Douze, 11
Ainsi vécûmes-nous au "dix ter" durant quelques jours, dans le regret de notre jolie plaque émaillée perdue (victime sans doute d'un trafic international, elle ornait peut-être le sommet d'un porche dans les Émirats ou bien celui d'un milliardaire japonais qui l'avait achetée à prix d'or dans des ventes clandestines.) Souvent, en sortant, après avoir franchi notre porte d'entrée, nous retournions-nous, jetant un regard en l'air dans l'espoir qu'un remord du voleur aurait rendu à notre immeuble son originaire ordinal. Puis, nous nous résolûmes à installer au-dessus du porche une vulgaire plaque numérotée "12" en plastique. Nous savions bien que c'était contre l'âme de notre petite communauté douillette que le forfait avait été perpétré. La plaque évanouie était le symbole de notre solidarité et comme l'image d'un serment parjuré. Le fait même d'habiter au "Douze", appartenir à ce phalanstère sublime, faillit perdre son sel. Des envies cachées de zizanies germèrent. Nous imaginions notre voleur tapi dans l'ombre, un sinistre sourire à la bouche, se repaître de nos désarrois. Nous fîmes fièrement front : il n'y eut pas de désunion. Elle ne vint que bien plus tard. Nous conçûmes ainsi l'idée que l' auteur du canular devait être un candidat dépité, un communautaire éconduit, un raseur écarté, un révoqué, un banni voire un simple foutu à la porte. Et puis nous oubliâmes. Quelques mois plus tard, bien avant la fin des années soixante-dix, la plaque réapparut, lors d'une fête, sous un gâteau d'anniversaire.