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29 mai 2003
















Pas plus tard qu'il y a deux jours, Francis Grossmann m'a encore envoy� un mail. Comme vous le savez, Francis Grossmann, c'est moi, enfin, en principe. Si vous avez rat� le dernier �pisode, ce qui prouve que vous n'�tes pas un lecteur assidu et ce qui me peine vraiment, cliquez tout de m�me ici comme dirait le papa de Victor Hugo. Donc Francis Grossmann ce n'est pas moi (j'ai comme un petit vertige, l�). J'ai bien not� que vous avez not� que je viens de dire que Francis Grossmann c'�tait moi. Mais, bon, un peu de patience, j'essaie de vous expliquer : Francis Grossmann, c'est un �minent linguiste de la facult� de Grenoble. Il n'a strictement rien � voir avec CISCOBLOG (qui a aujourd'hui un an plus trois jours, modeste comme c�l�bration, n'est-il pas ?) Comme je suppose que depuis les cinq ou six derni�res lignes vous n'avez toujours pas cliqu� sur le dernier �pisode, ou bien que, rebut�s par la longueur du texte vous ne vous �tes pas attard�s sur la page, et vous n'avez pas tort, je vous fais un r�sum� : Francis Grossmann, pas moi, l'autre, l'heureux universitaire, a deux adresses email et, comme il en a parfaitement le droit, on est en r�publique, il n'y a rien l� de r�pr�hensible ni m�me de douteux, moi aussi, Francis Grossmann, j'ai deux adresses email et je ne suis pas le seul, il a s�rement de tr�s bonnes raisons pour faire cela, m�me si je, moi, Francis Grossmann, n'en voit pas le v�ritable int�r�t, il s'envoie lui-m�me des emails d'une adresse � l'autre. L'une de ses adresses est une adresse professionnelle, l'autre est son adresse personnelle. Il fait donc passer des notes ou des brouillons d'une adresse � l'autre pour des raisons, qui , je viens de le dire, ne regardent que lui, Francis Grossmann, et personne d'autre, surtout pas moi, Francis Grossmann. Nous n'avons rien � y redire, moi, Francis Grossmann et tous les autres. Il fait cela quand il le veut, quinze fois par jours si �a lui chante, et moi, Francis Grossmann et tous les autres, nous n'avons aucune objection � y faire. Seulement voil�, de temps � autres, pas si souvent que ca, mais tout de m�me parfois, comme il y a deux jours, un message de Francis Grosmmann fait irruption, pour ainsi dire, dans ma boite � lettre Outlook. C'est une erreur , il s'est emm�l� les pinceaux, il a fait une fausse manipulation (je ne rentre pas dans des d�tails ennuyeux, mais, en gros, son adresse perso ressemble, dans son libell� � la mienne et, surtout, nous avons le m�me FAI, ce qui n'est pas particuli�rement �tonnant quand on sait que c'est Wanadoo). On peut comprendre, j'esp�re, que m�me pour une personne rompue, comme moi, � la pratique des moyens de communication modernes, m�me pour un internaute (je deteste ce mot) chevronn�, ce qu'une telle irruption, j'ose m�me dire une telle intrusion (effraction ? Non, c'est trop fort) peut avoir d'�trange et un peu d�stabilisant. Je m'y suis fait, � vrai dire, en r�solvant le myst�re, il y a quelques mois (si vous vous voulez savoir comment, la seule solution est de cliquez l� o� j'ai dit plus haut, mais ce n'est pas obligatoire). On se fait � tout, en g�n�ral, m�me � l'id�e d'avoir un parfait homonyme, ou plusieurs, en particulier, quelque part dans le monde. Mais il est plus difficile d'admettre que cet homonyme vienne s'immiscer, sans que vous lui aiyiez rien demand�, dans l'intimit� de votre boite de r�ception Outlook. En psychiatrie, et non pas en xyloglotte, ( j'ai peut-�tre tort : c'est souvent la m�me chose !) il existe un terme qui signifie voir son double � l'ext�rieur de soi, venir vers soi : l'h�autoscopie (du grec h�auto� de soi-m�me et scopos, regard). Ca arrive, mais c'est rare ; c'est une exp�rience inn�fable et angoissante ; j'ai connu un homme � qui c'�tait arriv�, il ne rigolait pas tous les jours. Pour ce qui me concerne, il faudrait d'ailleurs, pour �tre pr�cis, dire : h�autolexie (et l�, on peut parler de xyloglotte, puisque c'est un mot qui n'existe pas) et encore plus pr�cis : h�autoexoscopolexie (exoscopo signifiant Outlook, en grec ancien, �videmment). A vrai dire c'est beaucoup moins angoissant. On pourrait m�me dire que c'est supportable, � la longue. C'est donc en proie � une b�nigne crise d'h�autoexoscopolexie que j'ai r�pondu au mail de Francis Grossmann pour lui dire que je, moi, Francis Grossmann, donc, �tais un peu agac� par ses mails � lui, Francis Grossmann, disons, intempestifs. Il, je, non, il m'a d'ailleurs gentiment r�pondu qu'il, je, non, il allait y veiller. Bon. Le probl�me, c'est que plus cela se produit, plus je, il, non, je moi, Francis Grossmann, je le m'imagine linguiste � Grenoble III. Vous me comprenez : celui que j'imagine, bien entendu, ce n'est pas je, moi, Francis Grossmann, mais lui, il, Francis Grossmann. D'ici � ce qu'il se prenne, lui, Francis Grossmann, pour un psychiatre � Vigneux sur Seine, il n'y a pas tripette. Il va bien falloir sortir un jour de cette confusion, m�me si ce n'est pas grave. Par exemple, je suis persuad� que le Francis Grossmann grenoblois a exactement le m�me aspect physique que moi quand il se prom�ne dans les rues de Grenoble, ou qu'il �coute France Culture dans les embouteillages. Il a mes cheveux, mes lunettes, mes chemises, mes copines, mon �ge et mon petit bedon (eh, oui ch�res admiratrices anonymes, j'ai un petit bedon), etc. J'ai le plus grand mal � l'imaginer autrement que comme mon double sp�culaire.A part, allez savoir pourquoi, que je le vois, lui, comme moi j'�tais, disons, vingt bonnes ann�es en arri�re. C'est moi, mais en plus jeune. Tiens, il faudrait peut-�tre que je lui demande son �ge, la prochaine fois, �a pourrait aider.

27 mai 2003

Ce soir - �a fait plut�t longtemps que cela n'est pas arriv�- petite partie de p�che � la ligne sur le web. en passant par mes sites favoris, j'ai d'abord pens� vous ramener �a (c'est en anglais, mais ne vous inqui�tez pas, c'est encore plus impayable en fran�ais), ou bien �a, sans vous dire par o� j'�tais pass� et vous faire croire que je l'avais d�nich� tout seul. Mais ce n'�tais pas vrai. Moi qui ne cite pas toujours mes sources, pour vous faire croire que je suis un champion de p�che � la ligne, je me suis senti tout � coup malhonn�te, bien que le mot soit juste un peu trop fort, enfin j'ai eu des remords, je me suis dit que ce n'�tait pas bien, et j'ai fini, quoi, par rendre � C�sar ce qui appartenait � C�sar. Je dois donc � la v�rit� de dire que j'ai trouv� tout �a chez la charmante "Meslubies" (voyez en LCD). Et finalement, tant qu'� faire, c'est � son "post" tout entier (je ne retrouve plus le mot en fran�ais, s'il a jamais exist�) du 27 mai, que je me suis dit qu'il �tait de mon devoir de vous emmener. C'est plein de trouvailles, dr�le, original, pas prise de t�te et pas b�te, enfin rien que du talent, comme dirait Jean-Michel Larqu�! Et encore bravo, mademoiselle !
aujourd'hui, CISCOBLOG a un an plus un jour

24 mai 2003

gare Montparnasse, 1965Il y a un livre sur Paris qui a tra�n� longtemps sur ma table de nuit. Il s'appelle "Paris perdu". Il est plein de photos qui me rappellent le Paris de mon enfance. Il a bien vite disparu, ce Paris l�, avant m�me que je n'atteigne l'�ge adulte. Je me rends compte que j�ai v�cu, dans cette ville que je j�aime comme une femme, un moment charni�re pour elle. C'est dans ces ann�es, cinquante et soixante, que la ville s'est le plus transform�e. Comme si, avant ma g�n�ration, il n'y avait eu qu'Haussmann, ses grands boulevards et ses perc�es triomphales, le nettoyage d�finitif des scories du Moyen-�ge et puis apr�s, plus rien, jusqu'� la vague des ann�es soixante dix quand il en fut fini du Paris populaire (en m�me temps que des bidonvilles de la proche banlieue) m�me si, �a et l�, subsist�rent des �lots de r�sistance de plus en plus r�duits. J'ai par exemple assist� � la fois aux six jours de Paris et � la d�molition du Vel' d'Hiv, aux d�parts en train vers la Bretagne et � la destruction de l�ancienne gare Montparnasse, J�ai visit� le Louvre sombre et froid de Belph�gor et vu y p�n�trer une lumi�re splendide par la Pyramide de Pe�, achet� du poisson aux halles de Baltard, assist� � des spectacles sous ses verri�res d�saffect�es (l�inoubliable � Orlando furioso � de Luca Ronconi, par exemple) particip� � des manifs contre leur destruction, contempl� longuement ce qu�on a appel� pendant pr�s de dix ans le � trou des halles �, �norme chantier qui n�en finissait pas et achet� mes livres � la FNAC du Forum des halles, ensemble architectural tellement laid et tellement toc qu�il serait d�j� � refaire(Delano� s'y attaquerait, para�t-il ). J�ai assist� � la disparition de la rue de la Mare dans le vingti�me peu apr�s que Perec lui-m�me y ai vu s��vanouir la rue Vilin. J�ai vu abandonner les abattoirs de la Vilette et de Vaugirard et l�am�nagement � leurs places des parcs de la Vilette et Georges Brassens, j �ai assist� � la � r�novation � des rives du canal Saint Martin, � la bataille contre la radiale Vercing�torix (victoire � la Pyrrhus) et � la transformation de ce qui �tait cit� comme le plus laid �difice de Paris en un magnifique mus�e du dix-neuvi�me si�cle. J�ai vu dispara�tre � peu pr�s tous les cin�mas de quartier apr�s y avoir vu s'y succ�der les films de Kung Fu et de p�plums. J�ai connu Paris tout noir, avant les ravalements ordonn�s par Malraux et d�couvert, �merveill�, Notre Dame dans toute sa splendeur un matin d�hiver de 1966. J�ai connu les pav�s sur les boulevards et les rues qui ont toutes �t� d�finitivement bitum�es apr�s mai 68. J�ai connu les machines � vapeur entrant dans la gare de Lyon. J�y prend maintenant le TGV alors que l��lot Chalon a �t� remplac� par un minist�re des finances aux pieds dans l�eau. Et bien de choses encore, qui emplissent toute une vie. Si, donc, on en croit � Paris Perdu �, le boulevard Pereire est le plus beau de Paris. Je n�ai jamais aucune raison de me rendre dans cette partie Nord Ouest de la ville, qui hormis le quartier des Batignolles, m�est pratiquement inconnue. C'�tait un jour d'Ao�t, J'ai profit� d'un trou dans mon emploi du temps truff� de gardes � l�h�pital. Je me suis donc rendu presque directement au boulevard Pereire voir s'il est bien le plus beau boulevard de Paris. J'ai �t� d��u : un peu d�sert et pas si beau que �a. Je pr�f�re l'avenue Junot, la rue Colincourt et le boulevard Arago, ou l'avenue Georges Mendel et m�me l'avenue Mozart, si on veut s'en tenir aux beaux quartiers. Mais je me suis aper�u qu'il �tait situ� dans le XVII�me arrondissement et coupait la rue de Tocqueville qui est la rue o� je suis n�, dans l'appartement que mes parents ont d'abord occup� en arrivant de leur banlieue (je ne sais pas le num�ro.) Canicule absolue : 35 degr�s � 14 heures. Je l'ai parcourue en voiture au ralenti. Il y a quarante ou cinquante ans ce devait �tre un quartier popu (puisque mes parents y ont habit�) aujourd'hui comme partout dans Paris intra muros �a c'est embourgeois�. Mais, traces du populaire : un march� de la rue de L�vis, pas tr�s anim�, il �tait un peu trop tard, presque treize heures. Les boutiques fermaient rue de la Terrasse. Aucune �motion. Forc�ment aucunn souvenir : C'�tait la premi�re fois que je revenais sur les lieux depuis ma naissance. Comme une ville �trang�re. J'ai d�jeun� � l'ombre, en touriste, dans un troquet plut�t sympathique et plut�t cher au coin de la rue Legendre et je suis retourn� � Gentilly et plus tard monter la garde, � Evry.
ceux qui se souvienne de ceci ne sont pas loin d'avoir au moins mon �geJe me souviens de la pendule � spirale de la t�l�vision des ann�es soixante (Je me souviens aussi que Mongrandp�re, n� en 1885, comparait, avec le plus grand soin, l'heure que donnait sa montre gousset � l'heure de cette pendule qui repr�sentait pour lui la dangerosit� de la technique moderne. Il n'eut jamais besoin de l'avancer ou de la retarder. Je n'ai jamais dout� du fait que, que s'il avait avait constat� que les deux heures ne correspondaient pas, il aurait probablement proclam� qu'il fallait remonter la t�l�vision.)

23 mai 2003





Pens�e de la nuit N� 28 "Je refermai mon parapluie : ce symbole par excellence du grotesque de notre existence terrestre" Imre Kertesz, Kaddish pour un enfant qui ne na�tra pas.
Aujourd'hui, CISCOBLOG a un an moins deux jours.

22 mai 2003

Kateb, quatri�me partie


"Eh, docteur, t'exag�re, j'peux rentrer ou quoi ?". Je l�ve les yeux de mon �cran. Pour un peu mon Kateb para�trait inquiet. Cette fois, il n'attend pas de r�ponse, il s'impose, il entre. Il s'assoit face � moi, de l'autre c�t� du bureau avec un sourire. On va parler. Il s'installe bien. �a va �tre du s�rieux. Il ne laisse pas d'espace entre sa chaise et le bureau, comme font les autres patients, il s'approche le plus possible. Il s'accoude pendant que je me carre dans mon fauteuil. Il se met � tripoter des objets. Il fait l�inventaire de ce qui a chang�, il soul�ve des papiers, fait un peu le m�nage, il �value, par r�flexe professionnel, ce qui pourrait se piquer (une petite statuette, un stylo de marque, un objet publicitaire de labo), mais je sais bien qu'il ne le fera pas. "Faut qu'on parle s�rieusement, docteur" - "Ah, bon on dit des b�tises les autres fois ?". �a le fait rire. Il est souvent rigolard, par sens du commerce, pas par joie de vivre, pour ainsi dire. Mais dans la seconde qui suit, le voil� qui fait la gueule, "�a va pas", il soul�ve son bonnet et se gratte le cr�ne, "il faut trouver un endroit". Le mot est l�ch�, � sept heure du soir : un " endroit" - "oui, quoi, un endroit, ailleurs, un autre endroit, quoi". Je sais bien, c'est toujours la m�me chose : Kateb veut toujours aller ailleurs. Il n'est jamais bien l� o� il se trouve. C'est son sympt�me, il faut toujours qu'il se casse, qu'il mette les voiles, qu'il trisse. L� o� il et, ce n'est jamais bien, "�a pue, c'est relou, on s'emmerde". Mais le probl�me c'est qu'en m�me temps, exactement en m�me temps, il faut qu'il soit re�u, accueilli, recueilli. Il est persuad� qu'il y a un lieu id�al juste fait pour lui, une sorte de nirvana, de paradis, de walalah, de champs �lys�es, o� il pourrait entrer et sortir, � sa guise, soit se la couler douce, allong� les pieds sur la table devant la t�l� avec d�codeur Canal Plus la main plong�e dans un plein saladier de rahat loukoums servi par un harem d'infirmi�res girondes, soit, quand il le voudrait, aller s'�clater et se d�foncer la gueule "dehors", pour le "fun", passer des nuits � boire ou � fumer. A peu pr�s la m�me chose que chez ses parents o�, comme il le sait, la tol�rance de sa m�re est in�puisable. Mais pas celle de son p�re, c'est �a le hic. Et son p�re le fout dehors quand il se pointe � trois ou quatre heure du mat raide fonc�d�, parce qu'il r�veille ses fr�res qui doivent se lever t�t pour aller au lyc�e, m�me s'il g�le � pierre fendre. "Aucun c�ur, celui-l�", "j'ai dormi dans une voiture, j'l'ai pas vol�e, la voiture, R'hossmane, j'l'ai juste ouverte pour renter d'dans." Ou alors il va "� la gare de Lyon", c'est tout ce qu'il conna�t de Paris, la gare de Lyon, terminus du train qui passe � la gare de Vigneux. Il y retrouve la fausse chaleur de tous les gal�reux de la banlieue Sud, une mini-soci�t� qui a ses propres lois de la jungle o� il est loin d'�tre le plus fort. Il en revient apr�s deux ou trois jours, cass� par du mauvais rouge ou du mauvais shit, lessiv�, d�pouill�, honteux de s'�tre une fois de plus laiss� humilier. "Tous des oufs, l� bas, graves" - "Mais pourquoi tu y retournes ?" - "Parce que, Rossmane docteur. Parce que t'as pas voulu me trouver d'endroit la derni�re fois que je me suis fait virer par le reup" - "Mais pourquoi tu te fais toujours virer par ton p�re, Il est d'accord pour te garder si tu joues le jeu, si tu te conduis bien, il me l'a encore dit la derni�re fois que je lui ai parl� au t�l�phone ! Tu peux m�me y retourner ce soir, tu sais bien qu'il t'accueille toujours" - " Ouais mais c'est relou l� n'dans, je dors dans la chambre des petits fr�res, j'peux pas fumer, je les r�veille parce que je ronfle, l'ach�leme, il est trop petit l'ach�leme, depuis le temps qu'on doit en avoir un plus grand ! Y'a plus de place pour moi, c'est eux qui veulent que mon reup y m'vire." Le match commence. Service Kateb : "T'as pas une place ici c'soir pour moi ?" Bien s�r que non je n'ai pas de place, l'hospitalisation est pleine comme un oeuf - "Et en plus, Kateb, je te rappelle que la derni�re fois c'est toi qui a insist� pour sortir !" - "Ben oui, mais c'est relou l� n'dans, c'est tout petit, on se marche dessus, on s'emmerde, y'a pas Canal Plus" - "C'est comme chez tes parents, alors ?" - "Ben oui". Silence. Nous nous jaugeons. Kateb �value ma patience et moi j'�value sa d�termination. "Alors, qu'est-ce qu'on fait, docteur, tu t�l�phones ?" - "O� ?" - " Ben, � un endroit, quoi" - "Ce soir ?" Il a un sourire g�n�, voire coupable, il sait bien qu'� cette heure-ci on ne peut plus trouver ni place d'hospitalisation ni h�bergement, Il vient de perdre la main, je profite de mon avantage : " D�j� le matin tu sais que ce n'est pas facile de trouver, mais alors le soir, on ne va pas en parler, Kateb. Pour ce soir retourne chez tes parents, on verra demain, si tu viens le matin, et pas le soir. En plus tu viens quand �a t'arrange. D�sol�, je ne suis pas enti�rement � ton service". Balle de break. je pousse encore mon avantage : "Et puis une place doit se lib�rer ici, tu pourras venir dans quelques jours, si c'est n�cessaire". Une proposition qui ne se refuse pas. Jeu, set et match. Il se gratte encore la t�te en soupirant, �a ne lui dit vraiment rien de retourner se faire houspiller chez son p�re, c'est �a ou la gare de Lyon, non-merci, il vient d'en prendre. Il ira chez ses parents. "T'es dur, toi." Il se l�ve en exhalant un long soupir de pauvre martyr incompris, il enfonce son bonnet et recule vers la porte en me tendant la main " A j'reviens quand ?". Je lui serre la main, je sais qu'il reviendra quand il voudra "Je ne sais pas, moi ? Apr�s demain, par exemple. Le matin" - " Y'aura de la place ici ?" - "En principe. " Il ne sera pas dit qu'il aura tout perdu : "Dis, t'as pas cinq euros pour un paquet de cigarettes, je suis raide, l� ?" Surtout ne pas l'humilier. Je fouille mes poches et lui donne deux pi�ces de deux. Il les prend avec un grand sourire, il a oubli� la d�faite, il a tout de m�me r�ussi � obtenir quelque chose de moi. "Je te les rendrai, je touche ma pension jeudi." Je n'en doute pas. Kateb rend toujours l'argent qu'il emprunte, enfin, plus ou moins rapidement, il faut parfois lui rappeler, avec tact, mais il rend. Pour l'instant il dispara�t dans la nuit noire. Les quatre euros s'ajoutent aux vingt qu'il me doit d�j�. �a fait vingt-quatre. A trente, stop. Encore une petite marge. Pour la n�gociation.
Je me souviens que je ne me souvenais plus des "Mistrals gagnants" avant que Renaud en fasse une chanson. Mais je me suis toujours souvenu des Cocos Boer, des roudoudous dans des vraies coquilles de coque, des bombons � un franc (ancien, le franc : un centime de franc nouveau, 0,15 centime d'euro).
J'adore cette version japonaise de la "A la recherche du temps perdu" :

Longtemps, je me suis couch� de bonne heule. Palfois, � peine ma bougie �teinte, mes yeux se felmaient si vite que je n�avais pas le temps de me dile : � Je m�endols. � Et, une demi-heule apl�s, la pens�e qu�il �tait temps de chelcher le sommeil m��veillait ; je voulais poser le volume que je cloyais avoil encole dans les mains et souffler ma lumi�le ; je n�avais pas cess� en dolmant de faile des l�flexions sur ce que je venais de lile, mais ces l�flexions avaient plis un toul un peu palticulier ; il me semblait que j��tais moi-m�me ce dont pallait l�ouvlage : une �glise, un quatuol, la livalit� de Flan�ois Ier et de Challes Quint. Cette cloyance sulvivait pendant quelques secondes � mon l�veil ; elle ne choquait pas ma laison mais pesait comme des �cailles sur mes yeux et les emp�chait de se lendle compte que le bougeoil n��tait plus allum�. Puis elle commen�ait � me devenil inintelligible, comme apl�s la m�tempsycose les pens�es d�une existence ant�lieule ; le sujet du livle se d�tachait de moi, j��tais lible de m�y appliquer ou non ; aussit�t je lecouvlais la vue et j��tais bien �tonn� de tlouver autoul de moi une obsculit�, douce et leposante pour mes yeux, mais peut-�tle plus encole pour mon esplit, � qui elle appalaissait comme une chose sans cause, incompl�hensible, comme une chose vlaiment obscule. Je me demandais quelle heule il pouvait �tle ; j�entendais le sifflement des tlains qui, plus ou moins �loign�, comme le chant d�un b�dane dans une fol�t, lelevant les distances, me d�clivait l��tendue de la campagne d�selte o� le voyageur se h�te vels la station plochaine ; et le petit chemin qu�il suit va �tle glav� dans son souvenil par l�excitation qu�il doit � des lieux nouveaux, � des actes inaccoutum�s, � la causelie l�cente et aux adieux sous la lampe �tlang�le qui le suivent encole dans le silence de la nuit, � la douceur plochaine du letoul. J�appuyais tendlement mes joues contle les belles joues de l�oleiller qui, pleines et fla�ches, sont comme les joues de notle enfance. Je flottais une allumette pour legalder ma montle. Bient�t minuit. C�est l�instant o� le malade, qui a �t� oblig� de paltil en voyage et a d� coucher dans un h�ter inconnu, l�veill� par une clise, se l�jouit en apelcevant sous la polte une laie de joul. Quer bonheul, c�est d�j� le matin ! Dans un moment les domestiques selont lev�s, il poulla sonner, on viendla lui polter secouls. L�esp�lance d��tle soulag� lui donne du coulage pour soufflil. Justement il a clu entendle des pas ; les pas se lapplochent, puis s��loignent. Et la laie de jour qui �tait sous sa polte a dispalu. C�est minuit ; on vient d��teindle le gaz ; le delnier domestique est palti et il faudla lester toute la nuit � soufflil sans lem�de. (via Echolalie, bien s�l !)

21 mai 2003

kateb, troisi�me partie


De la fen�tre de mon bureau. Avenue H.BarbusseLe soir tombe, je continue d��crire sous ma lampe qui n��claire que ma table et laisse le reste de la pi�ce dans la p�nombre. Il y a des patients aiment cette ambiance un peu feutr�e, ils aiment flotter dans cet espace un peu ind�fini, d�autres, pas du tout, ils se sentent embarqu�s dans une capsule spatiale, au fond d�une mine ou d�une oubliette, il faut vite allumer le plafonnier. L�animation du CMP tombe peu � peu. A l� � extra � les calmes consultations du soir commencent, l�infirmier de permanence a pris la place de la secr�taire qui a fini ses huit heures et s�installe � c�t� de l�ordinateur, fait des r�ussites pour passer le temps et attend l�arriv�e du m�decin de garde. A l� � intra �, c�est l�heure entre le go�ter et le d�ner, temps un peu mort, o� l�angoisse se fait sourde et les id�es un peu plus noires. Les patients, d�s�uvr�s, deviennent des ombres dans les couloirs ou mettent la table du d�ner, tr�s en avance, s�assoient devant une assiette vide et se mettent � attendre. Les infirmi�res, entre elles, pr�parent les m�dicaments et commencent � remplire le cahier de transmissions. Il y a de beaux couchers de soleil � Vigneux. Justement ce soir, le vent a chass� les nuages et, le froid hivernal venu du pays du p�re No�l s�est install� dans nos contr�es. Je vois � travers la fen�tre, au-dessus des toits des pavillons d�en face o� planent de lents avions, des lambeaux de nuages qui se teintent en rouge vif puis tournent peu � peu au mauve sur un fond gris bleu de plus en plus fonc�. Kateb attend toujours, je ne sais pas ce qu�il esp�re. Il va falloir que je le laisse entrer et que les pourparlers commencent. Oui, pourparlers. Cette expression diplomatique convient tr�s bien � la mani�re dont Kateb �tablit et maintient le contact. C�est un n�gociateur n�. Il aurait pu faire carri�re au Quai d�Orsay ou comment agent de joueurs de foot professionnels. On dirait qu�il ne peut parler qu�en n�gociant, n�importe quoi, pourvu qu�il y ait mati�re � marchandages. Il se dit souvent dans les synth�ses, qu�on finit toujours par se faire avoir par Kateb, c�est � la fois vrai et faux : Kateb ne peut se sentir exister qu�en � ayant � l�autre. Il faut toujours qu�il lui en � prenne � une partie, comme si, le langage, qui, autrement, ne serait que du bruit fait avec la bouche, voire de la musique, ne pouvait se soutenir, comme signifiant quelque chose pour lui, que d�une mat�rialit� prise � l�autre, m�me imaginaire. Pour parler avec Kateb, il faut se laisser prendre. De l� � dire qu�on se fait prendre � son jeu, il y a un pas qu�il ne faut pas toujours franchir. C�est en acceptant un peu d� � �tre pris � qu�on a une chance de communiquer vraiment avec lui. C�est le prix � payer. On n�a rien sans rien. C�est tout de m�me mieux qu�avant, quand Kateb prenait sans demander, arrachait ce qu�il voulait et s�enfuyait, les sacs des m�m�s dans la rue, les barrettes de shit de ses copains dealers, l�argent de ses parents ou des autres patients qu�il rackettait. Pas qu�il ait totalement arr�t�, mais maintenant il demande, il discute d�arrache pieds, il est dur en affaires, comme on dit, et accepte m�me parfois de ne rien recevoir, ce qui veut dire qu�il commence � entrevoir que parler est utile, qu�on peut tirer du plaisir de la conversation, et que les mots peuvent avoir du sens. Les pourparlers, c�est bien pour parler. De plus, avec Kateb, c�est comme avec les pr�-ados, sauf qu'il a trente ans, on se doit d�appliquer � la lettre les pr�ceptes de la linguistique pragmatique : dire, c�est faire. Tenir sa parole. Dans la mesure du possible. et comme, bien s�r, � l�impossible nul n�est tenu, il s�efforcera de tenir la sienne, si nous tenons � peu pr�s la n�tre.
Pens�e de la nuit N� 27 "Tr�s cher Ren�. Merci de ton mot...le "cass� bleu", c'est absolument merveilleux. Au bout d'un moment, la mer est rouge, le ciel jaune et les tables violet, et puis cela revient � la carte postale de bazar. Ca et cette carte postale, je veux bien m'en impreigner jusqu'au jour de ma mort. Sans blague, c'est unique, Ren�. Il y a tout l�. Apr�s on est diff�rent. Dis, je rentre bient�t, je t'embrasse. Nicolas" Nicolas de Sta�l, Lettre � Ren� Char. Correspondance.
Ce soir j'ai cliqu�, comme j'aime bien le faire parfois, compl�tement au hasard, sur le Wiki d'�cholalie et j'ai trouv� �a. Bonne p�che, � vous aussi !(moi, en tout cas je trouve �a dr�le)

19 mai 2003

kateb, deuxi�me partie


Parce que, avant, Kateb, il faisait peur � tout le monde � Camille Claudel. Il mena�ait, il frappait, il cassait, les vitres du CMP ou celle de votre voiture. Il pouvait aussi vous casser la gueule. D'ailleurs, m�me les flics avaient peur de lui. Les flics n'aiment pas les d�linquants qui ne sont pas de vrais d�linquants, ils ont peur des fous d�linquants, ils ne savent pas par quel bout les prendre. Ne nous trompons pas, les flics font parfaitement la diff�rence entre les d�linquants et les fous, ils ne se d�faussent pas de leur sale boulot sur la psychiatrie publique, comme on l'entend dire trop souvent. Ils ont raison de dire qu'ils ne savent pas y faire : les fous, ce ne sont pas leur m�tier, c'est le n�tre. Ils ont raison de les amener � la psychiatrie publique, m�me si �a ne pla�t pas toujours � la psychiatrie publique. Il suffit de travailler aux urgences de l'h�pital g�n�ral pour s'en convaincre tous les jours : il y a tr�s peu d'internements arbitraires et la loi de 1990, toute mal ficel�e qu'elle est, et peut-�tre qu'on ne pourra jamais mieux la ficeler, puisque c'est une loi qui d�termine elle m�me ce qu'elle ne peut pas aborder, en une sorte de boucle paradoxale, de macula, de point aveugle, est pratiquement toujours correctement appliqu�e dans son principe et toujours dans sa forme. Quand les flics am�nent un fou aux urgences, ce n'est pas pour le faire enfermer ailleurs que chez eux, ou pour le faire sanctionner ailleurs, parce qu'ils n'auraient plus de place, ou parce qu'ils en auraient marre, qu'ils ne pourraient plus le supporter, par exemple, mais vraiment pour le faire soigner, ils y croient dur comme fer, le plus souvent. Je peux en t�moigner. Peut-�tre qu'ils ont tort de le croire, mais c'est une autre histoire, et qui concerne surtout les psychiatres. Certains d'entre ceux-ci ont le mot "Loi" toujours � la bouche. Ils n'ont qu'� faire flics � la fin, ceux-l�, comme si la Loi dont ils parlent avait � voir avec la loi du Droit, celle des avocats des procureurs et des juges. La vraie question est celle des limites, pas celle de la Loi. C'est vrai, quand on d�passe les bornes, on se fait taper sur les doigts. Mais il y a des gens qui ne connaissent pas leurs limites, je veux dire au sens propre, celles de leur corps. Ils croient toujours �tre � leur recherche, mais ils ne savent pas qu'ils se r�pandent, qu'ils d�goulinent, qu'ils ne se contiennent plus depuis longtemps, on les appelle des t�tes br�l�es, des p�t�s du casque, des fous, comme Pierrot le Fou, par exemple, mais �a peut �tre moins grave que �a, heureusement. Seulement pour rencontrer leurs limites, ils ont sans cesse besoin de se colleter physiquement � du solide, au sens propre ou au sens figur�, ils se mettent sans arr�t en danger, pas qu'ils aiment �a, m�me si certains aiment �a, mais ils ne peuvent tout simplement pas faire autrement. C'est une maladie, pour ainsi dire. C'est vrai qu'il y a des bandits qui sont un peu fous, voire tr�s fous et des fous qui sont un peu voyous m�me beaucoup, Mais, bandit, c'est un �tat, une profession qui a ses propres lois, celles du "milieu" comme on dit. Il y a des gens qui ont pour profession d'agir "mal" - ils ont choisi, ils n'ont pas pu faire autrement, c'est la faute � la soci�t�, peu importe - mais ce n'est pas pour autant qu'ils sont malades. On doit les mettre hors d'�tat de nuire et, �a, c'est le boulot de la police, ils purgent leur peine, recommencent ou pas, libre � eux. Ils pr�f�rent toujours aller en prison plut�t qu'� l'HP, qu'ils aient une fois essay� de se "faire passer pour fou", pour �viter la sanction, alors ils ont vite compris que ce n'�tait pas leur place, ils ne recommenceront plus : L'HP est un lieu bien plus hors la loi que la prison, bien plus terrible, ils le disent tous. En revanche, l'enfermement, qu'il soit celui de la prison ou celui de l'HP, convient souvent tr�s bien, c'est un paradoxe, � ceux dont j'ai parl� et qui recherchent d�sesp�r�ment leurs limites : comme s'ils se sentaient enfin abrit�s dan un endroit qui jamais ne perdra contenance. Il faut qu'ils l'�prouvent avec leur corps, vraiment, et si �a ne suffit pas, ils feront tout pour �tre encore plus enferm�s. C'est m�me �a le probl�me. Certains, ainsi, sont all�s jusque dans les h�pitaux de force, m�me le mitard � la prison ne leur convenait pas. Mais voici que le visage de Kateb appara�t � nouveau dans l�entreb�illement de la porte, il insiste, plut�t pas plus que d�habitude, il n�a que faire des mes �lucubrations et de mes digressions : � t�as fini, docteur, j�peux rentrer ? � Je r�ponds : � cinq minutes, dans cinq minutes, attends encore ! � Le visage dispara�t, la porte se referme tout doucement. Il retourne attendre, toujours patient.

18 mai 2003

N* ou le Trajet des Choses, deuxi�me partie


dormitaineMarguerite Duras dit qu'aucun amour au monde ne peut tenir lieu d'Amour. Pour lui, N*, tout aussi s�rement qu'une Boussole indique le Nord, indiquait le Sud. Bien que n�e quelque part en Europe centrale, c'�tait incontestablement une femme du Midi. Enfant, elle avait v�cu en Alg�rie et se souvenait de nounous aux visages tatou�s et aux lourds bracelets d'argent. Elle avait v�cu plus de dix ans en catalogne, dans la r�gion de P*, un petit village au milieu des vignes, R*. Elle y avait �lev� ses deux premi�res filles. Elle l'y emmena d�s leur premi�re fugue d'amoureux. Elle y retrouva sa belle maison de pierre, sa rue, son pass�. Elle se souvint de son chien Bakounine, et de promenades solitaires dans les vignes. Il y avait, � R*, un tout petit charcutier qui s'appelait "Chez Francis" et qui ne payait pas de mine. On y venait, pourtant, de quinze lieues � la ronde. On y trouvait le meilleur "fouet" de toute la catalogne fran�aise (et peut-�tre m�me catalane). Le "fouet" est une saucisse aussi fine qu'une lani�re et aussi s�che qu'un pendu. Il y a du fouet "nature", du fouet "� la pistache" ou du fouet au "fromage". N* n'avait pas voulu sortir de la voiture, de peur qu'on la reconnaisse ou que la nostalgie lui fasse venir les larmes. Il vit que Francis �tait un bon gros charcutier � moustaches gauloises noir corbeau. Il �tait pr�sentement un peu entre deux vins et houspill� par sa femme. Il avait le c�ur sur la main et, � fleur de gorge, la grande fraternit� des intemp�rants. Pour un peu, son "fouet", il l'aurait donn� au premier venu, lui, si sa femme n'y avait veill�. Ils avaient mang� le fouet dans la voiture en le coupant avec les dents sur la place de la mairie de R*. N* ne voulut pas croire que Francis s'�tait mis � boire. Il l'avait tant de fois d�pann�e quand elle s'�tait retrouv�e fauch�e avec les filles. C'est vrai que sa femme �tait une peau de vache. Apostolos Doxiadis dit qu'il y a trois choses que l'on ne peut cacher : le rhume, la richesse, l'amour. Il y eut aussi B*, qui est la capitale de c�ur de l'Europe. Ils y furent � un d�but de printemps. Il croyait bien n'y �tre pas revenu depuis le temps de l'agonie de Franco, il ne se souvenait que de la longueur infinie de l'Avenida D*, d'un enchev�trement de ruelles tristes et noires avec des gosses en guenilles et des chemin�es de Gaudi en forme de sentinelles sur le toit de la casa M*, mais il n'�tait plus tr�s s�r de ne les avoir pas seulement vues dans le film "Profession reporter" d'Antonioni. Pr�s de trente ans plus tard, la ville "des prodiges" le surprit une nouvelle fois par sa vitalit�. D�s leur arriv�e ils all�rent tout droit prendre une Agua limon � la terrasse d'un caf� de la plazza R*, au soir tombant. Ils log�rent � l'h�tel Rembrandt (il y avait dans l'incongruit� de ce patronyme nordique, ici � B*, quelque chose qui me stimulait), dans une petite rue anim�e jusqu'� pas d'heure du B*A*, � mi-chemin des R* et de la cath�drale. Elle l'emmena au Corte Ingl�s de la place de C* o� elle avait, elle aussi, des souvenirs. Ils fl�n�rent parmi les immeubles en d�molition des vieux quartiers o� P�p� Carvalho et le commissaire Mend�s ne tra�naient plus leurs gu�tres depuis longtemps. La bodega "Xampa�et", non loin du mus�e Picasso, avec ses tapas du tonnerre et son petit blanc p�tillant, leur servit, pour ces quelques jours, de quartier g�n�ral. Ils d�gott�rent aussi de vielles chocolateries o� des gar�ons compass�s en vestes blanches leur servaient de d�licieux chocolats viennois avec la condescendance qui convenait � la v�n�rabilit� des lieux. Il s'emplirent les yeux d'Art Nouveau et s'assirent aux terrasses, juste pour regarder palpiter la ville. Ils grimp�rent jusqu'au parc G*. La brise avait d�gag� le ciel et, vue du belv�d�re aux mosa�ques multicolores, la mer par dessus les toits leur appartint comme Paris apparut � Rastignac. Ils gravirent aussi la colline de M* pour acheter des santons au "Village E*" qu'on leur enveloppa dans du papier journal (on trouve les m�mes dans les boutiques du P*, � la fronti�re, N* avait la foi du charbonnier : elle croyait dur comme fer que c'�tait le petit vieux au moins deux fois centenaire du "Village E*", et seulement lui, qui les fabriquait � la main.) Malgr� les �chafaudages vertigineux, le fracas des machines-outils et les talkies walkies des ouvriers casqu�s de jaune, la S*F* se construisait avec l'exacte lenteur des cath�drales du moyen �ge. Ils purent compter le nombre de tours qui manquaient encore (une bonne douzaine, dont la plus haute) et firent le serment de venir inspecter l'avanc�e des travaux au moins tous les trois ans. L'id�e qu'ils ne vivraient probablement pas assez longtemps pour voir la fin des travaux ne les chagrina pas plus que �a. Ils regardaient, � la tomb�e de la nuit, les cartomanciennes s'installer sur les R*, derri�re de minuscules tables pliantes. Elles allumaient de petits photophores dont les flammes dansaient � la file indienne dans le vent qui venait de la mer. S�rieuses comme des papes, elles disaient les tarots � voix basse � des clients, souvent des hommes, soucieux, attentifs et contrits. Une heure plus tard, au plus, le salaire quotidien gagn�, toutes avaient d�j� pli� bagages. La promenade �tait rendue jusqu'au petit matin aux bateleurs, aux hommes-automates, aux supporters de foot, aux chorales de tous les pays, aux dealers, aux putes et aux joueurs de bonneteau. Une nuit, dans leur petite chambre, elle fut prise de frissons irr�pressibles. Rien ne put la r�chauffer. Elle n'avait pas de fi�vre. Cela passa comme c'�tait venu. J.D. Nasio dit qu'il n'est de douleur que sur fond d'amour. Ils furent aussi, un jour, l� o� la plaine butte sur les premiers contreforts des Pyr�n�es, sur la tombe de sa grand-m�re, � V*, parmi les cypr�s qui se d�coupaient sur les collines toutes proches o� l'on apercevait le tout petit village de Saint B* de C*. avec son immense cath�drale. La beaut� parfaite de la petite �glise romane � l'ombre de laquelle s'�parpillaient les s�pultures, ajoutait encore � la douceur et au sentiment de s�r�nit� qui �manait du paysage : il aimait ces petits cimeti�res de campagne, qui, � l'inverse des grandes n�cropoles, rendaient la mort presque famili�re. Elle voulut lui montrer le village, L*B*, et la maison o� ses parents, qu'elle n'avait pas revus depuis vingt ans, vivaient toujours, mais je compris que c'�tait eux, bien s�r, et non la maison, qu'elle voulait revoir, malgr� toute la douleur qui risquait d'en advenir. Il l'attendit dans la voiture en �coutant des cassettes. Une heure plus tard, elle le rejoignit, d�faite, comme ils s'y �taient attendus. Ce qui se fait par amour se fait toujours par del� le bien et le mal, dit Nietzsche. Une nuit d'ao�t, ils furent sur la route de C* � R*, en revenant d'un d�ner chez V*. Dans un virage, � la lumi�re des phares, apparut un verger au fond duquel se dressait une grande villa au toit de tuiles rondes et aux volets ferm�s, inhabit�e, qu'ils avaient plusieurs fois admir�e de jour. Depuis un moment, ils cherchaient un endroit pour garer la voiture. Ils long�rent � petite allure un muret de pierres s�ches qui s�parait le verger de la chauss�e ; ils finirent par y trouver une simple ouverture, sans portail. Les roues criss�rent sur une all�e de gravier qui menait, parmi les arbres fruitiers, � l'entr�e de la villa. Personne. La nuit noire, l'all�e blanche, les grillons, les sons dont est fait le silence des t�n�bres au moment o�, coupant le contact, il (ou elle, je ne sais plus) arr�ta le ronronnement du moteur et �teignit la lumi�re des phares. L'immobilit�. Le rythme asynchrone de leurs souffles. Elle portait (tr�s bien) une robe d'�t� longue et �troite, � fines bretelles, en tissus �ponge. N* leva les bras au-dessus de sa t�te et bascula son si�ge. N* lui a dit : enl�ve-la il suffisait que je la remonte comme un gant tu ne peux pas te souvenir toi puisque je m'en souviens des trois cercles blanc au centre brun que faisaient tes deux seins avec leurs pointes et ton ventre avec le nombril et cette robe tirebouchonn�e comme une chaussette, arr�t�e par son visage et ses bras il aurait fallu qu' elle bouge qu'elle se d�gage mais elle ne faisait pas un geste la femme cent t�tes elle ne voulait pas voir aveugl�e �tre vue mais il voyait son cou et ses art�res qui battaient les trois cercles de son ventre et de ses seins si ronds si parfaits ce n'est pas Adam que Dieu a d'abord model� dans la glaise informe c'est elle et lui je pose mes mains sur cette argile fr�missante pas que je ne me souvienne pas du cantique des cantiques ses seins sont deux faons jumeaux mais c'est plut�t � un passage des mille et une nuits que je pense ses fesses sont comme du beurre et puis ce n'�tait pas le moment de se souvenir m�me apr�s dans le silence de la nuit elle est rest�e avec sa robe sur la t�te elle ne voulait toujours pas voir mais il se souvient d'un chat qui est arriv� les chats arrivent toujours de nulle part il a voulu grimper dans la voiture �a les a fait rire. Pascal Quignard dit encore : Quand deux amants se s�parent, tous deux d�sirent � jamais. Le d�sir persiste en eux apr�s qu'ils se soient s�par�s. Cette ouverture est � jamais inassouvie. Nous nous mentons toujours sur ce point : c'est nous qui repoussons le d�sir (le vivant) quand nous l'accusons de nous d�serter.

Kateb, premi�re partie


Je suis dans mon bureau. Je travaille ou je t�l�phone, parfois m�me je suis en entretien avec un patient. On frappe � ma porte. Je reconnais la mani�re qu'on a de frapper, � la fois discr�te et insistante. je ne dis pas "entrez", mais la porte s'entrouvre quand m�me. c'est la trogne de Kateb qui appara�t. Kateb est le seul patient que je ne vais pas chercher moi-m�me dans la salle d'attente. Il ne m'en laisse jamais le temps. En plus, Kateb ne prend jamais de rendez-vous. De toute mani�re, �a serait inutile : il est l� presque tous les jours. Il a besoin de me voir tous les jours en ce moment. "T'as deux minutes, docteur Oussemane, a j'd�range pas l� ?" Il est capable d'attendre deux heures ces deux minutes-l�, si je lui dis que je suis occup� par exemple ou si je n'ai vraiment pas le temps de le recevoir. Il va se faire payer un coup au Marigny, va fumer deux ou trois clopes sur le trottoir de l'avenue Henri Barbusse, tape une converse avec un autre patient, revient, frappe � nouveau, repart, revient encore. Quand il a d�cid� de me voir, il peut �tre d'une pers�v�rance � toute �preuve. Il a raison, dame, je le re�ois toujours, � la fin. Kateb n'est pas tr�s beau. Il n'est pas tr�s grand, m�me plut�t petit, mais tr�s large. Il a une grosse t�te, de grosses l�vres, de grands yeux qu'il peut faire tourner � toute allure, un sourire �norme et �clatant, la boule � z�ro, du bide, un gros cul, des jambes courtaudes, de grosse paluches, la casquette viss�e � l'envers en �t�, et le bonnet � la virgule Nike enfonc� jusqu'aux yeux, en hiver. Il porte les jeans larges des rappeurs et des hauts de surv�t de marque, ou de grosses doudounes tr�s ch�res � capuches. Il a une d�marche qui fait penser � celle d'un jeune ours, rapide et oscillante. Il a bient�t trente ans mais en para�t au moins dix de moins. Tout le monde conna�t Kateb � Vigneux. Sa famille habite aux "Pierres Bleues", le p�re est gardien, Kateb l'aide parfois � renter les poubelles, en fin d'apr�s midi. Il y a toujours eu un probl�me avec Kateb, depuis la petite enfance. Il �tait suivi au CMPP, o� il retourne encore voir si son ancien m�decin est toujours vivant, mais on ne sait pas tr�s bien pourquoi. Il n'a jamais appris � l'�cole, il ne sait pas lire, compte juste ce qu'il faut, a un d�faut d'�locution, b�gaie un peu. C'�tait un enfant hyper actif comme on dit maintenant, il ne tenait pas en place, ne faisait que des b�tises, se faisait rosser par son p�re. Le p�re est un grand gars encore assez jeune mais qui ne parle pratiquement pas fran�ais, Il est tr�s respect� par toute la famille, m�me par Kateb, quoiqu'on puisse en penser, mais surtout par sa femme, qui est rest�e tr�s traditionnelle, paysanne, vieillarde bien avant l'�ge, tatou�e de partout, qui, elle, ne parle pas un mot de fran�ais, par sa fille Nedjma, la deuxi�me, jolie comme un c�ur, et par les trois autres gar�ons dont les deux derniers vont encore � l'�cole. Nedjma a �pous� un bandit. On s'en doutait d�j�, � pas mal de signes, qui d�teignaient sur Kateb en quelque sorte, en forme de caricature, mais c'est quand il a �t� assassin� � coup de revolver, l'ann�e derni�re, quelques mois apr�s la naissance d'un b�b� qu'on n'a plus eu aucun doute. Nedjma a disparu de la circulation quelques mois avec le b�b�, peut-�tre a-t-elle �t� envoy�e en Alg�rie, en tout cas elle vient seulement de r�appara�tre, remari�e, ou tout comme. Elle habite � Grigny, y invite Kateb de temps en temps, mais pas tr�s souvent, elle a plut�t coup� les ponts avec Vigneux. C'est dommage, enfin, fa�on de parler, parce que c'�tait quelqu'un sur qui on pouvait compter dans la famille. Kateb, � l'�poque nous avait parl� de tout �a, mais il en savait assez peu, avait �t� probablement tenu � l'�cart. C'�tait une p�riode o� il s�est mis � nouveau � aller assez mal, o� il m'a parl� pour la premi�re fois de choses terrifiantes, qui arrivaient � son corps, des transformations, des p�n�trations, des effractions, des viols, des choses qui lui �taient dites, qu'on le for�ait � faire, des voix si terrifiantes qu'elles le pourchassaient m�me la nuit et ne lui laissaient pas de repos. Des choses qu�il avait d�j� ressenties quand il avait �t� petit et qu�il avait �t� hospitalis� en psychiatrie � la Salpetri�re une fois, et une autre fois � Toulouse alors qu�il avait �t� plac� en famille d�accueil. Il s'�tait remis � boire beaucoup et � fumer du shit, ce qui ne lui r�ussit pas du tout, mais alors pas du tout. Il s'�tait remis � faire peur � tout le monde.
Merveilles 5


Si on veut bien consid�rer les choses sous un certain angle, on s'aper�oit que le monde de tous les jours rec�le bien des beaut�s cach�es. Prenez par exemple, un trajet sur l'autoroute A6 de la porte de Gentilly � Evry. La plupart du temps, me direz-vous, c'est un v�ritable enfer : Des files interminables de voitures sur six voies dans un paysage d�structur�, b�tonn� et m�tallique, travers� de lignes � hautes tensions. Rien qui ne puisse r�jouir le regard. Votre voiture, m�me confortable ne vous semble plus qu'un fourgon cellulaire. La nuit d�j� arrange un peu les choses, et peut monter des choses int�ressantes si vous n'�tes pas trop fatigu�. Le paysage, masqu� par l'obscurit� ne vous agresse plus. Avec trois fois rien d'imagination, votre fourgon cellulaire se change en une sorte de cocon motoris� qui semble glisser dans la nuit sur un long ruban lumineux blanc et rouge. Mais c'est au cr�puscule que la v�ritable beaut� surgit parfois. Il faut que l'allure de la file soit suffisante ; Il faut que vous vous trouviez � la hauteur des pistes d'Orly quand l'autoroute s'oriente enfin plein sud ; Il faut que le ciel soit d�gag� mais pas trop : Quelques nuages effiloch�s sont pr�f�rables. C'est le moment o� la route grise se m�tamorphose en ce ruban lumineux dont je parlais tout � l'heure. C'est d�j� magique, mais si vous avez la chance de vous trouver au bon endroit au bon moment, avec le soleil qui flamboie � l'horizon sur votre droite c'est toute une harmonie de rouges : des signaux lumineux de mat�rialisation de la piste d�atterrissage en passant par les feux arri�re des voitures jusqu'aux enseignes lumineuses des h�tels du bout de la plaine d�serte. Et si vous avez la chance qu'au m�me moment, surgisse un �norme A 320 � l�atterrissage qui semblera rouler sur le pont qui enjambe l'autoroute sous lequel vous allez passer, dans un vacarme de tous les diables, le spectacle touchera au grandiose.
Entre la r�gle de la World Company et l'exception culturelle franchouillarde je pr�f�re (tr�s) souvent encore la daube am�ricaine.

15 mai 2003

Merveilles 4


Je me suis toujours demand� ce que serait "Le M�pris" sans la musique de Georges Delerue. Il n'existerait probablement pas. C'est comme souvent dans les fims de JLG : on ne sait plus si ce sont les images qui se font musique ou bien la musique qui se met tout � coup � �tre visible (dans "Pr�nom Carmen", on voit m�me, en plans de coupe, l'orchestre de chambre qui joue la musique qui n'accompagne, justement pas, les images). Dans "Le M�pris", les images et la musique sont vraiment ind�pendantes. La musique n'accompagne rien, elle ne souligne rien, ne renforce rien. Et pourtant elle vous prend � la gorge, vous tire les larmes. C'est une question de phases. Elle fait irruption tout � coup, et les images prennent une dimension tragique alors qu'� la fraction de seconde pr�c�dente ce n'�taient que des images, justement (la fameuse phrase de Godard : pas une image juste, juste une image, etc.) C'est aussi un film qui vous regarde alors que vous croyez �tre en train de le voir. Tenez, Godard filme Raoul Coutard � la cam�ra prenant les images du film, mais la cam�ra est �norme, une locomotive, et Coutard est comme le Gabin de la b�te humaine. Il y a alors ce magnifique mouvement de travelling et de panoramique � la fois, pr�cis comme un ballet, o� la cam�ra et Coutard se tournent vers nous qui le regardons filmer et, qui, tout � coup, � la fin du mouvement, braque son objectif sur nous, nous fixe et nous filme, nous, spectateurs, soudains interloqu�s. Coutard nous d�busque dans l'obscurit� de la salle o� nous croyions �tre en s�curit� ; il nous prend en flagrant d�lit de passivit� : regarder un film est beaucoup plus passif que de lire un livre par exemple, on peut tr�s bien regarder un livre et ne pas le lire, ce qui est tout de m�me plus fr�quent que de ne pas voir un film qu'on est en train de regarder. Quand on lit le livre, on ne le regarde plus, on entre dedans (ou il entre en vous, c'est selon) pas seulement avec ses yeux, pas seulement avec tout son corps, mais aussi toute son histoire. Le cin�ma, on ne le regarde pas non plus, on le range dans notre t�te, � c�t� des r�ves. C'est cela que Coutard qui nous filme film� par Godard veut dire : le cin�ma, ce n'est pas ce que vous croyez. Ce n'est pas vous qui regardez le film, mais les images qui vous regardent. Nous croyons voir le cin�ma, mais c'est lui qui nous regarde. Nous croyons parler, mais c'est nous qui sommes parl�s.
Pens�e de la nuit N� 26 "Je deteste cette personne - Mais comment pouvez-vous la detester si vous ne la connaissez pas ? - La r�ponse est dans la question : je ne peux pas detester quelqu'un que je connais" Edgar Varese

14 mai 2003

N* ou le Trajet des Choses, première partie


dormitaine Ils avaient repris la route qui serpentait dans les vignes. Ils passèrent à F*, puis à E*, dans le massif des Fenouillèdes o� Jacques H* prit plusieurs années de suite des photos de Catherine M* nue, à T*, où il y a un hôpital psychiatrique, et B*, dans la montagne, tout près des cheminées des fées. N* cherchait des maisons � acheter pour démarrer leur vie commune. Le Canigou les couvait du regard. C'est à sa manière, une sorte de Mont Fuji, géant tutélaire et bienveillant. A la fin de la journée, ils étaient retournés à P* manger une glace avec beaucoup de chantilly chez "Espi". Ils dormaient à l'hôtel "Méditerranée", dans la rue qui mène à la gare où Salvador Dali situait l'exact centre du monde. Le Sud, encore : les ruines d'E*, désertes et blanches sous le soleil mat de fin Mars. La mer, calme et immémoriale, juste derrière les grands pins maritimes. Il revoit N* qui marche courbée, entre les murets et les statues, à la recherche du moindre tesson, sigillé ou pas (c'est elle qui lui a appris ce mot : sigillé). Elle brandit, joyeuse, ses trouvailles qu'il ne sait pas distinguer de banals cailloux. Le Sud. Le Sud et l'archéologie. Amour, appel sans délai du Jadis pur, dit Quignard. Au moment ou je frappe ces mots, ceux de Quignard, pas ceux de la ligne au-dessus, je suis frappé, moi, pour ainsi dire, de plein fouet, par la certitude absolue qu'aucune évocation du passé, telle que celle à laquelle je me livre ici, en vain, donc, si minutieuse soit-elle, ne pourra jamais décrire le manque (et toi, N*, si jamais tu lis ces lignes, qui sait trop bien la nature fulgurante de ce qui précède l'origine). Elle l'avait emmené aussi voir le musée des dinosaures, à E* au fin fond d'une vallée aride de l'Aude, bien au-delà de M*, de C* de F* et même de S*J*-et-le B*. Il n'y a rien que des collines sèches, chauves, pelées, ingrates. Un seul troquet entièrement années cinquante qui sentait la vielle bière. On les avait regardé par en dessous depuis le bar comme des extra-terrestres. C'était le lieu rêvé, pour un aussi improbable musée. Il ressemblait à une station de chercheurs d'or, en Oklahoma. Il y avait des vitrines avec des dents, des oeufs pétrifiés, des fragments de vertèbres. N* s'était attardée, rivée au moindre bout d'os et à l'ére jurassique. Mais cela n'aurait encore jamais assez avant le commencement. Elle s'accrochait tant au passé enfoui qu'elle s'y laissit parfois engloutir et disparaître. Elle avait bien connu Françoise Claustre, elle avait fouillé pour elle, il y avait dix ans, dans des chantiers où il s'en passait de belles, on fouillait tout le jour, et la nuit, on se fouillait les uns les autres (image d'images à la télé ? - où je revois Françoise Claustre seule au milieu du désert, enlevée par les rebelles d'Issen Habré, des siècles avant leur histoire) Elle la lui avait désignée un soir, parmi les clients, attablée seule, dans une brasserie de P*, la Casa C*, où ils mangeaient des escalivades. Trente ans après le Tibesti, elle était toujours archéologue. N* aussi, mais à sa manière. Une autre fois, ils étaient allés dormir dans le Vallespir ( qui sonne comme "espoir et soupir"), à C*, gros village qui se donnait des airs de ville, rendu célèbre - mais moins que Vauvenargues, Vallauris ou Mougins - par Picasso qui y avait travaillé deux ou trois étés. On y accédait autrefois par un "pont du diable" au-dessus du T*, torrent dont on pouvait soupçonner les colères ; maintenant on n'y passait plus qu'à pied, les automobiles empruntaient un viaduc moderne, construit juste à côté, qui faisait double emploi et défigurait le paysage. Leur hôtel était situé au bout du mail ceinturant le couur de la ville, bordé des deux côtés par des platanes centenaires et de jolies boutiques. Il y avait un musée d'art moderne. A cause des peintres que Picasso avait drainés dans son sillage, les autres cubistes, Soutine, puis Tapiès, Viallat. C'était un vrai musée, qui n'était pas consacré exclusivement à Picasso, fonctionnel et international, d'une taille raisonnable, correspondant à celle de la ville (mais qui n'avait rien des splendeurs de l'hôtel Salé dans le Marais, ni du charme du palais Grimaldi à Antibes), fermé le mardi et tout, comme les musées nationaux. Et c'était un mardi. Ils ne le visitèrent que l'été suivant, avec la foule. Il se souvenait d'un dîner d'amoureux, seuls dans la salle vide de chez V* une "vielle maison" de la ville, dont N* avait connu le fils du propriétaire au temps où elle habitait la région. Ils avaient bu un vin de Maury, tuilé, délicieux, et mangé des parillades de poisson. Un peu ivres, juste ce qu'il faut, ils s'étaient embrassés sous les porches, au son des fontaines. Il lui avait murmuré à l'oreille qu'à eux deux ils formaient une jolie "parillade". Les rues pavées et les places désertes, qui s'ouvraient les unes sur les autres, où leurs chuchotements résonnaient, leur appartenaient. ils rêvèrent d'y vivre. Un autre jour encore, elle l'avait emmené à la maison de Maillol, toute perdue au fond d'un vallon recouvert de vignes (le pays tout entier est recouvert de vignes) sur les hauteurs de B*. On en a fait un musée. N* s'y balada parmi les "beaux Maillol", qui son tous des reproductions du corps de cette seule femme, D* V*, mais c'est son corps nu à elle, N*, qui désormais occupe toutes mes pensées. Il n'y avait aucun autre visiteur, et pendant que la sensualité de la maison - c'était un tout petit musée dont on pouvait faire le tour en trois pas - s'emparait d'eux, ils échafaudèrent un plan pour faire l'amour sur-le-champ, parmi les statues, mais ils ne le mirent pas à exécution. Ils avaient traîné dans les petites rues désertes de C*, où Matisse et Derain ne peignent plus depuis longtemps, ils avaient acheté un bocal d'anchois et l'avaient mangé, assis sur la plage, face au clocher de l'église du village, construite sur la mer elle-même et dont la forme vraiment érotique laissait N* rêveuse, avec les doigts et l'huile qui leur dégoulinait des l�vres, en regardant les commandos d'hommes grenouilles revenir du large dans de belles annexes oranges. Port V* est un vrai port de vraie pêche, avec de vrais pêcheurs en salopettes bleues et cirés jaunes, exactement comme à Loctudy ou Fécamp. C'était fin mars. Malgré les restaurants qui avaient tout juste ressorti leurs tables, il y règnait ce trafic calme et laborieux qui surprend toujours les voyageurs habitués aux foules du mois d'août, comme si on les remisait en coulisses à la morte saison et qu'il fallait les installer à nouveau, dérouler les quais, remplir les bassins, semer les poissons, remonter les moteurs des bateaux, avec filets qui sèchent et pêcheurs en marinière dans le décor, les beaux jours revenus. Ils s'étaient installés à une terrasse d'un café de la Marine quelconque pour prendre les derniers rayons du soleil. Il avait lu l'"Equipe" pendant qu'elle ne faisait rien, le regard perdu dans la contemplation des travaux portuaires. S'il avait pu voir ses yeux, à ce moment là, il y aurait lu le désespoir qui les habitait peut-être déjà. Ils ne poussèrent pas jusqu'en Espagne, Port B*, où, le paysage perd subitement une grande part de sa beauté et où Walter Benjamin se suicida en 1940, comme le raconte J* H* dans "l'habitation des femmes". Ils regagnèrent P* en longeant la côte pendant que le soleil se couchait derrière les montagnes. Le sud, encore. Shakespeare dit que l'amour est une vapeur formée des fumées des soupirs. Elle l'emmena à M*, où elle rêvait de retourner habiter ; elle y avait vécu certains des jours les plus heureux de sa vie. Ils étaient descendus Rue S*, dans le sixième, pas de plus joli nom pour une rue, au B* Hôtel, à quelques dizaines de mètres du petit appartement qu'elle avait occupé, dix ans auparavant, quatre étages au-dessus du bout de trottoir où se postait tous les jours une accorte prostituée au décolleté mirobolant vu de si haut. Elles faisaient, en criant, un brin de causette tous les matins et tous les soirs, aux heures où on aère les draps et où on arrose les balconnières. Il y avait un colloque à l'h�pital de la T*. Ils avaient écouté H* C*, le premier jour, qui malgré ses quatre-vingts ans passés avait improvisé une intervention tout en malice, puis ils avaient sèché le reste toute une journée, passée au lit, à l'hôtel, peut-être lé même où la putain gynécomaste emmenait jadis ses clients. Plus tard, elle lui avait fiévreusement montré la ville, qu'il ne connaissait pas, sauf le vieux port, la B* M*, et le mur peint de Z*, rue par rue. Elle l'avait entraîné dans des marches à pied dont il ne l'aurait pas cru capable. Ils regardaient le prix des appartements aux devantures des agences. Il lui acheta des robes rue S*F*. Elle fut joyeuse comme une enfant. Il fut ravi de sa joie. Le quartier du P*, en pleine réhabilitation, lui plut, il l'avait imaginé beaucoup plus touristique, à cause du film "Borsalino" et de son côté italien ; il y avait beaucoup moins d'escaliers qu'à Montmartre. Ils descendirent la montée des A* et flânèrent le long des galeries blondes de la vieille C* déserte, à l'ombre de la coupole ovale. Mais elle préférait le sixième, la rue P*, la rue, B*, le cours P* et l'avenue du P* qui ressemblaient plus à Lyon ou à Paris. Le début de la C* lui parut sale et moche, avec des centres commerciaux ultramodernes déjà fatigués menaçant d'engloutir les récents restes de la ville antique mis à jour. Là encore, elle l'emmena longuement dans de petits squares déserts où gisait parfois une Vénus oubliée parmi des colonnes en rondelles ou des mosaïques effacées. Les habitants de M* ne lui parurent pas particuliérement méridionaux, d'ailleurs, ils parlaient français, étaient blancs, blacks ou beurs comme à Paris et toutes les autres grandes villes. A part un ou deux garçons de café, personne ne forçait sur l'accent. Le métro ressemblait au métro parisien et les autobus à des autobus de banlieue. Il s'attendait à croiser des Marius et des Jeannettes à tous les coin de rue : il ne savait pas encore que c'était Marie Jo qui me tenait par la main.

12 mai 2003



Je me souviens de "Y'a qu'une t�l�, c'est T�l�chat". Bonne f�te � tous les "je me souviens" ! (d�sol� pour la pauvret� du lien. Le chat Groucha et sa copine Lola la cigogne n'inspirent pas Google : incompr�hensible)
Pens�e de la nuit N� 25 "On ne peut jamais dire une seule fois la m�me chose" Alfred Jarry
MAISPUTAINMERDEQUOI : [ Adjectif] Superlatif de MAISPUTAINQUOI
(Ex : - maisputainquoi j'ai niqu� l'ordi - maisputainmerdequoi kesket�[kon|nul] !!! - pour une fois que je nique)

Et le D�finistaire, vous y �tes retrourn�, une fois, au D�finistaire, au moins. Je parie bien que non. Eh bah vous avez eu tort. Jamais vous faites ce qu'on vous dit de faire ici, des fois ? Et la Colonne de Droite, la LCD, elle n'existe pas peut-�tre ? Bah non, faut croire, quelle mis�re !(au cas, fort improbable, je sais, o� vous le feriez, de faire ce qu'on vous dit, pour une fois, en cliquant sur MAISPUTAINQUOI comme je vous y invite (pas celui-l�, il n'est pas en rouge, celui d'au dessus) laissez moi vous conseiller de suivre l'encha�nement des liens : c'est un pur ravissement ! Enfin, ce que je vous en dis, moi, hein...)
blograffiti Tenez, je viens de vous p�cher �� sur le web. C'est tout frais, �a fr�tille, �a sent encore la mer (c'est le cas de le dire) et c'est interactif ! Moi, je sais o� il est, mon graffiti, na nan�re ! z'avez qu'� faire pareil : Cliquez ! (bon, c'est amusant, �a d�tend apr�s une dure journ�e de travail, mais �a ne m�rite tout de m�me pas la LCD)

11 mai 2003

Merveilles 3



Derrière moi, la fugue naît du silence. Comme, dans l'espace intersidéral, une galaxie naît d'un seul atome, la fugue naît de sa seule première note : mi bémol. Puis, cent mille ans après, la seconde note : si bémol ; puis, le million d'année suivant, un triolet descendant : do bémol, si bémol, la bémol. Et, à la suite, tout le thème, sur deux mesures et demie. C'est comme une plainte, une douleur, mais déjà résignée, qui porte déjà en elle sa consolation. Pendant que j'écris ces lignes, derrière moi, la fugue se met lentement à tourner sur elle même, infatigable, majestueuse, lancinante. Elle entre en moi, me prend, m'occupe, me vainc, m'asservit. Sur trois voix, le thème revient, inexorable, évident, étendu par les modulations et ses "entrées" en escalier, par tierces et quintes descendantes de plus en plus graves. Une bonne trentaine de fois, il revient. Il frappe à la porte, on ouvre, il entre. On l'attend, il arrive, à chaque fois différent et pareil à lui-même, mais il arrive, le voilà : huit notes qui tranchent littéralement dans le vif, divisent l'espace et mon corps, en deçà (au delà ?) des mots. Il me faudrait me taire. Arrêter d'écrire. Vous laisser écouter, laisser la musique vous pénétrer. Mais, très probablement, vous lisez, vous, ces lignes, en écoutant rien, ou une autre musique, qui n' a rien à voir. Vous n'êtes pas au milieu de la nuit, en train d'écrire pendant que Glenn Gould joue derrière vous la fugue N° 8 du livre 1 du clavier bien tempéré. Max Dorra dit : " Lire c'est laisser rêver un texte. Des images insolites, des thèmes insistants alors émèrgent dont on ne saura jamais � qui ils appartiennent vraiment, � l'auteur ou au lecteur. Peu importe puisqu'on est devenu le sujet du rêve."
"Sept jours" : Vendredi

Ferm� le vendredi (en principe
OUF ! Tout est r�par�. Merci encore de votre patience, � vous tous.

10 mai 2003

Entre "Blogger" (qui est aux autres �diteurs de blogs ce que la voiture � p�dale est � la formule 1) et n'importe quel autre �diteur de blogs, beaucoup plus s�r, je pr�f�re b�tement toujours "Blogger"
Trois heures plus tard... Chers ciscobloggers. Malgr� mes bourdes je fais tout de m�me des progr�s en HTML : j'ai en partie d�j� r�par� la catastrophe. Sans aller jusqu'� dire que vous ne vous seriez peut-�tre aper�u de rien, le message ci-dessous �tait donc un tant soit peu alarmiste (seules les archives ont pris un vrai coup, peut-�tre irr�parable, mais pas s�r, elles restent tout de m�me lisibles.) Toutefois, il est trop tard pour que je puisse terminer de recopier tous les liens en rubrique "liens" de la LCD enfin retrouv�e. Que les heureux ou�bmestres auxquels ils renvoient veuillent bien patienter encore quelques heures, et, vousjure-je, il n'y para�tra plus. Merci encore de votre indulgence � tous !
Chers Ciscobloggers. Je viens de faire une �norme boulette dans l'utilisation de Blogger, qui a, entre autres, "mang�" toute la colonne de droite (la LCD). Je travaille d'arrache pied pour tenter de r�parer le probl�me. Dans quelques jours, il n'y para�tra plus et vous retrouverez votre ciscoblog tout comme avant. Mille excuses. Je compte, bien entendu sur votre l�gendaire indulgence en attendant. Merci

08 mai 2003

Pens�e de la nuit N� 24 "Les bons crus font les bonnes cuites" Pierre Dac, Essais, Maximes et Conf�rences

07 mai 2003

Liste de noms qui sont aussi des pr�noms. Petit rappel (et petite pub, absolument gratuite) : n'oubliez pas de visiter r�guli�rement "Echolalie", il y a toujours du nouveau dans l'�tonnant WIKI. La LCD n'oublie pas ce qu'elle lui doit.

06 mai 2003

Je me souviens de Maria Callas quand elle �tait une grosse dondon.
"Sept jours" : Jeudi

Ferm� le jeudi, enfin, ce jeudi l�, tout au moins

05 mai 2003

Entre un chef d'oeuvre au cin�ma et une connerie � la t�l� je pr�f�re toujours la connerie � la t�l�
Parfois j'ai la t�te vide. Parfois non, �a vient tout de suite. Travail de m�moire, myst�re. Plusieurs fois par jour des souvenirs me reviennent, � la pelle, comme les feuilles mortes de la chanson, par salves ou par bouff�es, au moment les plus inattendus, en voiture par exemple, � un feu rouge, en regardant traverser une femme ou pendant un entretien avec un patient qui m'ennuie un peu et renforce particuli�rement le c�t� flottant de mon attention. Je ne prends pas la peine de saisir le chemin d'une possible association, je n'essaie pas de comprendre l'irruption, je pr�f�re me livrer au plaisir qu'elle m'apporte et me laisser aller au jeu de ramifications qui peuvent devenir infinies. Par exemple : Festival d'Avignon 1967 avec G* et je ne sais plus qui. Le camping sauvage dans l'�le de la Bartelasse, le soleil qui tape � fond sur les tentes le matin. La travers�e du pont vers les remparts sous le cagna. Presque un calvaire. Le cousin B* S* install� l� comme v�t�rinaire qui se moquait des festivaliers et pestait contre Avignon en hiver parcouru de Mistral. Le d�jeuner toujours au m�me petit bistro d�gott� non loin de la place de l'Horloge. Je me souviens du prix du menu : cinq francs, de la trogne sympathique de la grosse patronne et des salade de tomates et poivrons qu'il y avait tous les jours. Souvenir aussi du caf� La Civette, allez savoir pourquoi. (si, je sais : � cette �poque l�, je fumais. Gauloises, Celtiques.) Le � Petit Train de Monsieur KAMODE � ( Capitalisme Monopoliste d'Etat, grande th�orie du PC de Waldek-Rochet, encore avant George Marchais.) pi�ce d'Andr� Benedetto. Le th��tre du ch�ne noir de G�rard Gelas, assez baba, mais c'�tait l'�poque, mauvaise copie du Living Th��tre. L'ann�e suivante, il fera tout un cin�ma en s'encha�nant avec la troupe du m�me Living Th��tre le long des grilles du Palais des Papes. Les quatre fils Aymon de B�jart dans la cour d'honneur du palais des Papes et Nomos Alpha du m�me B�jart avec Paolo Bortoluzzi. Peut �tre Georges Down, mort bien plus tard du SIDA, dansait-il dans les quatre fils Aymon. Puis en 74 ou 75 avec C*, C* B*, J* C* B*- d�j� - et S* J*. Une tr�s chouette C�lestine mise en sc�ne par Thadd�e Jurado dont je ne sais absolument pas ce qu'il est devenu. Du th��tre off partout, dans des endroits improbables, dans des cours avec des arbres qu'on se d�brouillait pour int�grer au d�cor et c'�tait sacr�ment r�ussi, et la chasse aux chaises : plus une chaise dans Avignon ce mois l�, les vieilles avignonaises se faisaient des c*** en or, si je puis dire. Nous cr�chions dans un dortoir et nous allions trois fois par jours au spectacle. Superbe "As you like it" dont j'ai d�j� parl� dans la cour d'honneur du palais de papes. R�p�tition de la troupe de Merce Cunningham � la chartreuse de Villeneuve les Avignon et superbe spectacle d'Alvin Nikolais dans la cour d'Honneur. Ballades en mob dans les Alpilles. Panne de voiture � Saint R�mi de Provence. Mais quelle voiture? L'ami 6 ou la R5 de parents? Souvenir d'un arr�t prolong� � Saint R�mi le temps de la r�paration, mais ou avions nous dormi ? Camping ou H�tel ? Avions nous m�me pass� la nuit l� ? Et si cela avait �t� au contraire deux jours ? Retour en Avignon depuis : deux souvenirs. Lors d'un congr�s de l'association "Accueils?" moribonde il y a quatre ou cinq ans ou plus... ( j'avais revu avec plaisir F* connu � Moisselles et alors chef de service � Valenciennes, j'avais honteusement �t� dragu� par une psychiatre bretonne, jolie brune tr�s provocante) et il y a deux ans avec le Z*, sur la route du festival de la Roque d'Anth�ron o� nous ne v�mes pas Martha Arguerich, qui une fois de plus s'�tait d�command�e au dernier moment. D�ception dudit Z*, qui �tait dans sa p�riode c�l�brit�s et "�uvres d'art". Martha avait �t� remplac�e au pied lev� par un jeune plein d'avenir, Nicolas Angelish, que bien entendu, le Z* avait trouv� compl�tement nul. Revu aussi Saint R�mi de Provence avec le Z* le m�me �t� 1999. et les baux de Provence aussi : plus rien ne ressemblait � mon souvenir de la panne de voiture. Aix en Provence, go�t de calissons dans la bouche et les platanes du cours Mirabeau. Combien de fois dans ma vie? Une fois avec les parents, dans l'enfance, � peu pr�s s�r (souvenir de la grande place ronde qui pr�c�de le cours Mirabeau quand on arrive dans la voiture de Papa). Une autre fois avec C* tr�s probablement quand nous avions rendu visite � G* C* et D* S* avant (ou apr�s?) la naissance de J*, dans la maison des parents de G* � Rognes (go�t du vin de Rognes dans la bouche et aussi des tomates m�res, souvenir stupide de G* en train de rater une sauce b�chamel inratable). Peut-�tre une fois aussi avec F*, sur le chemin d'Antibes et de la rue Barcancannes, en face de la maison de Pr�vert (Jacques, le po�te) dont l'autre c�t� donnait sur le rempart et la mer ( Souvenirs du March� d'Antibes tout proche et go�t de la Brousse dans la bouche que F* achetait et souvenirs des sardines farcies de la grand m�re de F* aux yeux �trangement brid�s et aux pommettes hautes, comme son fils et sa petite fille, un air de Russe d'Asie.) La maison deux pi�ces par �tage de chaque c�t� de l'escalier avec tout au sommet le "poste de pilotage du "commandant", beau p�re du p�re de F*, ancien pr�fet, ancien directeur de cabinet de L�on Blum. La derni�re fois - souvenir encore parfait - toujours avec le Z*, un soir sans concert � Laroque d'Anth�ron, d�n� dans un improbable resto chinois des rues non loin du cours Mirabeau. Et sous le pont Mirabeau, � Paris coule toujours la Seine et mes amours faut-il qu'il m'en souvienne Sonne l'heure je demeure...(voix de C* dans ma t�te qui chante � merveille la tr�s belle version de L�o ferret.)

03 mai 2003

Merveilles 2


J'irai revoir aussi la vocation de Saint Mathieu � San Luigi Del Franscesci, � Rome. The "Calling" of Saint Mathew. C'est en recherchant une image du tableau sur internet que j'ai �t� mis devant l'�vidence du titre en anglais : "l' Appel". Je n'y avais jamais pens�. D'ailleurs, le tableau le dit bien : le personnage dans l'ombre, � droite, juste au dessous du rai de lumi�re, presque enti�rement masqu� par son serviteur, et dont on ne voit pratiquement que le profil, c'est le Christ. Son r�le est jou� par une sorte de chambellan ou de fondtionnaire de gauche charg� des oublis de l'empereur. Il tend une main fatigu�e, molle et autoritaire. Elle montre un homme d�j� m�r qui compte de l'argent, attabl� avec des employ�s, peut-�tre. Cet homme, surpris, se d�signe, "Moi ? Mais que me veut-on ?" M�me l'ap�tre, le serviteur, n'est pas tr�s s�r que c'est bien cet homme qu' a d�sign� son ma�tre, "C'est bien celui-ci ? Vous �tes s�r ?" J'ai toujours pens� que la "vocation", ("avoir la vocation", pour les "ordres", pour la "m�decine", la "musique"..) �tait quelque chose qui venait de l'interieur, comme une pulsion, qui pousse, en vous. Mais non. Le tableau dit l'inverse : c'est un appel de l'ext�rieur. On vous tire, on vous prend par l'�paule. Un homme venu d'ailleurs, que vous ne connaissez pas, vous d�signe tout � coup, allez savoir pourquoi, myst�re de la gr�ce, et vous suivez, jusqu'� Ormesson, votre vie est transform�e, jusqu'au martyr, il suffit de regarder sur l'autre mur � San Luigi del Franscesci. Un jour dans ma jeunesse, moi aussi, j'ai eu la vocation. Je me m�fie, je sais ce que c'est, enfin, je croyais savoir. La sc�ne se passe de nos jours. C'est un tableau biblique en costumes modernes. D'habitude, chez Caravage, il n'y a pas de d�cor. On ne voit pas le fond. C'est sombre, c'est le fameux "t�n�brisme". Ici, il y a un fond, tr�s peu �loign�, un d�cor de mur avec surtout cette fen�tre aveugle. Elle me fascine cette fen�tre d'o� ne vient pas la lumi�re. Elle semble une pure fen�tre de th�atre, comme dans ces sc�nes de transition, o� l'on joue sur le devant de la sc�ne pendant que sur la profondeur du plateau, derri�re, on s'active pour changer le d�cor de la prochaine sc�ne. Nous ne sommes pas dans une auberge, enfin peut-�tre que si, pas � l'int�rieur mais � l'ext�rieur, alors. Dans la cour, disons. C'est cela, nous sommes dans une cour, � l'ombre. Nous ne sommes pas dedans, mais dehors.On comprend pourquoi alors la lumi�re ne vient pas de la fen�tre. Nous sommes dehors, pas dedans. La fen�tre ne peut donc pas nous �clairer, nous. Elle a assez � faire avec un int�rieur qu'on ne voit pas. Elle n'est pas aveugle, la fen�tre. C'est une fen�tre qui voit, au contraire. Mais elle n'�claire pas notre sc�ne : la lumi�re vient encore d'ailleurs. D'ou vient-elle, alors, la lumi�re ? C'est le Christ qui l'am�ne, la lumi�re, avec lui, c'est pour �a qu'il a l'air si las. C'est la lumi�re d'un dehors encore plus dehors, une lumi�re qui vient peut-�tre de la rue, par la porte coch�re ouverte, � droite, enfin, on ne sait pas. C'est ce rai de lumi�re qui "est" la v�ritable vocation, l'appel. Pas la main molle du Christ. Mathieu est "illumin�". Pas qu'il ait tout compris, loin de l�. Il est illumin� par une lumi�re que le christ, en le d�signant apporte avec lui, presque sans le faire expr�s, bon dieu, encore cette lumi�re, encore une illumination, bon, allon-y puisqu'il le faut : "eh, toi l� bas ! " etc. C'est la lumi�re de Dieu le p�re, soi-m�me, le type au projo, dans la coulisse, celui qui ne fait qu'�clairer la sc�ne.
Voil� un petit moment que je ne vous avais pas offert un petit lien sympa. C'est maintenant chose faite, non, non, ne me renerciez pas !. Si vous voulez tout savoir sur l'histoire du Sparadrap � travers les �ges, je vous conseille le tr�s serieux site juste au-desous de votre pointeur, oui, juste l�, au-dessous ! Bonne visite !

02 mai 2003

Je me souviens que, cet apr�s midi, je me suis souvenu de quelque chose qui aurait pu faire un tr�s bon "je me souviens", mais je ne me souviens plus quoi (d�j� bien beau que je me souvienne que je me suis souvenu...).

01 mai 2003

Pens�e de la nuit N� 23 : "La main s'ouvre, d�ploie ses doigts vers le dehors. Eclatement, transcendance vers le monde, objet ou sujet, chose ou �tre humain, les doigts ne se referment pas en une prise, en une emprise, en un "main-tenant". Elles restent tendues, ouvertes... Ainsi la main se fait caresse. La caresse s'oppose � la violence de la griffe. La "caresse" est un concept ou plut�t un anti-concept qu'Emmanuel L�vinas introduit en philosaphie, d�s 1947, dans Le temps et l'autre, et qui parcourt toute son oeuvre, jusque dns les textes les plus r�cents : "Cette recherche de la caresse en constitue l'essence par le fait que la caresse ne sait pas ce qu'elle cherche. Ce "ne pas savoir", ce desordonn� fondamental en est l'essentiel. [...] La caresse est l'attente de cet avenir pur, sans contenu." La caresse d�couvre une intention, une moralit� d'�tre qui ne se pense pas dans son rapport au monde comme saisir, poss�der, ou conna�tre. La caresse n'est pas un savoir mais une experience, une rencontre. La caresse n'est pas une connaissance de l'autre mais son respect" MArc Alain Ouakine, M�ditations �rotiques, Essai sur Emmanuel Levinas