. La grande victoire de mai, en m�decine, avait �t� "l'externat pour tous", c'est-�-dire le droit � une formation pratique pour tous, ce qui, avant Mai 1968, n'avait jamais �t� �vident. Jusque-l�, on pouvait passer avec succ�s tous ses examens, devenir m�decin, sans avoir jamais examin� vraiment un seul malade, et avoir �t� form� uniquement dans les livres (Mai 68 a �t� la vraie fin des m�decins de Moli�re). Il y avait donc les bons m�decins, ceux qui avaient le potentiel pour devenir professeurs, et qui avaient pass� les concours, l'externat et l'internat ( "L'externe est debout quand l'interne est couch�": c'est le moyen mn�motechnique pour se souvenir de la position des ligaments du genou) et qui pouvaient s'exercer sur de vrais patients, sous la tutelle de leurs a�n�s, et les mauvais m�decins qu'on lan�ait dans la carri�re, sans aucune exp�rience, tout juste bon � soigner les rhumes et les cors aux pieds, mais qui se formaient tout de m�me sur le tas, permis d'exercer en poche, avec la terreur perp�tuelle, directement li�e au sadisme de leurs ma�tres, de tuer leurs premiers patients. Il y avait r�ellement une aristocratie et une pl�be m�dicale. On doit � Mai 68 d'avoir tent� et � peu pr�s r�ussi � niveler tout cela. Il avait donc fallu consid�rablement augmenter les postes d'externes (on ne disait plus externes, qui �tait un titre, le premier �chelon de l'aristocratie, mais "�tudiants hospitaliers"). Les grands CHU, les grandes facs, ont donc �t� oblig�es de passer des conventions avec tout un tas d'h�pitaux consid�r�s jusque l� comme de seconde zone qu'on appelait aussi "p�riph�riques" et qui n'avait jamais b�n�fici� de la moindre consid�ration universitaire. L'h�pital de Corbeil-Essonnes �tait un de ces vieux hospices, cr�e � la fin du XIX�me si�cle, gr�ce aux dons de deux industriels, les fr�res Galiganni. Il dressait ses sinistres b�tisses sur une colline qui surplombait la Seine, un peu en dehors de la ville, qui vivait de ses minoteries (les grands moulins de Corbeil), de ses papeteries (D'arblay), de ses imprimeries (H�liogravure) et de son port fluvial, et dont l'histoire avait �t� faite par les grands patrons paternalistes et les luttes ouvri�res. De Corbeil, je n'avais, moi, que le souvenir d'une ville grise et quelconque, travers�e par
la nationale sept que chantait Charles Trenet et que nous empruntions, entass�s dans la 203 familiale, au milieu des embouteillages des d�parts en vacances vers le midi, bien avant la construction de l'autoroute du Sud.
On nous avait donc r�uni dans cette vielle salle de la Salpetri�re, trop petite et rapidement enfum�e. On avait tir� une lettre au sort : le "h" �tait sorti. j'�tais donc parmi les derniers � choisir. Il ne restait plus aucun poste dans les services parisiens. Je choisis donc, sans aucun enthousiasme, la neurologie � Corbeil, plut�t que la g�riatrie � Monfermeil ou la r��ducation fonctionnelle � Juvisy, et me pr�parait � un triste exil au bout des lignes de trains de banlieue qui ne s'appelaient pas encore des RER. Je me souviens de mon arriv�e � l'h�pital de Corbeil par un matin d'octobre froid et brumeux. Je suis all� me pr�senter � l'administration ou je rencontrai une sorte d'adjudant tout � fait antipathique qui m'envoya sans le moindre mot de bienvenue chercher une blouse � la lingerie parce que j'�tais d�j� en retard. l'h�pital �tait une sorte de chaos architectural : il y avait les b�timents originels, autour de la cour d'honneur, en briques, fa�on caserne, avec des hauteurs de plafonds d�mesur�es et des escaliers trop sonores, avec les services de "m�decine homme" et "m�decine femme", de part et d'autre du b�timent administratif, la chirurgie et la maternit�, derri�re, autour d'un cour sombre, sous le mur d'enceinte, rien que des salles communes de trente lits au moins et m�me dans les combles glaciales en hiver et surchauff�es en �t�, le sinistre service Jauzon o� officiaient encore les derni�res religieuses en cornette, et il y avait les extensions, les rajouts b�tonn�s, d�pareill�s et anarchiques rendus n�cessaires au fil des ann�es par une augmentation pas du tout ma�tris�e de l'activit�. Ainsi la lingerie se trouvait, pas tr�s loin de la cuisine, elle-m�me hideux appendice de b�ton, au bout d'un d�dale de couloirs, d'escaliers et de portes mal ajust�es. J'y re�us une blouse aux manches courtes, trop longue et sans formes, un manteau r�glementaire en gros drap bleu marine et un jeu de ces tabliers qui nous faisaient ressembler � des apprentis bouchers. j'enfilai cet accoutrement, mettait mon st�thoscope en �charpe, pour �tre s�r de ne pas �tre confondu avec un brancardier, et me h�tai vers la neurologie o� la visite avait certainement d�j� commenc�. Je traversai � nouveau la cour d'honneur toujours aussi d�serte et triste, descendis quelques marches, longeait le b�timent de pneumologie, qu'on appelait LBH, je ne sais plus pourquoi, peut-�tre �taient-ce les initiales d'une c�l�brit� de la sp�cialit�, et qui �tait, quant � lui, d'une r�elle beaut�, avec ses grandes verri�res orient�es vers le levant, autrefois d�di�es aux chaises longues des tuberculeux (c'est celui qui, vingt-cinq ans plus tard, l�g�rement remani� et repeint, deviendra le service d'hospitalisation psychiatrique que nous avions tant combattu.) Ce qui faisait office de vague parc disparaissait sous un brouillard opaque que l'humidit� du fleuve tout proche entretenait. Je distinguais au loin deux baraquements sinistres qui se faisaient face. Jamais on ne se serait cru dans un h�pital. Je m'approchai, le coeur commen�ant � me remonter dans la gorge, de ce qui ressemblait plut�t � un Stalag ou un Lager. L'un des baraquements �tait le Chalet, et l'autre la Neuro. La Neuro n'avait de neurologique que le nom, c'�tait en fait un service dit de "moyen s�jour", dirig� certes par un neurologue, le docteur M*-M*, mais qui en fait �tait l'annexe de la maison de retraite, avec des petits vieux encore plus mal en point ou au bord de la mort. Je poussai la porte et p�n�trai dans un hall qui donnait sur deux immenses salles communes, l'une d'hommes et l'autre de femmes. une chaleur moite, charg�e de miasmes me sauta au visage et une odeur de merde et de soupe m�lang�es, que jamais je n'oublierai, m'emplit les narines, odeur dont inexplicablement j'ai encore la nostalgie comme celle de mes vingt ans � tout jamais enfuis.
La visite avait d�j� parcouru et quitt� la Neuro, je courus la rattraper au Chalet qui �tait aussi dirig� par le m�me chef de service, M*-M*. Il avait connu son heure de gloire autrefois, disait-on, en terminant premier de l'internat de Paris. Le fait qu'il ait �chou� � Corbeil, petit h�pital de banlieue perdue, �tait d'ailleurs suspect, par d�finition. J'appris plus tard qu'il souffrait de psychose maniaco-d�pressive qui frappe sans distinction de classe ni de race et qui avait g�ch� une carri�re promise � de plus hauts sommets. En attendant il faisait la visite au Chalet. Seul ma�tre � bord apr�s dieu. Il " faisait la visite ", comme les grands patrons dans les services parisiens, avec une �vidente nostalgie, obligeant tout le service � le suivre, un peu comme Robinson Cruso� sur son �le quand il force Vendredi � mimer la rel�ve de la garde, avec la certitude qu'en maintenant co�te que co�te la forme du c�r�monial il retrouverait un jour la vieille Albion. C'�tait un homme de la quarantaine, imposant, le visage sanguin orn� d'un bouc couleur de corbeau, engonc� dans un sarrau et un tablier blanc. Il ressemblait, lui, plus � un sapeur qu'� un commis boucher, un peu � cause de la barbe. Une autre "victoire" de mai 68 avait �t� la s�paration de la neurologie et de la psychiatrie en tant que sp�cialit�s m�dicales distinctes. Mais, � cette �poque la plupart des neurologues �taient encore neuropsychiatres et soignaient indiff�remment les syndromes c�r�belleux, les maladies de Parkinson, les polyn�vrites alcooliques, les sciatiques, les m�lancolies stuporeuses, les troubles du caract�re et les bouff�es d�lirantes aigu�s. Au Chalet, horrible baraquement pr�fabriqu�, il y avait les fameuses " cellules " dont Bonnaf� parlera plus tard apr�s les avoir glorieusement abolies. Mais personne ne savait encore que Bonnaf� allait jeter son d�volu sur Corbeil pour y mettre en pratique ses id�es sur la psychiatrie de secteur. C'�tait encore trois ans avant. Je rejoignis aussi discr�tement que possible la maigre file de blouses blanches qui suivait le patron dans un couloir nu sur lequel donnait six lourdes portes qu'on ouvrait une � une en tirant un gros loquet apr�s avoir jet� un coup d'oeil � travers le judas. Trois ou quatre �taient occup�es par les prises de la nuit. M*-M*, form� � l'�cole de la neurologie fran�aise, faisait la le�on, dans la grande tradition des pr�sentations de malades, � un auditoire indiff�rent et mal r�veill�, en traquant les signes de la folie des pauvres bougres enferm�s l�, qui n'avaient pratiquement aucune chance de s'en tirer et allaient in�vitablement se retrouver envoy�s, pour ne pas dire d�port�s, � cent cinquante kilom�tres de l�, � l'h�pital psychiatrique de Clermont de l'Oise (Le centre psychoth�rapique Barth�lemy Durand, � Etampes, dernier des h�pitaux-villages construits n'ouvrira qu' en 1971, deux ans plus tard.) Je m'en souviens comme si c'�tait hier. Les cellules �taient nues et leurs occupants en pyjamas r�glementaires. Il n'y avait ni eau ni commodit�s hormis un seau � couvercle. On s'engouffrait dans la cellule, le " malade " se levait de son grabat impressionn� par le nombre et le d�corum. Le chef de service, proc�dait imm�diatement � son interrogatoire avec une politesse convenue. Il lui demandait pourquoi il �tait l�, le laissait � peine r�pondre et lui demandait alors, � br�le pourpoint, s'il entendait des voix ou s'il �tait triste, ou encore s'il buvait depuis longtemps, c'�tait selon. Cela d�pendait de son allure. De toute fa�on, on trouvait toujours un signe pathognomonique. Syphilis, alcoolisme, d�g�n�rescence, h�r�dit�. Et on ressortait, on refermait la porte, le patron faisait un bref commentaire, donnait ses ordres et on passait � la cellule suivante. C'�tait il y a juste un peu plus de trente ans, c'�tait hier. Je me souviens d'un homme d�j� �g� dans la derni�re cellule, debout au garde � vous, grand, d�passant le patron d'une t�te, les yeux fix�s au plafond, la t�te rejet�e en arri�re, agit� d'un tremblement de tout le corps. Le patron lui demande si c'est de froid. L'autre r�pond : " non, c'est de joie, c'est de joie ". Il a l'accent alsacien, il prononce " c'est te choie ". Il me fait penser � Mongrandp�re, avec sa grande taille et son accent, et j'ai les larmes qui me montent aux yeux. Je revois Mongrandp�re attach� � son lit, se d�battant, agit�, perdu, confus apr�s un accident vasculaire c�r�bral, me demandant de le ramener � la maison en alsacien, m'engueulant de ne pas le faire en fran�ais et moi qui pleure de ne pas le faire dans une salle commune de l'H�tel Dieu avant que je m'enfuie, �pouvant�. C'�tait cette ann�e l�, il est mort, apais�, apr�s son retour � la maison, quelques semaines plus tard. La visite est termin�e. Je me retrouve � l'air libre. Le brouillard s'est un peu d�chir�, il y a des lambeaux de ciel bleu. Je respire. Quelques jours plus tard, un camarade me demande de changer avec la chirurgie. Je saute sur l'occasion pour fuir le Chalet et les cellules. Je continuerai le semestre dans les salles d'op � tenir les �carteurs, pench� sur les entrailles des bless�s de l'autoroute du Sud.
Mais ma vraie premi�re rencontre avec la psychiatrie a lieu trois ans plus tard. Cette fois ci, j'avais pu choisir mon lieu de stage, quel que fut la lettre tir�e au sort, car d�j� � l'�poque, la psychiatrie ne s'arrachait pas. L'h�pital de Moisselles �tait pratiquement la seule entreprise de cette petite ville situ�e loin au Nord de Sarcelles, et � l'Ouest de Montmorency, � l'endroit incertain o� la banlieue s'effiloche dans la campagne, avec cet �trange assemblage de cit�s, de champs de bl� ou de colza et d'usines de produits chimiques. C'�tait un h�pital pavillonnaire classique, avec cours et galeries. La circulaire de mille neuf cent soixante sur la mixit�, �dict�e dix ans plus t�t, n'avait pas atteint cette banlieue recul�e : Moisselles �taient un h�pital de femmes, uniquement. A vrai dire, � cette �poque peu d'h�pitaux psychiatriques �taient mixtes, m�me plus pr�s de Paris. Je me souviens par exemple de Maison Blanche pour les femmes et de Ville Evrard pour les hommes. En revanche, Barth�lemy Durand � Etampes, qui venait d'�tre construit, et Becheville aux Mureaux, encore plus r�cent, ont �t� mixtes d'embl�e. J'allais � Moisselles en voiture. Il fallait, depuis le quartier latin, traverser tout Paris pour rejoindre la porte de la Chapelle et l'autoroute du Nord. Je me souviens du franchissement du Pont au Change � l'aube par les beaux jours d'hiver, le chatoiement du soleil sur la blancheur bleut�e du givre qui recouvre tout, la Seine, les quais et l'enfilade des ponts : un enchantement. Sur le parking � Moisselles, en sortant de mon Ami 6 jaune p�le, je distingue une silhouette errant parmi les voitures gar�es. C'est Guiguitte. Elle est grise des pieds � la t�te. Elle porte une blouse terne comme ses cheveux raides et son regard d�lav�. Elle a l'air toujours effray� et perplexe, elle fait mine de s'avancer vers vous tout en gardant un p�rim�tre de s�curit�. On ne peut pas vraiment l'approcher. c'est la sentinelle de Moisselles. Elle est toujours l�, muette, plus personne ne conna�t son histoire qui se confond avec le temps fig� de l'asile. Elle para�t soixante ans, mais elle en a peut-�tre beaucoup moins. Elle est maigre, cagneuse de partout, les jambes toujours nues avec des chaussettes qui godaillent. Elle se tient de profil, courb�e en avant, les mains jointes sur les genoux fl�chis, le visage tourn� vers vous et le regard vide. Chaque matin, sur le parking, � l'arriv�e des voitures, elle fait mine de s'avancer vers chacun, comme pour un accueil rejetant et d�s qu'on s'approche, elle bat en retraite, elle a ses cachettes. Depuis longtemps, elle ne parle qu'une langue qui n'appartient qu'� elle, faite de sons gutturaux, et que seuls les plus anciens soignants de Moisselles savent traduire. Guiguitte, c'est peut-�tre le diminutif de Marguerite. Peu apr�s, au bar, qui est � la fois un vrai bar et le centre socioculturel de l'h�pital et o� se retrouvent soignants et soign�s pour les assembl�es g�n�rales ou les f�tes, je suis soumis � une sorte de rite initiatique : la rencontre avec Kiki. Ce pr�nom-l� est aussi un diminutif, celui de Christine, peut-�tre, qui s'est perdu dans la nuit des temps. Kiki est l'autre patiente embl�matique de Moisselles. Elle est l'exact oppos�e de Guiguitte. Elle a autour de vingt ans. Elle a les cheveux blonds comme les bl�s, elle p�se cent vingt ou cent trente kilos, elle ne sait pas parler. Elle est toujours nue et rose sous une chemise blanche, une camisole devrait-on dire, si nous n'�tions pas dans un asile, elle ne peut conserver sur elle aucun autre v�tement, pas m�me un pull au plus dur de l'hiver. Elle est toujours en nage, �chevel�e, couverte de taches ind�finissables. D�s qu'elle vous voit, elle court vers vous et vous agrippe, vous enserre de ses �normes bras, vous �touffe sous ses gros seins et vous donne des baisers baveux tout en vous tirant les cheveux. Une grande partie de vos efforts de la journ�e tend � �viter les d�monstrations d'affection de Kiki qui tournent souvent � l'acc�s de col�re. Mais, en ce premier matin, je ne peux me d�rober. Je viens de commander un caf� et me suis install� sur un tabouret en regardant partout autour de moi. il y a des tables avec des consommateurs, comme dans n'importe quel caf�. Certains sont des soignants, d'autres les patientes. On m'a pr�sent� comme le nouvel externe. L'accueil a �t� simple et chaleureux. Tous les nouveaux arrivants viennent me serrer la main, certaines me demandent une cigarette ("vous �tes un nouveau m�decin ?" -"Non, je suis le nouvel externe, je m'appelle Francis" - "Bonjour, moi c'est une telle, etc.") Une furie fait irruption. C'est Kiki. Elle se rue vers moi, grimpe sur le tabouret le plus proche du mien et se met � me tripoter partout. On me pr�sente : "C'est Kiki. Dis bonjour � l'externe, Kiki". Elle a d�j� la main dans mon pantalon, je ne sais pas si je dois me d�fendre ou subir avec le sourire. On me rassure : "Elle est toujours comme �a, surtout avec les nouveaux." Ah, bon. Me voil� rassur�. Son autre main est agripp�e � une touffe de mes cheveux. J'ai le plus grand mal � la faire l�cher et � me d�gager. Avec le sourire, donc. J'ai le sentiment que la sc�ne a �t� attentivement observ�e. Ai-je pass� le test avec succ�s ? Kiki engloutit une tasse de lait br�lant et quitte le bar en se ruant derri�re une infirmi�re. Moi, je me sens bien, l�. Il fait bon, Il y a une odeur de caf� au lait. il r�gne maintenant un grand calme une solidarit� bienveillante. On me fait des sourires, il y a des bruit de vaisselle et de voix tranquilles. Je sais que je vais rester longtemps � Moisselles. En me souvenant de ces instants je pense � une phrase de Maurice B�reau, des ann�es plus tard lors de nos conversations sur l'accueil : "Quand je suis au milieu des autistes, je ne bouge plus. Je ne veux pas les d�ranger, au contraire. J'ai envie de me figer dans un calme absolu et d�finitif, comme eux. C'est comme une paralysie irr�pressible et reposante. Une envie de ne plus rien faire du tout. Ca te change la perception du monde."