« Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie de n’être pas fou.» B.Pascal
31 juillet 2005
27 juillet 2005
26 juillet 2005
25 juillet 2005
24 juillet 2005
Voici ce qui arriva. La Thunderbird rendit l'âme. Elle eut de ratés. Elle refusa d'accélérer. elle se traîna. Elle eut des hoquets. On la mena à un garagiste, dans un hameau presque déserté qui n'était pas une de ces villes fantômes plus tôt traversées, mais presque. Le garagiste était un homme sans âge, énorme sous son stetson, torse nu sous sa salopette, une sorte de Dieu mineur taillé dans la glaise et ombrageux. Il jeta un coup d'oeil définitif sous le capot. Il disparut dans son atelier sans un mot et revint avec un tuyau d'arrosage, sans répondre à nos questions. Il méprisait ces étrangers. Il grommela quelque chose comme "Get away from there" avec deux ou trois jurons que nous ne comprîmes pas et noya le moteur sous un torrent. La Thunderbird rendit un dernier long soupir de machine à vapeur - l'ontogenèse résume la phylogenèse - et s'éteignit définitivement. D'un geste de la main tranchant l'air le représentant momentané de la plus grande puissance invitante du monde nous signifia que c'était "over" et retrouva son fauteuil à bascule l'ombre de son atelier. Don not disturb any more. Nous restions là, incrédules, devant le garage clos et notre voiture immobile. Elle avait encore fière allure malgré la poussière du désert et le brouillard de vapeur. Personne n'aurait pu la prendre pour une épave. Il y avait un cabine téléphonique à pièces (je me souviens des cabines téléphoniques à pièces américaines)à trente mètres. On joignit San Francisco (imaginez vous devoir joindre Paris du plateau du Larzac en plein milieu des années soixante dix, c'était pou cela que l'Amérique était un grand pays.) L'agence de location enregistra la perte de la Thunderbird et nous promis un véhicule de remplacement sous quarante huit heures. A nous de rappeler pour le lieu de rendez-vous. Pas de quoi dormir sous un toit à Scottsdales. Deux enfants (quinze ou seize ans) conduisaient un pick-up Ford. Salopettes et foulards autour du cou, tout droits sortis d'une photo de Dorothea Lange. Ils voulaient bien nous emmener au premier motel. Une des filles monta à l'avant sur le large siège du passager et les trois autres grimpèrent sur le plateau au milieu des bidons et des barres à mines. Le motel appartenait à la tribu Navajo (les cuistots faisaient cow-boy après le service) mais ressemblait à tous les dinner's de l'Amérique profonde avec sa façade striée de gris qui rappelait les cars greyhounds. Comme partout, le généreux T bone steack avait un goût sucré. Nous passâmes vingt quatre heures enfermés dans l'air conditionné ou à mariner dans l'eau tiède d'une piscine douteuse. Le lendemain, un Xman coiffé en brosse, à lunettes noirs et costume trois pièces, surgi de nulle part comme dans les films, nous fit demander et nous conduisit à notre nouvelle monture : une impeccable Chevrolet noire, stricte comme une bonne soeur, garée devant le motel. La Chevrolet était beaucoup plus banale que la Thunderbird mais beaucoup plus solide. Nous mîmes cependant quelques heures à lui faire confiance. Elle nous mena sans encombres, à travers les landes de Tolumnie meadows au sommet du Tiogga pass, neuf mille neuf cent pieds plus haut. C'était exactement un an avant ta naissance, Jérémie.
21 juillet 2005

19 juillet 2005
16 juillet 2005
L'espace. On a que ça à la bouche, l'espace, quand on parle du Far West. On le qualifie de grand. Et on le met au pluriel : Les Grands Espaces. On s'imagine des plaines, des chevaux, des cailloux, des vallées de la mort. Clément Rosset parle de cette curieuse émotion, de ce sentiment d'étrangeté qui vous etreint dès lors que ce que l'on perçoit correspond absolument à ce qu'on imaginait. Cette irruption du réel. Cette confirmation que l'on attendait pas : "9a existe, alors..." Le réel est un astéroïde. Le réel est un rhinoceros, un désert, un bloc en travers de l'image. C'est "exactement ça" (exactement quoi ?), même si c'est en beaucoup, beaucoup plus grand. Parce qu'on ne peut imaginer que le plus grand, on ne peut imaginer que le pire. C'est comme la Tour Eiffel. On sait depuis toujours qu'elle est haute, mais quand on la voit pour la première fois on ne peut s'empêcher de dire 'Ah oui, elle est haute" et on se tait devant sa hauteur. " C'est exactement ça..." On se tait devant 'Monument Valley" à midi. "Ah oui, c'est beau". On se tait comme dans une cathédrale. Cinquante trois à l'ombre. Pas âme qui vive. 'Ah oui, c'est le désert". On ne connaît pourtant pas d'autres "grands espaces", on n'a pas vu la Mongolie ni la Sibérie ni l'Abitibie, mais on a compris : Ce désert est l' idée même de désert. Les grands espaces américains surprennent toujours, en dehors de leur côté éminemment réel, à cause des villes, peut-être, mégapoles qui sont leur antithèse, leur exacts contraires. Ce ne sont pas seulement des espaces "entre les villes" qu'on pourrait sauter par n'importe quel moyen de transport, comme on aurait pu s'y attendre, tellement on "imagine" le Far west, tellement on pense qu'il n'existe pas. L'espace est ici monumental. Il devait déjà être monumental bien avant Christophe Colomb. (de même on pourrait dire que la foule, en Inde, est monumentale). On baisse le front, sous les yeux de ces espaces-là. La Ford Thunderbird s'engage bravement sur une route de terre qui serpente entre les mesas. Il fait l'imaginer toute petite comme un point rouge tout en bas, sur l'ocre de la terre, vu par l'indien Navajo en embuscade tout là haut sur le plateau. C'est du sable fin, fin. C'est du sable jaune, jaune. des ondulations. On s'exclame : "c'est comme le Sahara !" mais on n'est jamais allé au Sahara. C'est son premier désert. On enfile les scaphandres pour une nouvelle sortie dans l'espace. La Ford va attendre. Il y a une petite dune. Elle barre le ciel blanc de plomb fondu. Elle n'est pas très haute. On peut l'escalader. Arrivés tout en haut, on est épuisé. Pas de vue. Une autre dune, pas très haute, barre encore le ciel de plomb. Ce n'est plus seulement le bruit du sable qui coule sous les pas qui brise le silence. Depuis trois secondes il y a une rumeur qui vient de derrière la dune. Le sol tremble sous les pieds, la rumeur se fait tonnerre. Thunder. Un, deux, dix, vingt mustangs tout noir dévalent la dune comme dans les films, comme dans les rêves, venus de nulle part et s'enfuient sans nous jeter un regard. Le tonnerre s'éloigne derrière une autre dune. Vingt secondes après, un cowboy descend la dune à cheval. Il suivent les mustangs. C'est un navajo, les cowboys sont indiens, maintenant, ça ne fait rien. Pas un regard, lui non plus. Puis de nouveau le silence lunaire. Retour au LEM.
15 juillet 2005
13 juillet 2005
10 juillet 2005
09 juillet 2005
08 juillet 2005
26 (titre provisoire) XX, 2
Jean Paul répéta deux fois les vers fameux de Kipling : "Si tu rêves et ne te laisse pas emporter par ton rêve, tu seras un homme mon fils". C'était son garde fou, comme il disait. Il rêvait beaucoup, ces temps-ci, et quand il n'était plus très sûr de rêver, quand il se sentait passer à travers le miroir, il se récitait les vers et, pendant qu'il y était, tout le poème qu'il connaissait par coeur en version originale. Il rêvait de choses abominables. Ainsi, ce soir là, il n'avait pas trop résisté aux médicaments et était monté se coucher. Moins d'une heure après, Haltman débarrassait la table en regardant la télé et Marianne passait des coups de fil dans le bureau, on entendit un grand remue ménage au premier étage : Jean Paul s'était reveillé en sursaut. Alain et Marianne étaient montés quatre à quatre. Il était debout dans le noir au milieu de la chambre de Vincent, monsieur B., qui ne dormait pas non plus mais faisait le mort dans son lit, la couette sur la tête . "Vous n'avez pas trouvé mon oreille ?"leur demanda Jean Paul. Il était loin de plaisanter. "Votre oreille ? " - "non, mon oreille, vous ne l'avez pas trouvée ? Je cherche mon oreille." Monsieur B. marmonnait sous la couette qu'on le laisse dormir "son oreille, son oreille, je vous demande un peu." Ils tirèrent doucement Jean Paul sur le palier et le reconduisirent à sa chambre. Cela se reproduisait plusieurs fois par nuit. Il partait en morceaux. D'autres soirs : il était là au milieu de palier et leur disait qu'il se récitait du Kipling. "Vous ne savez pas où je pourrais trouver des chaussures à semelle de corde ?" - "? " - "Pour empêcher le contact direct avec la terre. J'ai les jambes froides et mal au ventre". Il posait sa main sur l'épaule d'Haltman et lui demandait : "ça va, là ? " et Haltman comprenait soudain qu' en posant sa main, il se branchait, qu'il ouvrait les vannes de la communication directe, qu'il pompait une source d'énergie. Il avait peur de le tuer. "J'ai de mauvaises pensées vous concernant, parfois..." Cela pouvait très bien mal se terminer. Jean Paul était assis sur son lit, coudes sur les genoux et parlait derrière ses mains plaquées sur les yeux. Haltamn s'était assis à même la moquette, comme il faisait souvent, aux heures pales de la nuit. "Si votre père avait tué, vous lui pardonneriez ?" il avait rêvé que son père était impliqué dans l'assasinat de Medhi Ben Barka. Haltman voulut lui rappeler ce soir-là son "garde fou", "tu seras un homme mon fils", qui est une parole de père et que le meurtre du père est symbolique et lui parler des semelles de cordes qui s'interpose entre lui et la terre, la terre-mère, la terre nourricière. Mais il se rappela cette autre phrase de J.Claude Pollack : "En pays de psychose on n'est pas interprête, mais géomètre ou cartographe" et se tut. il était de toute façon déjà "pris" dans l'angoisse de Jean Paul, ne pouvait plus rien pointer sur la carte, pas plus que Marianne qui se transformait lentement et sûrement en homme déguisé en femme. Jean Paul leur dit la haine crue et irrémédiable de son père, qui avait rendu sa mère "complètement folle" et les persécutait tous les deux. Mais parfois, de moins en moins souvent, il allait mieux, comme le soir du poème, il reprenait le balai ou bien allait affronter le froid intersidéral au marché, au milieu de la foule. Il ramenait, par exemple, un canard et des patates à faire sauter. Il tenait à leur préparer à manger en racontant que tout le monde le regardait de travers avec son cadavre de canard à la main. Il parvenait même à sourire. Au déjeuner qui suivrait, il essaierait d'entretenir la conversation : "vous vous rendez compte, ce qu'on entend à la radio ? Il y a dans le système solaire une planète invisible froide à plus de -500 degrés." - "Cela n'est pas possible !" C'est monsieur B. qui aurait répliqué sans lever le nez de son assiette ( Monsieur B. c'etait celui qui tournait en rond, montait et descendait les escaliers cent cinquante fois par jour. Il s'arrêtait pour manger, tout de même, s'installait toujours au bout de la table, se faisait servir. Il se goinfrait. Il fallait dire que lui aussi avait un fils très fou, de trente ans à peu près. L'âge de Jean Paul. On dit qu'il n'y a pas de hasard. Ce fils était barricadé chez lui, avec la complicité de sa redoutable mère qui jouait double jeu, refusait de sortir, avait mis son père à la porte, c'était pourquoi on le retrouvait au 26. Monsieur B. était un bricoleur autodidacte et génial) "Ben non, ce n'est pas possible, ça. Ce n'est pas possible, mais ils le disent tout de même à la radio, ces cons, ils nous polluent l'esprit avec leur conneries ! " Jean Paul, interloqué aurait répondu : "Et pourquoi ce n'est pas possible ?" - "A cause du zéro absolu, tiens ! - 273 degrés". Et monsieur Vincent se serait lancé dans une grande dissertation scientifique où il aurait été question de chaud et froid, d'échanges de chaleur, de compression, de détente de pression et de loi de Mariotte, du génie d'Einstein et de l'accélération des corps célestes. Le tout sans pratiquement lever le nez de son assiette. Et Jean Paul en serait resté baba, lui qui aurait toujours pris monsieur Vincent pour un primitif. Et il se serait passé quelque chose entre ce père dont le grand problème était le fils et ce fils dont le grand problème était le père (tu seras un homme...). Et Vincent aurait continué sa diatribe sans se rendre compte qu'il s'adressait à un fils et que les fils, s'ils étaient des pères "reproduits" ne l'étaient pas à l'identique, et Jean Paul aurait entendu une parole de père et aurait entrevu que les pères n'étaient pas que des criminels. Il y eut un silence autour de la table. On entendit Gilberte : "je veux retourner chez mémé..."
06 juillet 2005
Ford Thunderbird, 2
Le reste n’est pas un road movie. Pas d’équipée sauvage, mais des routes oui, des routes, droites. Défiant l’horizontalité comme les grattes ciels défient la verticalité. Puisque nous sommes dans le plus grand pays du monde, roulons sur les routes les plus droites du monde, les plus infinies, dans les plaines les plus plates, les déserts les plus désertés. Soyons un tout petit point qui avance sous le regard des dieux. Personne devant, personne derrière, seuls au (nouveau) monde, le Far West nous appartient. La Ford Thunderbird taille de grands blocs d’espace et les fait sien : que faire d’autre en un pareil lieu ? Mais est-ce bien un lieu ? Est-ce bien le mot ? A droite cailloux et cactus, à gauche cailloux et cactus, champs de cailloux et champs de cactus, derrière la nuit et le grand nulle part, devant le soleil qui n’en finit pas de se coucher et la montagne qui n’arrive jamais. Nous ne roulons pas. Nous sommes immobiles dans un image. D’ailleurs autant s’arrêter, poser juste le pied sur le frein pour débrayer le régulateur de vitesse, ne pas freiner justement, décélérer sur notre aire, couper le moteur, histoire de vérifier que la réalité existe bien. S’arrêter dans le désert déserté, tellement plat qu’il se situe à une altitude négative, sous le niveau de la mer, fouler de nos pieds nus l’asphalte rugueux et brûlant, vite remettre ses chaussures et s’aventurer cinq ou dix mètres dans la caillasse, vers un géant vert qui nous tend ses bras levés, le premier d’une armée immobile, là où la main de l’homme n’a certainement jamais mis le pied comme disait le capitaine Hadock. En tournant le regard par-dessus l’épaule, parce que l’immensité devant est insupportable à nos yeux, s’assurer que la Thunderbird est bien là, comme un lion, comme un sphinx, comme une capsule spatiale, dans toute la force de sa réalité, encore plus immobile qu’en plein mouvement, qu’on ne nous l’a pas ôtée, qu’elle n’a pas disparue par enchantement puisque c’est ainsi quelle est arrivée là. Dans cette plaines d’absolue platitude, dans ce désert déserté, que pas une âme n’habite, qu’aucun fantôme ne hante, dans cette pure étendue, mathématique, vectorielle pour ainsi dire, se sentir habiter sur la terre dans la chaleur encore accablante de ce crépuscule gris, totalement dénué de lyrisme.
26 (titre provisoire), XX
30 décembre 19.., à Alain avec amitiés
Jean Paul M.
You know who’s got a screw loose
The tenant of the mad house
He says : “I’m Mickey Mouse”
When he had drunk a little glass
And then he dances
And then he shouts
All the day long
On his bath mat
He can tell you
What means the star
That’s twinkling
Far in the sky
He grows a rose
In a big pot
And with it
Speaks a lot
He’s composing
Some poetry
About the amazing story
Of a spider in his head
Weaving a golden cobweb
If you happen to meat him
Give him a form to fill in
Maybe he’d write for you
What is wrong
And what is true.
04 juillet 2005
Ford Thunderbird, 1 (Automobiles, 3)
"Burgundy" ne désigne pas la région mais la couleur, plus encore en anglais que "Bordeaux" en français. Existerait-il des perceptions colorées (nuances entre les terroirs) influencées par les langues ? Je n'ai jamais fait la différence entre "Burgundy" et "Bordeaux", et en français on n'utilise pas "Bourgogne" pour désigner certaine qualité du rouge. Quoiqu'il en soit, il s'agissait d'un profond et voluptueux rouge sombre, qui évoquait les plus grands crus et le meilleur goût, d'autant que les vins californiens, qui plus était dans leur propre pays d'origine, n'avaient pas encore gagné leurs lettres de noblesse. Noblesse forcément d'origine française, "Burgundy" ne désigne rien d'américain, cela faisait partie du peu qu'on savait de la France : "Burgundy", métonymie, partie pour le tout, la couleur pour le vin, le vin pour la province, la province pour le pays tout entier. Ce qui n'était pas si mal à l'époque, puisque maintenant, je suis presque sûr qu'aucun américain ne reconnaîtrait l'origine du mot. La France ne signifiait déjà pas grand chose (Après la panne, deux jeunes frères en salopette, tout droit sortis de Steinbeck, nous avaient pris en stop dans leur pick-up Ford : « where do you come from ? Paris ? » Sourires polis et gênés. « France ? Oh, yes, Europe ! London, Madrid, Roma ! » Etc.) elle signifie encore moins maintenant, pas plus que les "non" aux referenda. Quelques jours plus tôt, au milieu de la nuit. La cabine du Boeing ressemble à celle du métro New-yorkais à la même heure. Presque vide, sale, avachie, semée ça et là de corps endormis, avec des jambes pliées ou un peu tordues qui dépassent des dossiers fatigués, vacillements des loupiotes, odeurs acres et léger mouvement de roulis nauséeux. Un hôtesse de l'air remonte les travées l'air profondément absent. Il ne s’agit pas des deux énormes flics qui arpentent les rames du métro la nuit. On est loin des véritables cérémonies de nos derniers vols en Europe. Pas de chichis inutiles : nous n’aurons droit ni au moindre dîner ni même au moindre coca. La classe économique, ici, ne prétend pas rivaliser avec la classe affaire une taille au dessous. Pas d’épate, pas d’esbroufe mal placée. San Francisco est à encore six ou sept heures de route. Tout le monde a déjà pris ses aises et s'est installé pour la nuit. Il y a assez de fauteuils inoccupés pour s'allonger de tout son long. Les habitués de la navette dorment depuis longtemps. Nous ne tarderons pas à les imiter, nous apercevant qu'aucune remontrance ne vient sanctionner ce que nous aurions pris pour un sacrilège. Nous nous attendions à la routine des vols intérieurs, mais à la toute fin des années soixante dix les avions ressemblent déjà aux vieux cargos de l’espace tout rouillés de la guerre des étoiles. Nous filons vers l’aube immobile tous feux éteints. On atterrit pendant notre sommeil ankylosé. Elle nous attend à l’aéroport, rutilante. Nous nous émerveillons de tout : de sa taille, et pourtant c’est un coupé deux portes, de sa couleur burgonde, de l’épaisseur de sa carrosserie, de la profondeur de ses sièges, de leur largeur et du ronron de son moteur. Nos bagages qui nous avaient encombré sont de tout petits fétus ridicules dans la soute insondable qu’est le coffre. Derrière on peut allonger ses jambes sans presque toucher l’avant. Il y a la direction assistée et la clim. Nous n’avons jamais vu ça. Immédiatement, nous tombons amoureux d’elle. Nous ne l’oublierions jamais. C’est notre Ford Thunderbird for ever.
01 juillet 2005
hôtel Rembrandt
C'est l'heure où le vent de la mer
A pénétré dans les ruelles
Et soufflé les chandelles frêles
Des magiciennes amères
Qui, le soir venu, en hiver,
Quand ils tendent la main vers elles,
Sondent l'avenir éternel
D'hommes graves et solitaires.
Soudain la voici qui frissonne
Dans cet hôtel de Barcelone
Où la rumeur du soir s'élève
Les bateleurs de las ramblas
Sont comme des marins qui passent
Et lui volent ses plus beaux rêves...
(un sonnet par lieu, 4)