L'épuisement du week end, une version courte
Au matin, il a laissé Les deux Ourses à la gare de M*. Il a pris le tortillard, à l'acronyme pompeux de TER, qui mène à Toulouse en passant par Saint Gaudens, Saint Girons et les Murets. I y a terminé le "Scriptorium" de Paul Auster, levant parfois les yeux de sa lecture au dessus de ses lunettes, le regard détourné par le bruyant chahut des lycéens de retour dans leurs familles. Maintenant il est dans le TGV. Bercé par les lentes oscillations de la trajectoire, Haltmann laisse infuser son esprit dans le paysage qui défile à la fenêtre. A cette vitesse, l'espace n'est plus continu. Le relief se réduit à un jeu de rubans de terre qui glissent silencieusement devant l'aplat immobile du ciel blanc. Des bandes étroites de campagne, de bois, de collines, dérivent devant lui comme des continents, défiant les formules de la vitesse et de la perspective. Après Bordeaux, le train a enfin pris la "très grande vitesse" annoncée sur le billet et s'est transformé en cette sorte de missile à tête chercheuse dont le terminus parisien se veut la cible inratable. Mais ce retour est un lent retour vers Dormeil, dix ans après. Dix ans, déjà, avec tous ces fantômes à conjurer. La veille, au milieu de la journée, entre une visite chez T*, dans sa maison au bout du village, au pied du raidillon qui monte à Castera et des courses à L*B*, avec des échappées sur le pic du Gard masqué par la brume et la photo qu'il n'a pas faite faute d'avoir pour une fois oublié son appareil, ce coup de téléphone de Y*sur son portable comme une irruption de son passé et la douleur qui maintenant l'accompagne et qu'il ne peut chasser. Il a lu intégralement le "Journal du Dimanche" (Ségolène rattrape Sarko dans les sondages) et dans ses moindres recoins l'Equipe qui rend compte des matchs de la veille : Hénin a battu Mauresmo et le TFC l'OM. Il tente de joindre N*, qui lui manque, sur son portable mais en vain, le progrès n'allant tout de même pas jusqu'à rendre facile les communications entre un bolide lancé à 300 à l'heure et une maison fichée au fond d'une vallée perdue. Il tue le temps à la voiture bar où il regarde défiler de débonnaires nuages ouateux par les ouvertures du plafond dans cette astucieuse mise en scène faite pour rappeler les voyages en avion, qu'il déteste. Jusqu'à Bordeaux il avait eu pour voisine une jeune fille sage pas désagréable à regarder mais totalement silencieuse qui lisait Harry Potter en anglais tout en souriant béatement au son non moins silencieux de son Ipod qui avait elle même remplacé à Agen une femme âgée qui débitait en hurlant des énormités sur les élections à sa mère encore plus âgée et sourde. A Bordeaux, la jeune fille sage et pas désagréable à regarder avait été poliment chassée (vous voulez bien changer de place pour qu'on soit tous ensemble ?) par une mère de famille BCBG autoritaire et ses deux enfants plutôt bien élevés et à papa en Loden qui leur faisait au revoir par la fenêtre. Une grosse magrhébine entre deux âges, voilée de noir avait pris place à trois rangs de là. La vraie France. Il ne la connaît pas. Il continue de lire stoïquement "Cuisine et vins de France" en s'attendant au pire. Mais non, tandis qu'en face de lui, la fillette toute menue, aux très jolies couettes de cocker, très bien dans sa peau, jolie et calme, dessine avec plaisir et concentration des maisons tarabiscotées sur un cahier d'écolier à petits carreaux, son frère joue à la game boy advanced. Tous les quarts d'heure il introduit méticuleusement une nouvelle carte dans la machine et range soigneusement la précédente dans sa boite. Il ne se disputeront qu'à la toute fin du voyage et encore de manière tout à fait civilisée. La maman nourrit et abreuve ses enfants de temps à autre. Elle appelle ses copines (ou son amant sait-on jamais) sur son portable qui "passe", lui. Ils ne manquent de rien. C'est une famille bien organisée.
Au matin, il a laissé Les deux Ourses à la gare de M*. Il a pris le tortillard, à l'acronyme pompeux de TER, qui mène à Toulouse en passant par Saint Gaudens, Saint Girons et les Murets. I y a terminé le "Scriptorium" de Paul Auster, levant parfois les yeux de sa lecture au dessus de ses lunettes, le regard détourné par le bruyant chahut des lycéens de retour dans leurs familles. Maintenant il est dans le TGV. Bercé par les lentes oscillations de la trajectoire, Haltmann laisse infuser son esprit dans le paysage qui défile à la fenêtre. A cette vitesse, l'espace n'est plus continu. Le relief se réduit à un jeu de rubans de terre qui glissent silencieusement devant l'aplat immobile du ciel blanc. Des bandes étroites de campagne, de bois, de collines, dérivent devant lui comme des continents, défiant les formules de la vitesse et de la perspective. Après Bordeaux, le train a enfin pris la "très grande vitesse" annoncée sur le billet et s'est transformé en cette sorte de missile à tête chercheuse dont le terminus parisien se veut la cible inratable. Mais ce retour est un lent retour vers Dormeil, dix ans après. Dix ans, déjà, avec tous ces fantômes à conjurer. La veille, au milieu de la journée, entre une visite chez T*, dans sa maison au bout du village, au pied du raidillon qui monte à Castera et des courses à L*B*, avec des échappées sur le pic du Gard masqué par la brume et la photo qu'il n'a pas faite faute d'avoir pour une fois oublié son appareil, ce coup de téléphone de Y*sur son portable comme une irruption de son passé et la douleur qui maintenant l'accompagne et qu'il ne peut chasser. Il a lu intégralement le "Journal du Dimanche" (Ségolène rattrape Sarko dans les sondages) et dans ses moindres recoins l'Equipe qui rend compte des matchs de la veille : Hénin a battu Mauresmo et le TFC l'OM. Il tente de joindre N*, qui lui manque, sur son portable mais en vain, le progrès n'allant tout de même pas jusqu'à rendre facile les communications entre un bolide lancé à 300 à l'heure et une maison fichée au fond d'une vallée perdue. Il tue le temps à la voiture bar où il regarde défiler de débonnaires nuages ouateux par les ouvertures du plafond dans cette astucieuse mise en scène faite pour rappeler les voyages en avion, qu'il déteste. Jusqu'à Bordeaux il avait eu pour voisine une jeune fille sage pas désagréable à regarder mais totalement silencieuse qui lisait Harry Potter en anglais tout en souriant béatement au son non moins silencieux de son Ipod qui avait elle même remplacé à Agen une femme âgée qui débitait en hurlant des énormités sur les élections à sa mère encore plus âgée et sourde. A Bordeaux, la jeune fille sage et pas désagréable à regarder avait été poliment chassée (vous voulez bien changer de place pour qu'on soit tous ensemble ?) par une mère de famille BCBG autoritaire et ses deux enfants plutôt bien élevés et à papa en Loden qui leur faisait au revoir par la fenêtre. Une grosse magrhébine entre deux âges, voilée de noir avait pris place à trois rangs de là. La vraie France. Il ne la connaît pas. Il continue de lire stoïquement "Cuisine et vins de France" en s'attendant au pire. Mais non, tandis qu'en face de lui, la fillette toute menue, aux très jolies couettes de cocker, très bien dans sa peau, jolie et calme, dessine avec plaisir et concentration des maisons tarabiscotées sur un cahier d'écolier à petits carreaux, son frère joue à la game boy advanced. Tous les quarts d'heure il introduit méticuleusement une nouvelle carte dans la machine et range soigneusement la précédente dans sa boite. Il ne se disputeront qu'à la toute fin du voyage et encore de manière tout à fait civilisée. La maman nourrit et abreuve ses enfants de temps à autre. Elle appelle ses copines (ou son amant sait-on jamais) sur son portable qui "passe", lui. Ils ne manquent de rien. C'est une famille bien organisée.