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27 janvier 2007

Vieux lieux pieux (...), 2


A partir du numéro 77 et jusqu’au numéro 89, l’alignement des immeubles est quasiment parfait : les balcons des deuxièmes étages qui, du temps d’Haussmann, étaient ceux des maîtres, s’ajustent les uns à la suite des autres et dessinent avec leurs balustrades en fer forgé une belle ligne de fuite, d’autant que ceux du cinquième, plus étroits, moins aristocratiques, en dessinent une deuxième qui va la rejoindre à l’infini. Au 77, le premier étage est occupé par « Mary Entrepreneurs». De belles colonnes doriques, en ronde-bosse, supportent les balcons des trois fenêtres centrales, majestueuses, du deuxième étage. Une plaque, à gauche de la porte cochère, rappelle que « dans cet immeuble, accueilli par Séverine, mourut le 14 février 1885 l’écrivain Jules Vallès. » Le rez de chaussée abrite deux boutiques : l’une est une officine « Village téléphone », chaîne de magasins de portables qui ont poussé comme des champignons dans les premières années du vingt et unième siècle et dont on peut penser qu’elle sera bientôt remplacée par un autre commerce en raison de la crise des nouvelles technologies et la baisse du Nasdac à la bourse de New York, l’autre est le marchand d’appareils photos « Photo Vidéo Luxembourg PHOX » que noue appelions jadis simplement « Chez le photographe » quand nous allions y faire développer les diapos et les films 8mm des vacances sur la côte Adriatique, et, qui a sacrément tenu le coup malgré le déferlement de la Vidéo. Le magasin a été refait, mais il a gardé son style années 70, peut-être par coquetterie. Le 79 est vraiment un bel immeuble, ravalé plus récemment que les autres, il est en pierres de taille blondes, il y a des visages d’angelot en bas reliefs entre les fenêtres du premier étage. A droite de la porte cochère, une plaque avec drapeau et croix de Lorraine nous rappelle qu ‘ « ici, Jean Bachelet, 33 ans, FFI, est mort pour la France le 25 août 1944 » et c’est signé : « Ses camarades de combat du 5ème. » Juste après ce souvenir, la librairie « Minerve » étale ses tables de livres neufs à prix réduits sur le trottoir comme elle le fait depuis toujours. Elle a commencé bien avant la chaîne « Maxi Livres » qu’on trouve maintenant un peu partout dans le quartier et ailleurs, et on se demande pourquoi elle « tient » toujours, indépendante, (j’ai déjà supposé qu’elle servait de couverture à un nid d’espions ou au blanchiment de l’argent de la drogue, sans beaucoup de conviction, à vrai dire.) L’intérieur, dans lequel j’ai du pénétré moins d’une dizaine de fois en trente-cinq ans, et qui n’a jamais été refait, regorge des mêmes « beaux livres » et livres d’art qui attendent leurs acheteurs depuis des années, désespérément (ils sont peut-être faux). Sur les tables, au dehors, les livres n’ont jamais eu beaucoup d’intérêt. Il y a une sorte de marché indolent pour ces invendus et ces fins de série. C’est pourquoi, parfois, et en général, je m’y arrête un instant. On peut y trouver un bonheur : une édition des Mille et unes Nuit dans la traduction de Mardrus et non celle de Galland, par exemple, qui bien qu’ elle ne soit pas du Club Français du Livre, ou du Cercle du Livre d’Art vaut bien la centaine de francs auxquels elle est proposée. Le 79 est le dernier immeuble qui fait face au Luxembourg et à sa verdure, après ce sera l’Ecole des Mines, austère et néoclassique. Le rez de chaussée du 81 abrite le magasin « La Flûte de Pan » qui portait jadis un autre nom dont je n’arrive pas à me souvenir mais qui toutefois vendait déjà des instruments de musique et des partitions. Cependant, les instruments me paraissaient plus exotiques (djambés, flûtes de pan, justement, guimbardes, maracas) et les partitions plus populaires. Une étrange plaque métallique grise porte ces mots non moins étranges « 30 janvier 1918. Bombardements par avions allemands. » On a beau scruter la façade, on n'y découvre aucun vestige de rafales ou de trous d’obus comme il en subsiste encore parfois des bombardements de la guerre 39-45 ou des batailles de rue de la Libération. De plus, on se souvient qu’en ces temps là, les drôles de machines volantes ressemblaient plus à des papillons agressifs qu’à des forteresses porteuses de mort et que le Baron Rouge faisait plutôt des politesses à Guynemer, qui a d’ailleurs une rue à son nom de l’autre côté du Luxembourg. Mais on se dit aussi que cette plaque commémore peut-être le tout premier bombardement par avion de l’histoire. On imagine alors le pilote à grosses moustaches, cache nez, bonnet de cuir sur les oreilles et lunettes relevées sur le front, lâchant un moment son « manche à balai » et farfouillant dans l’avion, au risque de faire une embardée, dégottant une ces bombes toutes ronde et toute noire de bandes dessinées, qui roulent sur le plancher au gré de la gîte, allumant la mèche à son briquet à amadou, souverain par grand vent, et qui, toujours manche à balai lâché, avec l’avion qui divague, se penche dangereusement au dehors, essaie de repérer sa cible et se débarrasse enfin de la bombe au petit bonheur parce que la mèche est presque entièrement brûlée, qu'elle risque de lui sauter au visage et que l’avion vire trop sur une aile et risque de partir en piqué et de s’écraser sur le boulevard Saint Michel.




Le "Village Téléphone", comme prévu n'existe plus cinq ans après. Mais c'est toujours une boutique de téléphones (Le Nazdac s'est refait une santé). Elle répond désormais au nom beaucoup moins poétique de "Debitel Orange SFR". Elle promotionne des appareils à un euros déjà dépassés : Samsung X640, WE185 (avec kit oreillette sans fil bluetooth) et 2230-i. La vitrine proclame sobrement sa devise : "Surfez, regardez, téléphonez" sans points d'exclamation. Le "photographe" a enfin rendu les armes. Déjà, il y a cinq ans on s'étonnait qu'il ait résisté. Il avait tenté de s'adapter, en passant à la vidéo, mais il cédé devant l'essor implacable du numérique (Boulevard Saint Germain, à cinq cent mètres, Odeon Photo tient toujours le coup avec sa vitrine pleine de vieux argentiques d'occasion, mais pour combien de temps). La boutique s'appelle maintenant "Art Deco Luxembourg" comme l'indiquent, avec un effet tout à fait kitch, des lettres gothiques jaunes sur fond lie de vin, mais on se demande pourquoi, parce que les tapis persans ou afghans ou turkmènes qui s'accumulent dans les vitrines et qui ont remplacé subitement les Nikons, Canons, ou autres Pentax n'ont pas grand chose à voir avec l'art déco, même rien du tout. La boutique a simplement été vidée. On n'a fait aucune transformation. Il y a bien aussi des boites de bagues et de colliers, pour la forme, dirait-on, puisque ça décore les oreilles ou les cous, artistiquement, si l'on veut, mais je ne suis pas sûr qu'on ait bien compris la signification de l'enseigne écrite en lettres gothiques. C'est manifestement une installation provisoire, comme pour occuper le terrain, en attendant la revente. De toute façon je ne pense pas que le tapis persan ait un réel avenir dans ce coin, quoique... "Minerve" est toujours une librairie. Victoire ! pourrait-on s'écrier. Mais non. On est encore descendu d'un cran. La nouvelle enseigne "Livres 79" et son sous titre "Culture Factory" se rapproche insensiblement du Maxi-livres, degré zéro de la vente de livres. Je tiens d'ailleurs à dire ici, bien que cela se situe sinon légèrement hors sujet mais simplement trois cents mètres plus bas, au delà, largement de la rue Gay Lussac et de la rue Soufflot, au coin de la place de la Sorbonne, quelle fut la lente agonie de la librairie des PUF, Presses Universitaires de France, s'il vous plaît, d'abord amputée de son premier étage, de son fond irremplaçable de sciences humaines et de philo, puis vidée, curetée, rayons par rayons, de son département littérature au rez de chaussée (ainsi de son tréteau des ouvrages au programme de l'agreg de l'année) d'abord maintenu en survie artificielle par des petits cartons insérés parmi les piles de livres où étaient inscrites d'une jolie écriture manuscrite des notes critiques souvent très bien faites, puis lent écoulement purulent du fond de classiques, jusqu'à l'absence même des nouveautés qui est le signe ultime précédant la mort clinique, remplacée, finalement, dès la platitude de son électroencéphalogramme, sans autre oraison funèbre ni notice nécrologique, ni comité de défense ni de soutien, sans coup férir donc, par l'odieux Delaveine, confectionneur (et Dieu sait si je ne crache pas sur le métier de mon père, mais il n'a jamais acheté de librairie, lui), qui attendait son heure tapis dans l'ombre et chez qui je ne vêtirai jamais, o grand jamais.


23 janvier 2007



Je demain, jeux de ville, hein!
Pensée de la nuit N° 113 : "Ceci est de la transmission de pensée. Je peux lire dans vos pensées à distance. La preuve, vous êtes en train de lire" : "Ceci est de la transmission de pensée"

21 janvier 2007


Hier soir nous avons parlé des "Bienveillantes" avec Agnès Salomon et aujourd'hui je me suis souvenu de Charlotte Gorliki, psychiatre, née en 1950 et morte en 1983. Ce soir, voici Charlotte Salomon. Jusqu'à ce soir, je n'avais jamais entendu parler de Charlotte Salomon. J'apprends dans le "journal de Thiron-Gardais" que cette jeune allemande est morte à 25 ans, en 1943 gazée à Auchwitz. Elle s'était réfugiée, en provenance de Berlin en 1939 à Saint Jean Cap Ferrat où elle a été dénoncée. Elle s'était sentie basculer dans la folie. Un médecin lui avait conseillé de raconter sa vie. C'est ce qu'elle a fait. En peignant 1365 petite gouaches qu'elle lui a envoyées classées et serrées dans des boites en carton. Une véritable révélation, qui n'a rien à voir avec l'art brut et pourtant c'est fait avec un seul pinceau et trois couleurs : bleu rouge jaune, plus le blanc du papier. Je vous invite à cliquer ici pour parcourir l'oeuvre entière (ou presque) qui s'intitule "Leben? oder theater ? " ("vie ? ou théatre ?") et conservée au Jewish Historical Museum d'Amsterdam.

20 janvier 2007

Mazeltov !

Blogger m'indique que l'entrée précédente était la millième de CISCOBLOG.

19 janvier 2007



Par une sorte de petit miracle du vagabondage electronique je suis tombé par hasard sur ces 25 bouleversantes photos de Jean Philippe Charbonnier.

13 janvier 2007

Chauds les marrons !





Un lieux mythique : l'entrée du Luxembourg place Edmond Rostand. Une image de Nathan, légèrement modifiée (j'espère qu'il ne m'en voudra pas !)
Un Haïku par bain, 41


Le coin coin muet
Des petits canards à pois
fige le silence
Vieux lieux pieux (mieux cieux dieux), 1


Le 73, au coin de la rue Royer Collard, qui joint le boulevard à la rue Saint Jacques et qui se donne des airs moyenâgeux après la traversée de la rue Gay Lussac, est occupé de nos jours par une agence du crédit lyonnais. Dans les années soixante à cet emplacement se tenait une librairie, la librairie « 73 ». Je me souviens d’un magasin grand et sombre, empli d’étagères et de comptoirs où j’achetais les pièces de Molière, Racine ou Corneille au programme dans la petite collection Larousse (celle à la couverture bleue, en forme de rideau de scène). Il y avait sur le trottoir des tables à tréteaux couverts de bacs présentant les livres de poches, dans leurs premières éditions, aux couvertures bariolées si aisément reconnaissables (souvenir d’une couverture d’un livre de Giono, « Regain », avec des paysans allongés dans un champ en pente, et de celle de « Thérèse Raquin » de Zola) Plus tard, et jusqu’au milieu des années quatre vingt, ce fut la grande aventure d’ « Autrement dit » que j’ai d’ailleurs longtemps continué à appeler « Librairie 73 ». Elle servit de modèle à toutes les librairies du quartier avec, entre autres, « La Hune », Boulevard Saint Germain, entre le Flore et le deux Magots, le « Fauchon » pour ne pas dire la Roll’s de la librairie, le « Divan », place Saint Germain des Près, au coin de la rue Bonaparte, qui n’existe plus, la « librairie Racine » dans la rue du même nom, qui n’existe plus non plus, et « Compagnie », la petite dernière, rue des Ecoles) La boutique entièrement rénovée était devenue un espace lumineux, aux camaïeux de beiges et d’ocres, humant le bois neuf et l’huile de lin, libre pour la flânerie parmi les présentoirs et les longues stations debout. C’était l’époque du petit bonhomme papillon de Jean Michel Folon dans le générique de la deuxième chaîne de télévision et des affiches ambiguës de Léonor Fini. « Autrement dit » fut remplacée comme tant d’autres, mais après une longue résistance et mon vain soutien inconditionnel, par une première boutique de fringues et puis par une seconde après la faillite de la première, puis par une troisième et ainsi de suite jusqu’au Crédit Lyonnais qui se porte bien depuis dix ans merci. A droite de la porte cochère, à hauteur de poitrine, on peut voir une plaque de marbre ainsi libellée : « Ici est tombé pour la libération de Paris, le 25 août 1944, le soldat André Lozet, âgé de vingt ans du 501ème régiment des chars de la division du général Leclerc ». Le 75 est un bel immeuble haussmannien, un marchand de journaux « Papeterie Carterie Presse » en occupe le rez de chaussée. Il est là depuis toujours, je m’y revois à douze ans ou treize ans feuilletant « Cinémonde » toute honte bue. A ses côtés, se tient un magasin de layette, vêtements pour enfants et sous-vêtements féminins, répartis dans des vitrines de chaque côté de la porte, qui ne semble même pas avoir été rénové depuis tout ce temps (les publicités pour les bas « Triumph », les mannequins sans membres et décapités mais aux seins durs et aux pubis rebondis portant des « coordonnés » de dentelle ajourée « Lejaby » m’attiraient plus que les brassières « petit bateau »)


Il est peut être temps de passer à la deuxième partie du projet (qui je le rappelle, ne m'appartient pas) Les lignes que vous venez de lire ont été écrites en 2002. Nous sommes maintenant en 2007, Cinq ans après. Bien entendu, je suis repassé des dizaines de fois devant la "Librairie 73" dont on peut distinguer, en regardant bien, avec nos autres yeux, un peu comme dirait Borges, les formes lumineuses et claires à travers la façade opaque du Crédit Lyonnais. Il s'est passé plein de choses dans ma vie, j'ai déménagé, entre autres, Nathan et Jérémie sont devenus de vrais hommes. Une personne qui a beaucoup compté dans ma vie est morte, d'autres ont été très malades mais maintenant Dieu merci ils vont bien, mon père a fêté aujourd'hui ses 92 printemps et ma mère est toujours fidèle au poste. Le Crédit Lyonnais ne s'appelle plus le crédit Lyonnais mais "LCL" Rien n'a changé hormis ce sigle sur la façade : les distributeurs automatiques de billets, exactement les mêmes reproduits à l'identique l'un à côté de l'autre, béent toujours sur la rue et c'est bien toujours cette duplication qui me paraît obscène. Le marchand de journaux a probablement refait sa vitrine (j'ai oublié de noter s'il s'appelle toujours "Papeterie Carterie Presse" (non (note du 31 janvier 2007), il s'appelle maintenant "Presse - tissimo")) mais je ne m'en serais pas aperçu. La plaque commémorative est toujours à la même place, mais ça je ne vais pas le répéter à chaque fois. Rien de changé non plus à la boutique de layette et lingerie si ce n'est l'apparition de la marque Lise Charmel qui ne faisait pas partie de la liste il y a cinq ans.
Retour à Corbeil



Je pense à la nationale sept pour plusieurs raisons. Ce matin, j'étais arrêté au feu rouge au coin du grand Garage Renault " Côme et Bardon" à Viry en direction de Paris. J'attendais de tourner à droite et poursuivre vers Châtillon, puis Juvisy, Draveil et plus loin Vigneux, de l'autre côté du fleuve, s'enfoncer dans la jungle des villes. La journée ne promettait pas d'être réjouissante. De vagues pensées moroses et automnales traversaient lentement mon esprit comme des nuages pas pressés traversent un ciel délavé. Il y a des matins, comme ça où vous vous sentez tout négatif, allez savoir pourquoi. Je pensais au travail, à la répétition des tâches, à la fatigue qui déjà, si tôt dans la journée, alourdissait mes épaules ; je restaits le pied crispé sur la pédale d'embrayage sans penser à me mettre au point mort (parfois, dans les embouteillages, se mettre au point mort procure un bref mais réel soulagement, j'oublie souvent d'y penser.) Je pensais à l'écriture. L'écriture, ce matin, était comme une promesse qu'on ne peut pas tenir. Je n'avais pas envie d'écrire. Je n'étais pas en train d'avoir envie d'écrire, plus précisément. Je n'avais pas envie d'écrire, pas plus que je n'avais envie d'aller à mon travail, qui est toute ma vie. Je ne pensais pas au repos, mais à la suspension. et encore, ce n'était pas aussi précis que ça. Je pensais sans envie au manque d'envie. Il n'y avait aucune frustration, aucune colère. Un constat banal, en somme : au milieu de ce paysage de banlieue informe, j'étais enfermé en moi-même, j'étais à la panne dans la Baie de Personne, contenu par ma petite auto qui faisait sagement la queue sur la nationale sept - ma ligne de vie - pour tourner à droite. Tourner à droite était mon seul objectif. Je me disais que ce soir, maintenant, il faudrait justement que j'écrive sur cette suspension, sur cette attente de rien. Puis le feu est passé au vert. Et voilà que j'écris que le feu est passé au vert. La boucle infime du temps est bouclée : j' ai écrit une vingtaine de lignes sur rien, à peu près comme je ne m'étais pas senti vivre, une ou deux minutes, ce matin même, à ce feu rouge de la nationale sept qui est ma ligne de vie. Je pense à nationale sept pour d'autres raisons. Hier, j'ai été invité à la médiathèque de Corbeil Essonnes pôur dire quelques mots sur mes souvenirs de Lucien Bonnafé, mort il y a exactement six mois. Personne ne connaît Lucien Bonnafé en dehors de mon milieu professionnel. Lucien Bonnafé est mort il y a six mois à quatre vingt onze ans. C'était un "grand psychiatre"comme on dit. C'est lui qui a inventé la psychiatrie de secteur, si ça vous dit quelque chose, un modèle d'organisation sanitaire qui a été repris dans le monde entier. J'avais été son interne, à Corbeil Essonnes, il y a bientôt trente ans ( non, j'exagère : vingt cinq.) Je n'ai pas le droit de dire qu'il m'a tout appris, parce que ça n'est pas vrai, mais j'aime bien dire que je suis un ancien intene de Bonnafé, pour me faire mousser dans la profession, quand j'en ai besoin, parce que c'est vrai, j'ai travaillé sous sa responsabilité, plusieurs années. Bonnafé avait été colonel de la resistance, en Auvergne à Saint Alban dans son hôpital psychiatrique où il avait caché nombre de résistants célèbres dont par exemple Paul Eluard, puis secrétaire d'état dans les gouvernements de l'immédiat après guerre quand les communistes avaient vingt cinq pour cent, cent mille fusillés, et des ministres (Charles Tillon, en l'occurence) au gouvernement du général de Gaulle et enfin psychiatre à l'hôpital de Corbeil Essonnes. Lacan et lui avaient pris le thé ensemble. Tout juste si ce n'est pas lui qui avait psychanalysé Lacan, rien qu'en prenant le thé. C'est vous dire l'importance du personnage. Considérable. Mais je n'ai aucun sentiment particulier pour lui, comme l'affectent d'autres "élèves" qui l'ont plutôt moins fréquenté : c'était un trop grand homme, il planait largement au-dessus de vous ; je n'ai jamais ressenti de vraie chaleur humaine à son contact. C'était un homme d'idées, voire un homme politique, on était avec lui ou contre lui, il pensait qure j'étais plutôt avec, ce qui était d'ailleurs vrai, et cela lui suffisait, à moi aussi. Il fallait être très bien classé au concours de l'Internat pour pouvoir choisir son service et seulement quand vous étiez un interne déjà expérimenté, en troisième année. Impossible de le choisir en deuxième année et encore moins en première année. De plus, au-delà de la dixième place au concours, et encore, peut-être même de la cinquième, vous n'aviez plus aucune chance. Il n'avait que les meilleurs. j'ai eu la chance d'en faire partie. Quand je dis la chance, je dis la chance, je sais très bien ce que je veux dire. Bref, j'ai surtout parlé ce jour là de la Nationale Sept, parce que Corbeil Essonnes est traversée par elle de part en part, d'un côté Corbeil, de l'autre Essonne, et que la nationale sept est ma ligne de vie. Je n'ai rien à voir avec le fait que Bonnafé avait décidé de faire d'une ville traversée par ma ligne de vie l'un des premiers laboratoires d'une psychiatrie à visage humain. C'était un hasard, une chance, si on veut, voilà tout, et c'était ainsi. J'ai travaillé pratiquement vingt ans à Corbeil Essonnes. J'y ai même vécu. J'y ai aimé plusieurs femmes. J'ai eu la chance d'y rencontrer des gens exceptionnels, dont Bonnafé, mais pas seulement lui. J'en ai déjà parlé et j'en reparlerai. Il y a encore une autre raison pour laquelle je pense à la nationale sept. Je viens de refermer le livre de Jacques Jouet "Mon bel autocar" qui est un véritable bijou. J'y ai appris que Jacques Jouet était originaire de Viry. Il y a dans ce livre une dizaine de pages sur la nationale sept, ou plutôt sur la montée de Juvisy à la hauteur de l'observatoire (où Camille Flammarion a pratiqué son astronolmie populaire) où il faut sans arrêt changer de vitesse en fonction de la pente et des ralentissement dus aux embouteillages. Je ne me suis jamais, et je pèse mes mots, jamais autant retrouvé dans un livre que dans ces pages de la montée de Viry dans ce livre de Jacques Jouet. Je ne pensais même jamais retrouver ma ligne de vie dans aucun livre. Mais je comprends que ça ne vous intéresse pas beaucoup. Lisez quand même Jacques Jouet, c'est un étrange bonheur. (Jacques Jouet, Mon bel autaucar, Roman, chez P.O.L)

(repost, 2003)

12 janvier 2007

Aoua ! Déjà vendredi ! La semaine a filé comme le vent!

07 janvier 2007

Pensée de la nui N°112 : "C'est un drame pour moi de trouver des choses à dire aux gens: je suis peuplé d'un silence de forêt, absolument incommunicable. Et que puis-je dire d'intéressant aux autres au-delà de ma petite chronique personnelle, qui ne peut les intéresser que de loin - et tant mieux d'ailleurs." Antonio Lobo Antunes : Lettres de la guerre


Et voilà, il suffit de se mettre à lire...

05 janvier 2007

Le fait même que vous puissiez lire ces lignes est un paradoxe. Depuis quelques semaines je souffre d'une paralysie de l'écriture que je n'arrive plus à masquer derrières les trucs et astuces habituels du blogger bas de gamme. Même le couvercle de la boite en fer des souvenirs ne veut pas s'ouvrir. J'y ai déjà gâté plusieurs pointe de couteaux et tous mes efforts n'ont fait que la coincer un peu plus encore. En la secouant je n'entends pas beaucoup de bruit. Comme si elle était vide. Mais elle ne l'est pas. Ils s'accrochent aux bords, ils ne veulent pas sortir, ces lascars. Cette panne sèche touche même mes activités professionnelles qui demandent elles aussi parfois un petit coups de texte. Je prends du retard, ai ainsi toujours autre chose à faire de plus pressé que d'écrire dans CISCOBLOG, produisant à grand peine le moindre rapport, la moindre note ou le moindre compte rendu qui épuisent alors les faibles capacités scripturales qui me restent. Je suis cerné par les rappels, le courrier en retard et le travail non fini qui s'accumulent sur mon bureau (heureusement que je ne suis pas payé à la ligne ! mais je ne suis pas payé à l'acte non plus. A quoi suis alors payé ?). Pas que cela me culpabilise, je travaille largement assez. Ca m'agace. Mais je ne suis pas trop inquiet, cela m'est déjà plusieurs fois arrivé. Je sais que truc est de ne pas céder à la panique, de ne pas tenter de faire venir les mots de force. Laisser les souvenirs remonter lentement à la surface, sans trop remuer le bocal, me remettre à lire (ça aussi j'ai considérablement ralenti) surtout de la poésie (rien de tel que la poésie pour se sentir des fourmis au bout de le cervelle et des doigts). Cette fois, pourtant, ça dure. Je ne sais absolument pas du tout combien de temps. Cela ne signifie en rien la fin de CISCOBLOG ni même un quelconque break en perspective. Il existe un "cahier des charges" de CISCOBLOG où les items continuent de s'accumuler et attendent le moment favorable à leur rédaction. Une fois qu l'un d'entre eux est déposé (comme dit Roubaud qui, en déposant ses souvenirs - sur le papier - dit qu'il les tue) je le raye consciencieusement de la liste. J'aime considérer l'alignement des items rayés. la successions des pages d'alignement d'items rayés, l'accumulation des cahiers de pages d'items rayés.... C'est une sorte de plaisir solitaire et mélancolique. Pour l'instant, il faut bien le dire, ce n'est pas trop le cas et au contraire la contemplation désolée des items non rayés me déconfit un peu la mine. Il en reste encore probablement pour des années. Pas de quoi s'inquiéter, vous dis-je. Ce doit être l'hiver qui malgré sa douceur relative doit un peu engourdir les velleités créatrices. Ou alors c'est je ne sais quoi qui sourd des difficultés de la vie. Ecrire n'a jamais constitué une joie. Une douleur plutôt. C'est quelque chose qui ne m'a jamais été facile et ne le sera jamais. Il faut toujours que je m'arrache. J'en bave vous pouvez pas imaginer ou plutôt si si vous avez déjà essayé. Chaque séance devant l'écran est comme une danse. Je veux dire de celles qu'on prenait quand on avait fait un bêtise quand on était petit. Y compris pour CISCOBLOG. Mais c'est une douleur nécessaire, une douleur dont je ne peux pas me passer, un plaisir, en quelque sorte, dans mon milieu professionnel (ah, ah !) on appelle ça aussi une "contrainte"... "L'écriture c'est la vie", Gorge Semprun (pensée de la nuit N°34567) "Vivre pour la raconter", Gabriel Garcia Marques (pensée de la nuit N°...) Le fait même que vous puissiez lire ces lignes est un paradoxe. Depuis quelques semaines, etc.

02 janvier 2007

Un haiku par bain, 40



Tant que le corps trempe
Pas même une idée ne flotte
Au fond du cerveau

01 janvier 2007