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31 décembre 2002

On voudrait en faire la photo, on n'y parviendrait pas, m�me avec l'appareil le plus sophistiqu�. Pas m�me un dessin. Encore moins une peinture. Ce que je suis en train de regarder, on ne peut pas le reproduire. Il n'y a probablement que les mots qui ne sont pas trop tra�tres pour le faire. Magritte s'y est pourtant essay�, il y a m�me un tableau c�l�bre qui fait la fortune des vendeurs de posters, mais, il faut bien le dire, Magritte, malgr� ses bonnes id�es, �tait un mauvais peintre. Je viens d'�teindre la lumi�re. Il est une heure du matin. Allong�, je vois, en face de moi la fen�tre de ma chambre. Je ne ferme ni les rideaux ni les volets, jamais. La nuit �claire la chambre. La fen�tre est comme le cadre d'un tableau que j'aime regarder d�s que j'�teins la lumi�re. En g�n�ral la nuit est blanche, par contraste avec l'obscurit� de la pi�ce. Elle d�coupe l'ombre des objets pos�s sur le bureau en une sorte de skyline sombre. C'est d'ailleurs pour �a que j'ai pos� sur mon imprimante une tour Eiffel gonflable achet�e chez "Why" un dimanche apr�s midi de ballade avec Nathan dans le Marais. Il y a aussi les contours que font la masse de l'ordinateur cr�nel�e par les photos fix�es autour de l'�cran et la silhouette effil�e de la lampe. La nuit est blanche quand le ciel est pur, sans nuage, d'un blanc qu'on peut � juste titre qualifier de blafard, c'est � dire parfaitement mat, qui brille par l'absence de tout �clat. Elle est encore plus blanche, perdant quelque peu de cette matit�, si le ciel est couvert. C'est un effet d'optique connu. Mais, ce soir, la vision est magique : Il y a de gros nuages blancs, rondouillards et paresseux qui tapissent le ciel, sur un arri�re fond de la vraie couleur de la vraie nuit, pour une fois : violet fonc�, pas bleu nuit, zinzolin, pr�cis�ment. Ces gros patapoufs de nuages semblent immobiles. On dirait qu'ils ont surgi l�, subrepticement, pendant que je me pr�parais au coucher. Ils me regardent b�tement, � travers la fen�tre. Comme l'ombre n'est d�cid�ment pas propice aux ombres port�es, on n'a aucune impression de volume ni de relief. Tout est plat. On ne peut pas savoir quelle couleur est appliqu�e sur l'autre : les grosses taches blanches pos�es � la mani�re noire sur le fond violet fonc� de la nuit ou, � l'inverse, le violet fonc� de la nuit d�goulinant joliment sur un fond de blanc mat. C'est tellement �trange et tellement beau que je me suis lev�, in petto, et que j'ai rallum� l'ordinateur. Je viens de taper ces lignes, dans le noir. Au moment ou je rel�ve la t�te, juste maintenant, tout est fini. Les nuages se sont dispers�s. Il y a, sur le fond redevenu uniform�ment gris de la nuit (o� tous les chats sont gris), une grande strie oblique et laiteuse qui n'est pourtant pas la voie lact�e.

23 décembre 2002

C'est tr�s beau. C'est tres hard, mais c'est tr�s beau, mais c'est tr�s hard, mais c'est tr�s beau, bon, je vous aurai pr�venus !

22 décembre 2002

Imre Kertezs parle de matzhas �miett�s dans du caf� au lait...Les "matzs". Chez nous, on disait "les matzs" et non les "matzots" comme il aurait fallu. On disait aussi "des" matzs et non "du" matz, ni "de la" matzah. Pain azyme �miett� dans une tasse de caf� au lait, le matin, avant de partir � l'�cole. Pas tous les jours. Surtout les jours autour de Pessah (les autres matins de l'ann�e nous trempions plus banalement tartines et biscottes). Mais pas uniquement autour de Pessah. Notre m�re, certains dimanches soirs, par exemple, apr�s une apr�s-midi pass�e "aux jonquilles" dans la for�t de S�nart, disait que, ce soir-l�, elle ne ferait pas le d�ner, elle profiterait de la journ�e de repos jusqu'au bout, elle se conterait bien d'une tasse de caf� au lait avec des "matzs". Nous n'avions, nous les enfants, pas droit au caf� au lait le soir. Cela n'aurait d'ailleurs pas �t� consid�r� comme assez nourrissant, surtout apr�s avoir pris l'air : elle envoyait notre p�re, mais souvent c'est nous qui demandions ce d�ner de f�te, chercher du Picklefleish, du gehacte lieber, du galeh, toutes sortes de plats caschers froids, des p�tisseries, des tranches de Strudel au pavot, rue des Rosiers, chez Goldemberg ou chez Finkieljahn. C'�tait comme ��, quand on voulait rompre la monotonie des jours, se laisser aller un peu, tra�nasser, se faire une petite douceur, cela n'avait rien � voir avec Pessah : On se faisait un caf� au lait avec les matzs et on allait chercher des plats de chez Goldemberg, c'�tait comme la r�surgence d'une source qui coulait sous le sol, pas tr�s profond, sans aucune r�f�rence � un quelconque rituel. Mais les autres dimanches, et, m�me quasiment tous les autres soirs de la semaine, �'�tait jambon nouilles ou m�me c�te de porc charcuti�re et pas seulement steak frites ou navarin d'agneau, et le fromage suivait le plat de r�sistance dans la m�me assiette, au m�pris de toute prescription (je me souviens n�anmoins de cette phrase terrible de notre m�re qui expliquait d�finitivement les complications du rituel de la double vaisselle - fleishig et melshig : "On ne mange pas l'agneau dans le lait de sa m�re", je voyais alors un agneau mort noy� dans le sang de sa pauvre maman, saign�e � blanc, bien entendu, dont la d�pouille gisait � l'�cart). Nos parents n'�taient pas pratiquants. Manger casher, � la maison, �tait seulement un plaisir, en principe. Un plaisir dont nos parents estimaient qu'ils n'avaient pas � se priver. Du moins notre p�re. Pour notre m�re, �lev�e religieusement et croyante, c'�tait moins simple qu'elle voulait bien le dire. Pessah, � cause des matzs, �tait la seule f�te juive dont nous avions entendu parler � cette �poque. Le C�der, nous ne l'avons jamais c�l�br�. Notre marxiste de p�re en aurait �t� bien incapable (mais il se souvient de son propre p�re, d�j� communiste, ou plut�t membre du Bund, en Pologne, qui se souvenait du sien qui le c�l�brait). C'�tait les ann�es soixante. Il n'y avait pas encore d'�piciers arabes partout, sauf � Barbes, et si certains commen�aient � remplacer les Auvergnats, ils n'osaient pas tellement ouvrir le dimanche. Le dimanche, rue des Rosiers, c'�tait ouvert. Je parlerai plus tard de la charcuterie casher, peut-�tre, mais l�, juste maintenant, je ne veux pas oublier de dire que jusque dans les ann�es quatre-vingts, notre m�re, alsacienne, n'a fait la choucroute qu'� la juive, c'est-�-dire aux viandes cashers, et que c'�tait d�licieux, alors je le dis tout de suite. Pour en revenir aux matzs, je pourrais d�crire pr�cis�ment l'�miettement du pain azyme dans la tasse de caf�. D'ailleurs, j'ai longuement r�fl�chi : je vais le faire. Ce sont ces caf�s au lait-l� (ni trop forts ni trop blancs), ces miettes-l�, ces brisures-l�, ces morceaux, ces bouts de Mazots Rosinski-l�, fabriqu�es sous le contr�le du grand rabbinat et tout, fragiles et fines galettes gondol�es, rectangulaires et empil�es comme les pages d'un livre, qui pourraient, peut-�tre, par la bande, pour ainsi dire, faire que je passe pour juif � mes propres yeux. Je ne peux pas oublier ces gestes d�risoires d'�mietter consciencieusement, ou, au contraire, distraitement, du pain azyme dans mon caf� au lait, certains matins de fin d'hiver, avant de partir � l'�cole. Il ne s'agit pas de madeleine tremp�e dans du th� mais de matzs dans du caf� au lait, entendons-nous bien. Les tasses sont grandes, en fa�ence faux Gien blanc-cass�, un peu ventrues. Les petites cuill�res ne sont pas de grandes cuill�res � caf�, mais de petites cuill�res � dessert. Il y a parmi elles, rang�es dans un tiroir de la cuisine, celle-l� m�me dont se servait notre m�re quand elle-m�me �tait petite, avant la guerre, en argent, avec le poin�on, toute fine et toute l�g�re, un peu pointue au bout, us�e d'avoir tant servi. On peut penser qu'elle a fait l'exode de quarante, au milieu des baluchons et des piqu�s des Stukas, qu'elle est pass�e par Tassin la demi-Lune et qu'elle a connu l'occupation de la zone libre. C'est une petite cuill�re qui a droit � un certain respect et dont on a plaisir � se servir pour remuer le caf� au lait. Bien qu'elle appartienne � notre m�re, chacun s'en sert indistinctement quand il tombe dessus dans le tiroir. Mais, le dimanche soir, notre m�re aime bien se servir de sa cuill�re. En tapant ces lignes, un souvenir enfoui depuis pr�s de cinquante ans, qui a trait au caf� au lait, comme on va le voir, surgit "tout arm�" de ma m�moire : je revois notre p�re, en Marcel, mont� sur le tabouret de bois sombre � tiroir o� nous rangions le cirage et les chiffons � chaussures, fixer un Machine ant�diluvienneappareil m�nager au mur jaune de la cuisine (qui est encore, � l'�poque, une cuisine-salle de bain, au sens propre du terme, si j'ose dire, puisque qu'elle n'est qu'une seule et m�me pi�ce et que la baignoire jouxte la cuisini�re (souvenir dans le souvenir : la lessiveuse pos�e sur la cuisini�re exhale un bonne odeur de linge et le visage de notre m�re �merge � peine de la brume qui envahit toute la pi�ce pendant que mon fr�re et moi barbotons dans notre bain, au retour du jardin ; la vapeur se condense en d�goulinant sur les murs et les vitres de la fen�tre)) C'�tait un de ces moulins � caf� muraux � r�servoir de verre cannel� et manivelle qu'on ne voit plus que dans les brocantes, de nos jours. Image rare de notre p�re en bricoleur : il pr�f�rait faire confiance aux professionnels, comme il disait. D'ailleurs, jusqu'au moment o� il a fallu que je le fasse moi m�me, j'ai toujours cru que changer une ampoule au plafond �tait une v�ritable aventure ou, qu'au moins, cela demandait de solides comp�tences, surtout � cause du courant (changer les "plombs", qui �taient en plomb, �videmment, aussi). Les premiers morceaux de matzs flottaient � la surface, on pouvait en faire de tout petits radeaux, les faire naviguer et les ramasser � la cuill�re avant qu'ils soient compl�tement imbib�s. Puis, les morceaux s'ajoutant aux morceaux, ils commen�aient � tomber au fond de la tasse, faisant, selon le principe d'Archim�de, monter le niveau du caf� au lait jusqu'� le faire d�border. Un de nos jeux, si on peut employer ce mot, tant le geste �tait machinal, �tait de tenter d'�mietter une demi-galette de pain azyme (les galettes rectangulaires �taient facilement divisibles en deux suivant une ligne pointill�e par le fabricant, comme dans les d�coupages) dans la tasse sans faire d�border le caf�. C'�tait faisable : les derniers morceaux restaient pos�s au sec au-dessus des autres qu'ils �crasaient de leur poids et faisaient plonger plus profond. Restait � tasser doucement avec le dos de la cuill�re pour mouiller tout le pain azyme. Le r�sultat, outre qu'il �tait satisfaisant pour l'esprit, �tait d�licieux. Il y avait plusieurs couches de consistance diff�rentes et graduelles, du plus imbib�, du plus mou, presque de la cr�me, au fond, au plus croustillant, au plus croquant, � la surface. Le caf� au lait prenait un go�t de g�teau et les matzs celui de petits beurres. En jouant de la cuill�re, on pouvait ramener des morceaux de diff�rentes profondeurs, donc de diff�rentes consistances. Une autre technique consistait � ne pas saturer le caf� au lait en morceaux de matzs, mais de les laisser tremper plus ou moins longtemps jusqu'� la consistance d�sir�e, puis de les manger un par uns, en �vitant le plus possible de boire le caf�. Quand il n'y en avait plus, et que ne flottaient plus alors que de toutes petites miettes � la surface du liquide, on ajoutait alors au caf� au lait une nouvelle s�rie de morceaux de matzs qu'on mangeait � nouveau, et ainsi de suite, toujours sans boire le caf�. Mais, comme il avait imbib� les morceaux qu'on avait mang�s, le niveau du liquide baissait quand m�me dans la tasse. Ainsi, nous parvenions � vider la tasse de caf� sans boire, seulement en mangeant les mazs, les derni�res cuill�r�es ramenant une exquise cr�me au caf�.

15 décembre 2002

Je me souviens d'Od�on (84 OO), Danton, S�gur, Pelletan (22 22), Gobelin et Etoile.
Je me souviens des receveurs d'autobus et de leurs machines � obliterer � manivelle.
Je me souviens des pi�ces de un ancien franc et de celle de un nouveau centimes (de franc).
Je me souviens des voitures Dinky Toys et des soldats Mokarex.
Je me souviens de Nino Ferrer : Oh, eh, hein, bon !
Je me souviens du petit bonhomme papillon de Jean Michel Folon dans le g�nerique d'ouverture et de fin des programmes de la deuxi�me chaine de t�l�vision.
Je me souviens des "electrophones" et des changeurs de disques trente trois tours automatiques (et aussi des manges-disques qui ressemblaient � des soucoupes volantes).
Je me souviens de Lucien Jeunesse et pas du Jeu des Mille Francs.
Je me souviens de Sag Varum et de Shake it Baby.
Je me souvien de Paulette Merval et Marcel Merkes.
Je me souviens d'Alexandra Stewart dans la "Nuit am�ricaine" de Truffaut, l'un des plus beaux films du monde.
Je me souviens de Carnaby Sreet.

Une v�ritable salve, ce soir...
Je viens de refermer "Etre sans destin", d'Imre Kertesz. Apr�s un tel livre, on est comme � la fin d'une tr�s belle musique : le silence auquel elle laisse la place est encore de la musique. Tout ce que je fais, ce que je pense, ou ce que je dis apr�s avoir referm� le livre est encore le livre, est encore dans le livre. C'est un livre inou�. Comment un tel chef d'oeuvre a-t-il pu rester inconnu si longtemps. Qui connaissait Imre Kertesz avant octobre 2002 et le prix Nobel ? Pas moi, en tout cas. Honte � moi. Ce n'est pas encore un homme tr�s vieux. Je l'ai vu, pas plus tard qu'il ya quelques jours, en zapant � la t�l�, en habit noir, recevoir son prix � Stockholm. Il n'avait que quinze ans � Auschwitz et Buchenwald. Il a dit ceci, qui vaut la peine d'�tre lu.

11 décembre 2002

Voici quelques d�finitions de mots-valises piqu�e � la vol�e dans le lexique du site "Le Pornithorynx est un salopare", d'Alain Cr�hange. Allez y faire un tour !


�PAPHINIE. F�te c�l�br�e le lendemain du jour des Rois, au cours de laquelle on mange les restes de galette de la veille.
ESPOIRE. Individu dont la confiance confine � la cr�dulit�.
FLOPTIMISTE. Qui a confiance en ses chances d'�chec. "Je me sens tr�s floptimiste quant � l'avenir du pessimisme." (Jean Rostand).
FRESQUINTER. Ab�mer une pi�ce, un b�timent, en couvrant ses murs de peintures. "J'aimerais bien savoir dans combien de temps ce Michelangelo Buonarroti aura fini de me fresquinter ma chapelle." (Jules II).
FURETANTE. Epouse d'un furoncle.
GAGACIT�. Finesse d'esprit dont font parfois preuve les personnes retomb�es en enfance.
GOMORRHO�DES. Douleurs particuli�rement p�nibles dont souffrent parfois les personnes qui ont fr�quent� Sodome.
GRIGOUREUX. Qui pratique l'avarice avec une duret� inflexible. "La fourmi est grigoureuse, c'est l� son moindre d�faut." (Jean de La Fontaine).




voil� ce qu'aurait, peut-�tre, fait M.C. Escher avec l'informatique. Sait-on jamais... (via Geisha Azobi)
La petite brise la glace. J'ai bien �crit : "la petite brise la glace". Je vois bien que vous vous dites : "et alors, "la petite brise la glace", il a �crit "la petite brise la glace", et alors ?" Lisez deux fois. lisez deux fois � haute voix, s'il vous pla�t. J'ai dit lisez � haute voix s'il vous plait (j'en vois deux dans le fond qui ne lisent pas � haute voix) Toujours rien ? Et �a, �a vous dit quoi ? La petite brise - la glace et : la petite - brise la glace. Compris ? eh oui. Ce sont effectivement deux phrases totalement diff�rentes �crites avec exactement les m�mes mots (un autre, pour voir si vous avez compris. Si je dis : La belle porte le voile, vous me dites quoi ?). C'est joli, non ? Moi, en tout cas, je trouve �� tr�s joli. J'ai trouv� cette phrase dans mon courrier il y a quelques mois et l'avais gard� pour aujourd'hui. Pas facile d'en faire d'autres dans le m�me genre. Cela s'appelle des ambigrammes Exercice pour la prochaine fois, sur un cahier propre : dix lignes d'ambigrammes. Rammasage des copies dans..un an (au mieux) Bonne nuit.

P.S. Rien � voir. J'ai trouv� ce site chez ma copine Emmanuelle. Ca (excuses : "Blogger" ne fournit pas le "c" s�dille majuscule) d�coiffe. M�rite la LCD. Re-bonne nuit

05 décembre 2002

je me souviens de Dagobert

04 décembre 2002

C'�tait  un soir pas plus noir qu'un autre...J'ai re�u un mail de Francis Grossmann. Pour ceux qui ne le savent pas (les Maltais, les Finnois, les Ouzbeks, les Malayalis, les Eskimos, entre autres), Francis Grossmann, c'est mon nom. J'ai bien re�u un mail de Francis Grossmann, mais je ne me l'�tais pas envoy� moi-m�me. Si vous lisez cette histoire jusqu'au bout, vous allez comprendre, enfin, pas s�r, parce que c'est peut-�tre une histoire de fant�mes. Donc, comme tous les soirs, j'ai consult� ma boite de r�ception Outlook. Je suis abonn� � une liste de diffusion g�r�e par de sympathiques olibrius, une quinzaine de po�tes oulipiens. Cela reste tr�s artisanal et confidentiel. Ils s'�changent leurs trouvailles et leurs d�fis. C'est p�tillant, divertissant, bon enfant et �a donne plein d'id�es. Bien �videmment, je n'interviens jamais. Je me contente de lire. C'est ce qui est bien, avec les listes de diffusion, c'est que vous �tes l�, tapis dans votre coin, invisibles et silencieux, et vous interceptez tout plein de conversations sans �tre oblig� d'y participer, un peu comme les fant�mes de Kafka : "Ecrire c'est se mettre nus devant les fant�mes, ils attendent ce moment avidement. Les baisers �crits n'arrivent pas � destination, les fant�mes les boivent en route. C'est gr�ce � cette copieuse nourriture qu'ils se multiplient si fabuleusement. L'humanit� le sent et lutte contre le p�ril, elle a cherch� � �liminer le plus qu'elle le pouvait le fantomatique entre les hommes. L'adversaire est tellement plus calme, tellement plus fort ; apr�s la poste, il a invent� le t�l�graphe, le t�l�phone, la t�l�graphie sans fil, mais nous, nous p�rirons" dit-il dans une sublime lettre � Mil�na. Kafka avait pressenti internet. Je ne suis qu'un fant�me, et je me plais � penser qu'il y en a d'autres, eux aussi invisibles, qui n'interviennent jamais, comme moi, et que nous sommes l�, pourtant � regarder passer les messages et nous en repa�tre. Enfin, tout �a pour dire que je re�ois des messages tous les jours ; heureusement que je ne compte pas que sur mes amis et connaissances. Il y a aussi des mails professionnels et des pubs. Bref, ce soir l�, je "consultais" mon courrier, comme on dit. j'avais une douzaine de messages. J'ai l'habitude de remonter la liste en commen�ant par le bas. Comme vous savez, les messages pas encore lus s'inscrivent en gras. Souvent je clique sans regarder l'auteur du message, � gauche. La plupart du temps je les parcours rapidement, �value leur int�r�t en deux ou trois secondes. Je n'en lis enti�rement qu'un sur deux ou trois, en moyenne; apr�s, je clique sur la croix rouge de la barre des t�ches de Outlook pour effacer le message ou, plus rarement, je double-clique pour le d�placer vers un dossier sp�cial (comme celui r�serv� aux �pisodes du feuilleton de Martin Winckler, "Ange", par exemple). Je me livrais machinalement � cet exercice quand soudain apparut ceci sur l'�cran (ne lisez pas tout ou alors seulement en diagonale, si vous voulez avoir une id�e) :

Notes Beno�t Habert (document en ligne �
l�adresse :http://www.limsi.fr/Individu/habert/Publications/Fichiers/hdr/node4.html

G. Gross [Gross, 1988] met en oeuvre cette d�marche de mise en �vidence de restrictions transformationnelles pour les s�quences N Adj. Il retient les transformations suivantes : pr�dicativit� : L'adjectif peut-il figurer en position d'attribut ? On oppose ainsi nous avons un climat froid notre climat est froid � cette arme blanche cette arme est blanche. nominalisation de l'adjectif : L�a a un teint blanc la blancheur du teint de L�a / L�a a pass� un examen blanc la blancheur de l'examen de L�a. rupture paradigmatique sur l'adjectif : l'adjectif peut-il �tre remplac� par un autre �l�ment de sa s�rie distributionnelle ? Cf. du papier bleu, violet, blanc ...et une douche �cossaise, *fran�aise. variation en nombre : est-elle libre ? Cf. *le denier public ou *les devoirs conjugaux. adjonction d'un adverbe : une explication tr�s vague / *un terrain tr�s vague. adjonction d'un autre adjectif par coordination : une explication longue et fastidieuse / *une �toile filante et brillante. reprise du groupe par le nom seul : j'ai lu un livre passionnant. Ce livre ... / *Le bras droit de Luc a appel�. Ce bras .... rupture paradigmatique sur le nom : du beurre noir, ? de la margarine noire, ? de l'huile noire. remplacement de l'adjectif par un compl�ment de nom : une faute grammaticale + de grammaire / la m�decine douce + *de douceur. La d�termination du degr� de figement se heurte toutefois � un certain nombre d'obstacles qui limitent ce qu'on peut escompter de cette approche. Contrairement � ce qu'affirme G. Gross [Gross, 1988, p. 69] : � les propri�t�s sont autonomes et ont une valeur binaire �, les propri�t�s en cause ne sont pas ind�pendantes. Ainsi, les adjectifs relationnels refusent la mise sous forme pr�dicative et l'ajout d'un adverbe de degr� [M�lis-Puchulu, 1991]. D. Corbin [Corbin, 1992, p. 36, note 1] souligne d'ailleurs que les propri�t�s examin�es am�nent parfois � attribuer au figement ce qui ressortit � la morphologie des mots. L'alternance d'un adjectif li� � un nom avec le syntagme pr�positionnel construit sur ce mot ne se fait pas de la m�me mani�re selon que l'adjectif est un d�nominal ou au contraire que le nom est bas� sur l'adjectif. Commercial est d�riv� de commerce et les deux s�quences entreprise commerciale et entreprise de commerce commutent. Il n'en va pas de m�me pour devoir difficile et *devoir de difficult� : or difficult� est d�riv� de difficile. Par ailleurs, indique D. Corbin, un adjectif � emploi relationnel et qualificatif peut parfois �tre remplac� par un compl�ment de nom dans ces deux emplois : le palais du prince/le palais princier, une allure de prince/une allure princi�re. Sans doute ne faut-il pas mesurer � la m�me aune les diff�rentes s�quences en fonction des classes syntactico-s�mantiques du nom et de l'adjectif. Il conviendrait par exemple de comparer entre elles les contraintes de s�quences qui rel�vent du patron N Adj comme choc op�ratoire, fait historique, livre scolaire, ordures m�nag�res, paix sociale et service national. La comparaison en bloc des N Adj devrait laisser la place � des examens de groupes plus restreints et plus homog�nes


je fais s�cher mes id�es au grand airEt c'�tait sign� Francis Grossmann. Je relus la signature : pas de doute, Francis Grossmann, avec deux "n" et tout. C'�tait une sorte de charabia. Cela ressemblait � des notes de travail, celles d'un linguiste ou d'un grammairien, apparemment. Un c�t� inachev�, pas vraiment fait pour �tre publi�, ni m�me diffus�. C'�tait adress� � un certain Beno�t Haber. Et cela m'�tait parvenu, � moi, Francis Grossmann. En dehors du fait que je me demandais pourquoi, et comment, moi, Francis Grossmann, qui n'�tais pas Beno�t Haber, j'avais re�u ce message de Francis Grossmann, il fallait que je me rende � l'�vidence : il y avait un autre Francis Grossmann. Je lan�ai une recherche Google : il y avait bien un Francis Grossmann enseignant � l'universit� de Grenoble et qui �tait responsable d'un nombre respectable de publications scientifiques. Il utilisait aussi internet. Rien de bien inqui�tant, � priori, mais un tantinet d�sagr�able tout de m�me. Cette id�e d'un autre type qui s'appelait exactement comme moi et qui n'�tait pourtant pas moi, me tarabustait. Voil� que j'�tais pris d'un l�ger vertige, comment dirais-je, identitaire ? Je ne sais pas pourquoi, le seul fait qu'il puisse envoyer des messages sur Internet me mettait mal � l'aise, pas seulement � cause du grand nombre de publications, mais aussi � cause. A cause, point. J'�tais jaloux. J'aurais pr�f�r� ne pas savoir. J'aurais voulu continuer de croire que j'�tais le seul. Il y a pas mal de temps j'avais fait une recherche minitel sur les Grossman avec un "n" et les Grossmann avec deux "n" : les Grossmann sont nettement moins nombreux que les Grossman (avec un seul "n"), comme on pouvait s'y attendre, parce que, par exemple, on ne r�siste pas � l'�rosion. Ils sont tout de m�me quelques milliers. D'origine allemande - " homme grand" et non pas "gros homme" comme le r�p�taient stupidement mes petits copains, � l'�cole -, Grossmann (ou Grossman) est un nom tr�s r�pandu, particuli�rement dans l'Est de la France. Il y a par exemple un Robert Grossmann de mon �ge assez connu, qui avait, en son temps, dans les ann�es soixante-dix, fond� ou dirig�, je ne sais plus tr�s bien, les jeunesses gaullistes de France � j'avais honte. Il est d�sormais Maire de Strasbourg ou presque. Robert n'est que mon troisi�me pr�nom (le deuxi�me est Gustave, j'en suis tr�s fier). Il y a aussi, pendant que j'y suis, et qui ne portent aucun de mes pr�noms, Steve Grossman, saxophoniste noir, du temps de Coltrane et Dolphy, qui avait chang� son nom � l'�poque des "blacks muslims" et qui l'a repris depuis, David Grossmann, �crivain isra�lien ("colombe", heureusement) et surtout Vassili Grossman, l'inoubliable auteur de "Vie et Destin", LE roman du stalinisme. Mais, Francis Grossmann, avec deux "n", inconnu jusque l�, m�me nom, m�me pr�nom, tout de m�me, �a me faisait quelque chose. Passe encore qu'il exist�t un autre Francis Grossmann, mais, comme je le disais, je n'arrivais pas � comprendre par quelles voies digitales, num�riques, �lectroniques, certes, mais n�anmoins obscures, ce message, qui ne m'�tait pas adress�, et que je n'avais pas �crit, ��, j'en �tais s�r, avait pu parvenir � mon adresse email. Je me perdais en conjectures. Je commen�ai d'abord par soup�onner mon "FAI", je veux dire mon "fournisseur d'acc�s Internet", Wanadoo, en l'occurrence. Il s'�tait produit une sorte de bug. Un tout petit bug, un grain de sable. Les robots dissimul�s derri�re le d�cor, la machinerie qui nous faisait croire que le monde entier se d�versait sans effort et en douceur jusqu'� nos tables de travail, la "Matrice" qui organisait le "Truman Show" de nos vies �lectroniques, avaient eu une sorte de rat�. Un rat �tait sorti du labyrinthe et s'�tait perdu. Aucun autre des centaines de millions de rats pris au m�me moment sans le savoir dans la m�me toile ne s'en �tait aper�u, non plus que la "Matrice", d'ailleurs : �v�nement trop infime, sans cons�quence. �a devait pouvoir se produire, allez, une fois par si�cle. C'�tait tomb� sur moi et mon homonyme. La "Matrice" n'avait rien � craindre : je ne voyais pas comment, nous, les Francis Grossmann, � nous tout seuls, aurions pu d�chirer la toile, nous r�volter et tenter de passer derri�re le d�cor. Piste trop parano�aque. Il ne me restait plus que les fant�mes de Kafka. Mais cette explication ne me satisfaisait pas, m�me si j'en appr�ciais le caract�re hautement po�tique. Pas que je n'�tais pas s�r qu'ils existassent, j'en �tais certain. Mais je croyais, que, comme moi, ils �taient parfaitement passifs : ils se contentaient de siroter les baisers et autres mots d'amours qui passaient par millions � leur port�e, sans m�me se d�placer, sans m�me envoyer le fameux coup de langue du cam�l�on : la linguistique ne les int�ressait pas. J'en �tais l� de mes �lucubrations, quand je m'aper�us que le bug provenait peut-�tre du fait que, non seulement il existait un autre moi-m�me sur le net et qui n'�tait pas moi, comme je l'ai expliqu�, mais, qu'en plus, nous avions la m�me adresse sur Wanadoo, ce qui multipliait par quelques dizaines, encore, les improbabilit�s.id�e en gros plan Le bug r�sidait alors en ceci : l'un de nous deux, par le plus grand des hasards, avait choisi exactement le m�me login que l'autre, et Wanadoo avait commis l'erreur inexcusable de l'accepter. Je m'empressai de consid�rer que cette hypoth�se �tait rationnelle, et m�me v�rifiable. Je m'empressais aussi, en toute mauvaise foi, de consid�rer que, en ce cas, j'avais la priorit�, que j'avais �t� le premier � choisir l'adresse en question (se reporter � "M'ECRIRE" sur la colonne de droite). Il suffisait alors de r�pondre au mail intrusif. il n'y avait plus qu'� cliquer sur la commande "r�pondre �" et envoyer un message de protestation. Je choisis le ton d'une col�re feinte, assez disproportionn�e pour ne pas passer pour un vrai parano mais pour un humoriste � froid, et, j'envoyais le message suivant avec l'id�e que le bug de la"Matrice" ne se r�p�terait probablement pas deux fois, mais qu'on ne perdait rien � essayer :

" Cher monsieur. Ce n'est pas parce que nous avons le m�me nom et le m�me pr�nom que nous devons avoir la m�me adresse internet. Cela est fort f�cheux. J'ai d'abord cru, � la lecture de votre texte � th�me linguistique, � une plaisanterie oulipienne mais j'ai �t� forc� de me rendre � l'�vidence : il s'agit d'un vrai texte universitaire. (sinc�res condol�ances, si, si...) pour ce qui est de l'adresse Internet, j'�tais le premier. A vous de c�der la place. Pour le reste, je ne suis, bien s�r, pas qualifi� pour juger, et en plus, �a ne me regarde pas. (imaginez que vous entreteniez une correspondance amoureuse... ou d�lictueuse..) . J'ai fait une recherche Google. Il me semble que vous enseignez � Grenoble. Je n'ai rien � voir avec la linguistique. Salutations. Francis Grossmann

Sec, p�tant, p�te sec � souhait. La r�ponse ne tarda pas. Le lendemain, je re�us � nouveau un mail de Francis Grossmann, je commen�ais � m'habituer. On pouvait y lire :

Cher monsieur. D�sol� de vous avoir importun�. J'ai effectivement voulu envoyer une note de lecture de mon m�l professionnel � mon m�l personnel, et ai malencontreusement tap� votre adresse au lieu de la mienne (fgrossmann@wanadoo.fr). Par ailleurs, et si cela peut vous rassurer, je n'ai aucune intention de vous faire part de mes correspondances personnelles ou professionnelles, et puisque vous semblez appr�cier OULIPO, je suis s�r que vous saurez faire preuve d'un peu d'humour en oubliant cet incident. Cordialement,
Francis Grossmann


Le myst�re �tait r�solu. L'erreur n'�tait ni robotique ni fantomatique. L'erreur �tait humaine, simplement humaine. Je ne l'avais m�me pas envisag�, et pourtant c'�tait la seule raison possible du myst�re. Internet restait ce gigantesque organisme infaillible, et les fant�mes n'�taient jamais sortis de leur tani�re. En un sens, j'�tais rassur� sur le mouvement du monde. Francis Grossmann bis (notez le c�t� l�g�rement m�prisant du "bis") avait tout b�tement interverti ses deux adresses. dont l'une, la professionnelle, �tait francis.grossmann@n'imporetquelfournisseurd'acc�s. Le monde redevenait intelligible ou si vous pr�f�rez, totalement opaque, ce qui revenait au m�me. Quelques jours plus tard, alors que je croyais Francis Grossmann bis retourn� d�finitivement derri�re son ordinateur grenoblois et � un complet anonymat, je re�us un nouveau mail que je reproduis ici :

Soutenance de th�se :

Mich�le GUILLAUTEAU-MAUREL soutiendra une th�se de doctorat le 5 d�cembre 2002, � 13h30, en Salle des Actes : "Appropriation de l'�crit au cours pr�paratoire. Approche qualitative d'une didactique du message".
Francis GROSSMANN LIDILEM - UFR des Sciences du Langage
Universit� Stendhal Grenoble III


Suivait adresse compl�te, num�ro de t�l�phone et adresse professionnelle compl�te que je ne retranscris pas ici. Francis Grossmann bis s'�tait excus� ; n'emp�che, il avait oubli� de me sortir de sa liste ! A l'heure qu'il est je n'ai pas envoy� de nouveau message de protestation.


02 décembre 2002

Savez-vous ce que veut dire inthalassopotable , par exemple ? savez vous ce qu'est un kilopediculteur ? une m�lanobutyrophtalmie ? ou m�me un simple m�lanopode ? Courez sur ce merveilleux (le mot n'est pas trop fort) site, et surtout, prenez bien garde de ne pas attraper une mauvaise m�dianoctancomputophilie ! Madame Claire de Lavall�e, pardonnez moi, je vous aime (et musicienne, avec �a) ! Je m'empresse d'ailleurs de vous faire une (bien trop modeste) place en LCD.

01 décembre 2002

Je vous ram�ne ce site , prometteur, j'esp�re qu'il va se developper, d'une promenade tardive sur la toile, bonne nuit...