Sur la vidéo ( que nous avons perdue et qui est, ne l'oublions pas, la copie du film en super huit, perdu, lui aussi) les images s'accélèrent. Un grand pano de Moscou qui donne le mal de mer avec des zooms exagérés sur les gratte ciels staliniens en plans de coupe, l'intérieur du stade Lénine vide et impressionnant (le stade de France, par exemple, ne sera construit que 32 ans plus tard), avec, pano dans l'autre sens et toujours mal de mer, le tremplin de saut à ski, délaissé par les trente cinq à l'ombre de l'été moscovite, un voyage en bateau mouche sur la Moscova un dimanche, je me souviens très bien du jour à cause des foules en maillot de bain sur les rives du fleuve, le bourrage de crâne permanent par les soit-disant étudiants qui sont montés avec nous jusque sur le pont du bateau, ils commencent tout juste à nous agacer mais c'est loin d'être fini, il faudrait être complètement aveugles pour ne pas s'apercevoir que nous sommes entourés de barbouzes, ou idiots pour les prendre pour de simples étudiants, d'ailleurs ils sont tous bien plus vieux que nous, des images des bâtiments complètemnt kitchs de l'exposition permanente des Républiques Soviétiques avec au dessus de la foule et semblant marcher dessus, toute une profusion de grandes statues dorées à l'or fin d'ouvriers et de paysans au regards d'acier mais lointains, braqués sur l'horizon radieux. Une visite à Zagorsk pour nous montrer combien le mauvais traitement de l' Eglise par le Parti est une honteuse calomnie, image convenue mais très jolie d'un groupe de vielles babouchkas dévotes en noir eet fichus assises sur un trottoir et attendant Tolstoï ou seulement le bus qui les ramènera dans leurs banlieues boueuses sur fond de bulbes en forme de glace à l'italienne pistache fraise, la gêne, voire la honte, de nos guides qui ne les voient pas pour la première fois et qui manifestement n'en croient toujours pas leurs yeux, une autre dans un Sovkhose (ferme d'état, à ne pas confondre avec un Kolkhose qui est une collectivité privée, ah ah.) On nous voit, sortant uns à uns des clapiers ou des étables, un sourire idiot sur le visage, en blouse et chaussons blancs à cause des microbes capitalistes, tapoter la tête des veaux et des porcs, caresser les poussins et les petits lapins, passer au large des troupeaux d'oies, comme des officiels du parti en tournée d'inspection et en goguette. Tout se termine d'ailleurs par un plan assez sombre du douzième toast porté au grand banquet du soir à l'amitié franco-soviétique qui a le dos large et dont on taira le taux d'alcoolémie. Ne pas oublier que nous sommes la délégation française au festival des Jeunesses du Monde : images non moins sombres d'une immense salle de bal avec notre sempiternel orchestre de Jazz sur l'estrade qui joue cette fois ci des airs yéyés. Nos non moins sempiternels barbouzes se déhanchent en rythme à qui mieux mieux, ils s'appliquent mais "nos" filles les ignorent. Images prises à l'aveugle les bras tendus au dessus de la foule (enfin, petite) d'un dépôt de gerbe à la mémoire de Maurice Thorez, mort il y a seulement deux ans, sur le quai du même nom, pas loin du Kremlin qui a du être débapitisé et plusieurs fois rebaptisé depuis.
(suite au prochain numéro, vous pouvez lire les précédents épisodes de "Sereine Jeunesse" en cliquant sur le lien sur la colonne de droite)