Vieux lieux pieux (...), 15 et fin
Le café du Val de grâce fait le coin Nord de la rue du Val de Grâce et du boulevard. Au-delà, sur l'autre berge de cette étroite artère, au bout de laquelle la façade imposante et noire du Val de Grâce (la chapelle de l'hôpital militaire) inquiétait jadis le regard (elle n'a été ravalée et restaurée, joliment d'ailleurs, qu'à la fin des années quatre-vingt dix), c'est déjà le deuxième cercle. Certes, nous ne sommes pas, pour ainsi dire, autant à l'étranger qu'"en face"(nous empruntions ce chemin pour aller à la station de métro Port-Royal, par exemple) mais c'est déjà plus loin que notre horizon quotidien (je ne me résous pas à respecter la concordance des temps). En revanche, la rue du Val de Grâce, elle-même, zone frontière, en faisait partie. Nous allions y chercher le pain et les journaux, nous l'empruntions pour nous rendre rue Pierre Nicole ou habitait notre copine Agnès et ses parents, ou pour rejoindre les nombreux commerces de la rue Saint Jacques. Le coin sud, du carrefour, comme je l'ai déjà dit plus haut est occupé par le rival de toujours, le "Gamin de Paris". C'est lui qui a "hérité" du débit de tabac. Il expose, fièrement, au niveau du premier étage, son trophée, sa prise de guerre, la fameuse carotte qu'un néon rouge illumine jour et nuit en spirale serrée du plus bel effet. La carotte est d'ailleurs entourée de deux autres enseignes de prébendes, lumineuses, elles aussi : l'enseigne du Loto, en lettres rouges et bleues sur fond blanc, et celle du métro, sous forme d'un ticket de métro géant, de couleur vert d'eau, comme il se doit (depuis combien de temps les tickets de métro ne sont-ils plus jaune bulle, au fait ?) Le "Gamin de Paris" est, lui, très bien fréquenté. Etudiants bien nourris et professeurs. Le tabac veut se donner des airs de brasserie, comme celle du Montparnasse déjà tout proche, mais il n'y parvient pas tout à fait. Il faudrait, dernier effort, larguer le "café du Val de Grâce" qui lui colle le train, et rappelle à tous, comme un encombrant parent pauvre, les modestes origines ; voguer vers des quartiers plus chics. Cet effort est cependant impossible : les café-tabacs, pas plus que les petits bateaux, ne possèdent de jambes. Le "Gamin de Paris" restera toujours amarré, flanc à flanc, à l'indignité du "café du Val de Grâce" et ne quittera jamais ce coin de rue pas assez aristo. C'est assez moral, somme toute. Le porche de l'immeuble dont dépend le "Gamin de Paris" a perdu son numéro : du moins la plaque émaillée sur lequel il était inscrit. L'enquête n'a pas permis de déterminer s'il y eut vol ou chute due aux vibrations du métro qui passe juste en dessous ou quelque autre délit plus grave encore. Toujours-est-il qu'on a cru bon de graver ( fort maladroitement) dans le plâtre sec, le nombre 139, en attendant de la remplacer, pour ne pas déconcerter les facteurs, probablement. Il y avait là un fleuriste chic, qui vendait de beaux bouquets de magazines féminins, des orchidées, des plantes grasses et exotiques, hors de prix. Il a disparu. La boutique est en travaux. l'enseigne du fleuriste subsiste encore, toute de guingois. On la retirera en temps utile, on n'est pas pressé. Il y aura là un cabinet de radiologie flambant neuf. On ne peut s'empêcher de penser au nénuphar qui pousse dans le poumon de la pauvre héroïne de l"Ecume des Jours". Le café du Val de grâce fait le coin Nord de la rue du Val de Grâce et du boulevard. Au-delà, sur l'autre berge de cette étroite artère, au bout de laquelle la façade imposante et noire du Val de Grâce (la chapelle de l'hôpital militaire) inquiétait jadis le regard (elle n'a été ravalée et restaurée, joliment d'ailleurs, qu'à la fin des années quatre-vingt dix), c'est déjà le deuxième cercle. Certes, nous ne sommes pas, pour ainsi dire, autant à l'étranger qu'"en face"(nous empruntions ce chemin pour aller à la station de métro Port-Royal, par exemple) mais c'est déjà plus loin que notre horizon quotidien (je ne me résous pas à respecter la concordance des temps). En revanche, la rue du Val de Grâce, elle-même, zone frontière, en faisait partie. Nous allions y chercher le pain et les journaux, nous l'empruntions pour nous rendre rue Pierre Nicole ou habitait notre copine Agnès et ses parents, ou pour rejoindre les nombreux commerces de la rue Saint Jacques. Le coin sud, du carrefour, comme je l'ai déjà dit plus haut est occupé par le rival de toujours, le "Gamin de Paris". C'est lui qui a "hérité" du débit de tabac. Il expose, fièrement, au niveau du premier étage, son trophée, sa prise de guerre, la fameuse carotte qu'un néon rouge illumine jour et nuit en spirale serrée du plus bel effet. La carotte est d'ailleurs entourée de deux autres enseignes de prébendes, lumineuses, elles aussi : l'enseigne du Loto, en lettres rouges et bleues sur fond blanc, et celle du métro, sous forme d'un ticket de métro géant, de couleur vert d'eau, comme il se doit (depuis combien de temps les tickets de métro ne sont-ils plus jaune bulle, au fait ?) Le "Gamin de Paris" est, lui, très bien fréquenté. Etudiants bien nourris et professeurs. Le tabac veut se donner des airs de brasserie, comme celle du Montparnasse déjà tout proche, mais il n'y parvient pas tout à fait. Il faudrait, dernier effort, larguer le "café du Val de Grâce" qui lui colle le train, et rappelle à tous, comme un encombrant parent pauvre, les modestes origines ; voguer vers des quartiers plus chics. Cet effort est cependant impossible : les café-tabacs, pas plus que les petits bateaux, ne possèdent de jambes. Le "Gamin de Paris" restera toujours amarré, flanc à flanc, à l'indignité du "café du Val de Grâce" et ne quittera jamais ce coin de rue pas assez aristo. C'est assez moral, somme toute. Le porche de l'immeuble dont dépend le "Gamin de Paris" a perdu son numéro : du moins la plaque émaillée sur lequel il était inscrit. L'enquête n'a pas permis de déterminer s'il y eut vol ou chute due aux vibrations du métro qui passe juste en dessous ou quelque autre délit plus grave encore. Toujours-est-il qu'on a cru bon de graver ( fort maladroitement) dans le plâtre sec, le nombre 139, en attendant de la remplacer, pour ne pas déconcerter les facteurs, probablement. Il y avait là un fleuriste chic, qui vendait de beaux bouquets de magazines féminins, des orchidées, des plantes grasses et exotiques, hors de prix. Il a disparu. La boutique est en travaux. l'enseigne du fleuriste subsiste encore, toute de guingois. On la retirera en temps utile, on n'est pas pressé. Il y aura là un cabinet de radiologie flambant neuf. On ne peut s'empêcher de penser au nénuphar qui pousse dans le poumon de Chloé, la pauvre héroïne de l"Ecume des Jours" de Boris Vian. Le 139 abrite encore deux boutiques : l'une, d'antiquités chinoises, à la devanture peinte en rouge écrevisse (les antiquités chinoises marchent très bien, en ce moment), CHEN HUI, qui a ouvert récemment (impossible de me souvenir quelle boutique elle a remplacé), l'autres est une galerie d'art, "Regard Croisés". Elle expose des sculptures modernes en haut de colonnes blanches et des tableaux accrochés à la pierre des murs bruts. Les trois immeubles qui suivent terminent superbement le boulevard : Le 141, le 142 et le 143 rétablissent dignement l'alignement haussmannien avec balcons en fer forgé, sculptures dans la pierre de taille, etc. qui n'aurait pas du être interrompu si longtemps. C'est une sorte de cadeau d'adieu. Les trois immeubles sont signés par Pierre Bourseau, entrepreneur en 1912. Au 141, il y a une porte de service : c'est la première et la dernière que nous rencontrons dans notre promenade. Entre les porches du 142 et du 143 voisinent une galerie de mauvaises peintures de Paris qui se nomme bizarrement "FIDIM" et "ROYAL FOOD", tout petit vendeur de sandwichs grecs. Art et gastronomie…Le café Saint Michel se situe en bout de ligne, il n'offre aucune particularité. L'immeuble du 147 n'a pas été construit par Pierre Bourseau, il tente de prolonger l'alignement, mais sans véritable succès. On ne lui en voudra d'ailleurs pas car il ne fait pratiquement plus partie du boulevard qui s'est déjà considérablement évasé. Suivent une téléphonerie Bouygues Telecom bientôt en faillite et un magasin très laid de déménagement garde meubles. C'est la fin de l'alignement On tombe alors sur le 29 place Georges Bernanos et l'immeuble Bullier dont les descriptions n'ont pas leur place ici mais je ne leur en veux pas vraiment. Saint Michel s'est évanoui pour de bon.