Vieux lieux pieux (...), 4
La façade du 89 est la dernière à respecter les deux lignes parallèles de balcons qui courent depuis deux cents mètres. La porte cochère est particulièrement grande, mais sans beauté. Une plaque indique qu’on peut consulter le docteur Marie France Boucheron, gynécologue, seulement sur rendez-vous. Tout le rez de chaussée est occupé par une boutique de France Télécom qui a remplacé il y a environ quinze ans un grand marchand de Hi Fi, d’instruments de musiques qui a lui même remplacé un marchand de pianos qui s'appelait les "Pianos Pasdeloup". Il y avait un rayon batteries, et un rayon guitares électriques. On pouvait acheter des disques et des partitions. Il y avait des vendeurs spécialisés qui étaient probablement rémunérés à la commission. La vitrine de France Télécom expose maintenant les dernières merveilles des télécommunications et vante les avantages des abonnements à son réseau. J’y ai vu défiler tous les modèles de minitel, de téléphones filaires puis de téléphones sans fils. Vous souvenez-vous, par exemple du Be-bop des années 80 ? La façade du 91 est moderne et laide : tout est plat, tout est droit, juste fonctionnel, il n’y a plus de balcon. C’est toujours France Télécom qui en occupe le rez de chaussée, et probablement les étages, aussi. De ce côté ci, la société abrite un cyber café, au nom pas très malin, le « Mulot Futé », qui est dessiné sur la vitrine opaque : il a une queue en forme d’arobase et un corps en forme d’esperluette, pour qu’on ne se trompe pas. Je me souviens, là, à ce moment, de mon père dans ses quatre-vingt un ou quatre-vingt-deux ans qui avait voulu voir à quoi ressemblait Internet, lui qui dans sa prime jeunesse avait été initié par son oncle, au maniement délicat des postes à galènes. Je l’avais alors accompagné au tout nouveau Cyber café « Orbital » qui est bien plus agréable que le « Mulot Futé » qui n’existait d’ailleurs pas à cette époque, et nous avions joyeusement surfé pendant l’heure à soixante francs. Je me souviens de son émerveillement et de son incapacité absolue à manier la souris qui peut se comparer à l’incapacité souvent définitive, chez certaines personnes, à manier, par exemple, les baguettes au restaurant chinois ou monter sur des patins à roulette. Il y a des maladresses qui ne son pas physiques, mais culturelles : le geste du « double clic » est probablement à jamais inaccessible à une très grande partie de l’ancienne génération , et ainsi le cyber monde, mais peut-être ne perd-t-elle pas grand chose. Pour en revenir au Boul’mich, la prochaine façade, celle du 93, relève très nettement le niveau. C’est un très bel immeuble Art Nouveau, assez simple, tout blanc, avec des bow windows triangulaires. La porte d'entrée, monumentale, flanquée de deux imposants lampadaires, est un magnifique ouvrage de fer forgé. Des lettres mêlées aux élégantes volutes de métal, forment les mots : "foyer international" et "student hostel", révélant la destination de l'immeuble. Mais cette porte est une porte d'apparat, je n'ai jamais vu le moindre étudiant la franchir. La vraie porte d'entrée est une porte latérale, bien plus petite, avec un judas qui la fait ressembler à une porte de boîte de nuit. Entrée des artistes. C'est le premier immeuble de la série qui porte une signature : celle de Charly Knight, architecte DPLG.
La façade du 89 est la dernière à respecter les deux lignes parallèles de balcons qui courent depuis deux cents mètres. La porte cochère est particulièrement grande, mais sans beauté. Une plaque indique qu’on peut consulter le docteur Marie France Boucheron, gynécologue, seulement sur rendez-vous. Tout le rez de chaussée est occupé par une boutique de France Télécom qui a remplacé il y a environ quinze ans un grand marchand de Hi Fi, d’instruments de musiques qui a lui même remplacé un marchand de pianos qui s'appelait les "Pianos Pasdeloup". Il y avait un rayon batteries, et un rayon guitares électriques. On pouvait acheter des disques et des partitions. Il y avait des vendeurs spécialisés qui étaient probablement rémunérés à la commission. La vitrine de France Télécom expose maintenant les dernières merveilles des télécommunications et vante les avantages des abonnements à son réseau. J’y ai vu défiler tous les modèles de minitel, de téléphones filaires puis de téléphones sans fils. Vous souvenez-vous, par exemple du Be-bop des années 80 ? La façade du 91 est moderne et laide : tout est plat, tout est droit, juste fonctionnel, il n’y a plus de balcon. C’est toujours France Télécom qui en occupe le rez de chaussée, et probablement les étages, aussi. De ce côté ci, la société abrite un cyber café, au nom pas très malin, le « Mulot Futé », qui est dessiné sur la vitrine opaque : il a une queue en forme d’arobase et un corps en forme d’esperluette, pour qu’on ne se trompe pas. Je me souviens, là, à ce moment, de mon père dans ses quatre-vingt un ou quatre-vingt-deux ans qui avait voulu voir à quoi ressemblait Internet, lui qui dans sa prime jeunesse avait été initié par son oncle, au maniement délicat des postes à galènes. Je l’avais alors accompagné au tout nouveau Cyber café « Orbital » qui est bien plus agréable que le « Mulot Futé » qui n’existait d’ailleurs pas à cette époque, et nous avions joyeusement surfé pendant l’heure à soixante francs. Je me souviens de son émerveillement et de son incapacité absolue à manier la souris qui peut se comparer à l’incapacité souvent définitive, chez certaines personnes, à manier, par exemple, les baguettes au restaurant chinois ou monter sur des patins à roulette. Il y a des maladresses qui ne son pas physiques, mais culturelles : le geste du « double clic » est probablement à jamais inaccessible à une très grande partie de l’ancienne génération , et ainsi le cyber monde, mais peut-être ne perd-t-elle pas grand chose. Pour en revenir au Boul’mich, la prochaine façade, celle du 93, relève très nettement le niveau. C’est un très bel immeuble Art Nouveau, assez simple, tout blanc, avec des bow windows triangulaires. La porte d'entrée, monumentale, flanquée de deux imposants lampadaires, est un magnifique ouvrage de fer forgé. Des lettres mêlées aux élégantes volutes de métal, forment les mots : "foyer international" et "student hostel", révélant la destination de l'immeuble. Mais cette porte est une porte d'apparat, je n'ai jamais vu le moindre étudiant la franchir. La vraie porte d'entrée est une porte latérale, bien plus petite, avec un judas qui la fait ressembler à une porte de boîte de nuit. Entrée des artistes. C'est le premier immeuble de la série qui porte une signature : celle de Charly Knight, architecte DPLG.