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30 septembre 2007

Fin d'été au Luco



LUXEMBOURG

27 septembre 2007

l'épuisement du Mercredi, 2


Heureusement, la sortie Dormeil-Centre est à quelques centaines de mètres. Il suffira la plupart du temps d'être patient pour s'échapper du bourbier où les pauvres voyageurs vers Pontault Combaut ou Marne la vallée sont eux, comme l'annonce flegmatiquement le panneau lumineux, encore scotchés pour au moins 103 bonnes minutes. Il faudra juste que notre Polo, telle une bille lors d'un tirage du Keno, subisse les dernieres courbes cabalistiques de l'échangeur fou avant de déboucher, au niveau du centre commercial "Art de Vivre" (ou se trouvent réunis côte à côte une Pizza Hut, la symapthique librairie "Le Verger des Muses" unique endroit de la région où l'on peut acheter des journaux le dimanche après midi en même temps que le dernier Eric Chevillard, un gigantesque "BABOU" où presque tout est à un euros, de la paire de chausette à la piscine gonflable, diverses autres friperies, chausseries et meubleries bon marché), sur une route enfin droite, sans fioriture qui rejoint la Nationale 7, celle de Charles Trenet et des vacances des années soixante. La 7 traverse Dormeil tout droit comme une tranchée et grimpe résolument, à travers le centre ville encombré, sur la colline de Montconseil hérissée de cités, de barres et de tours. Au delà c'est Fontainebleau, le Morvan, la vallée du Rhône, et encore au delà Montelimar, le nougat, la Provence les cigales les tongs et les coups de soleil. C'est là que se trouve l'hôpital qui surplombe la rive gauche de la Seine. Je le trouve beau, moi l'hôpital de Dormeil. Ila été construit sous le gouvernement Maurois en 81 et inauguré par Edmond hervé, ministre communiste de la santé au cours de l'état de grâce qui suivit l'élection de Mitterand. C'est un bâtiment harmonieux fait d'une tour blanche et bleue pas très haute qui est l'assemblage en damier de cinq tours plus petites et d'inégales hauteurs auquel on accède par un large parvis dallé au milieu de pelouses et de mamelons herbus où des mères promènent les poussettes l'après midi, les enfants de la cité voisine jouent au foot, les familles pique-niquent le dimanche et sont aux premières loges pour assister en toute sécurité, les jours de chance, au ballet des hélicoptères du SAMU qui transportent les blessés de l'A6 du jour.

26 septembre 2007

Voilà exactement le genre d'information, spectaculaire mais fichtrement bien torchée, qui me fascine (via le blognote du coyote)
Dernière minute : Mnémoglyphes nous apprend qu'Eric Chevillard a un blog. Ce n'est pas une annonce, c'est une annonciation ! Eric chevillard, vous avez bien lu : on y court!
L'épuisement du Mercredi, 1



Les nuits sont fraîches à présent. Il fait à peine 9° au petit jour nous apprend le weather man de la télé. J'ouvre un oeil vers sept heures moins le quart dans la sombre clarté d'avant l'aube. L. est debout depuis presque une heure. Je l'entend qui vaque à l'étage. Je me rendors avec volupté non sans avoir interrogé du regard le reveil aux chiffres lumineux verts. C'est comme ça toutes les dix minutes. Je m'endors, je me reveille un peu anxieux d'avoir peut-être trop dormi, le coup d'oeil au réveil, et je m'endors à nouveau, rassuré, pour dix nouvelles minutes. Il me reste presque une heure entière que je vais ainsi grignoter, la couette sur l'oeil, petit à petit, jusqu'à la dernière seconde. J'ai de la chance, c'est mercredi. L ne travaille pas : elle monte un petit dej que nous partagerons dans la chambre. Après, il faut tout de même se lever et se dépècher. Avant de monter dans la Polo qui attend bien sagement depuis la veille au soir devant la maison, je franchis le portillon qui me sépare du petit jardin. Dans le bassin à l'eau glauque, les carpes et les poissons rouges suivent dans un bruissement d'eau mon trajet rituel vers le seau de nourriture. Quelques poignées de paillettes rouges jaune et blanches pareilles à de gros confetti et c'est la fête aquatique. Un grouillant festin. Au moindre geste brusque, tout le monde file se cacher au fond de l'eau. Babouche, le chat noir qui croit aux miracles, arrive dare dare et, comme tous les jours essaie d'attraper les poissons qui s'enfuient. A défaut de matelote il se rabat, au risque de se mouiller, voire même de se noyer, sur les derniers flocons qui virevoltent et se déposent sur l'eau à nouveau lisse. Dans la voiture je me branche sur France info. Répression des manifestations à Rangoon. Grève des Taxis à Paris. On a aperçu la petit Madeleine au Maroc. Je traverse la Grande Borne. Comme tous les matins laisse errer mon regard sur les immeubles courbes qui serpentent entre les pins. Il y a des cours en forme de petit amphithéatre grec avec des statues de dragons couvertes de mosaïques. C'est beau sous la lumière rasante de ce début de journée, même si la cité n'est pas aussi radieuse que l'avait imaginéee il y a presque quarante ans Emile Alliaud (j'avais un copain, devenu lui aussi un architecte assez célèbre, C.F. qui sortait avec sa fille au lycée et que je soupçonnais d'être plutôt tombé amoureux des plans de la Grande Borne : si on m'avait dit à l'époque que j'habiterai tout près un jour je ne l'aurai jamais cru mais j'en aurai été tout fier) Il ne faut pas croire : la Grande Borne à Grigny, la cité basse dont vous apercevez les formes ondulantes derrière le mur anti-bruit de l'autoroute A6, le fameux ghetto des mal lotis où même les flics et le SAMU n'entrent pas après neuf heures du soir, possède la même splendeur que les palais abandonnés des rois antiques (il me revient là, maintenant, des images de la "Butte Rouge", elle aussi très chère à mon coeur, construite par Bassompierre dans les années trente à Chatenay Malabris dont la chaleureuse et utopique beauté se rapproche de celle de la Grande Borne et dont il faudra que je parle un jour ici, tout chagrin bu) Mais pour l'instant nous nous jettons dans le flot qui s'écoule à vitesse certaine sur l'A6 en "direction de la province" comme dirait Christian Magdelaine en direct de Rosny sous bois. On passe la sortie de Ris Orangis, celles d'Evry, qui se succèdent sur trois cent mètres, puis on rejoint le flot principal de l'autoroute A6, impressionnant mais toujours fluide à cet endroit. Parfois cela se corse sacrément à peine quelques kilomètres plus loin à la bifurcation vers la Francilienne que nous emprunterons toutefois vaillamment , si vous voulez bien, en ce matin frisquet, à touche pare choc, sans quoi nous ne pourrions nous rendre à notre destination, ce qui serait fort dommageable, et qui est le célèbre hôpital de Dormeil. Là, c'est un enchevêtrement d'échangeurs inouï, perpétuellement en travaux, dont il m'est, après près de trente ans, impossible d'établir la carte mentale. Au milieu de ce paysage en béton gris, au sein d'un vague moutonnement de remblais verdâtres, la statue grandeur nature d'un homme svelte, en complet veston, la tête couverte d'un chapeau mou et qui semble marcher (vers où, vers quoi?) en balançant nonchalamment son sac à main est signalée comme "l'Homme aux Semelles de Vent" par l'une de ces improbables pancartes touristiques dont les autoroutes de France nous font gracieusement cadeau pour nous cultiver et nous divertir de la monotonie de leur longueur. Je comprends maintenant qu'elle a été installée là par des aménageurs de territoire sadiques : Il se ballade tranquillement dans les collines en balançant son sac à main pendant que nous, pauvres cons d'usagers, nous faisons la queue lamentablement. Il n'est là, foin d'oeuvre d'art, que pour nous narguer. Et comme ça tous les matins.

24 septembre 2007

Pensée de la nuit N°123 : "La vodka est aux russes ce que les psy sont aux américains : quelque chose de cher auquel on s'accroche et qui vous empêche définitivement d'avoir une vie normale" Six feet under, émi par HBO, produit par Allan Ball

19 septembre 2007

26 quatrains d'autoroute, 2


Oh,
Sommeil !
Clos
L'oreille !

18 septembre 2007

Minigraphies, 4



Les lits-porte c'est un peu la consigne de l'hôpital. Les patients sont en souffrance : ils attendent de savoir ce que l'on va faire. Les garder ou les renvoyer chez eux. Mais pour ce matin c'est une jeune femme qui m'attend, blottie seule au fond de la salle d'attente. Elle a un visage de petite fille tout rougi d'avoir trop pleuré, encadré de mèches blondes comme les blés. Elle me suit dans mon bureau. Elle est comme sidérée, confuse de chagrin. Entre hoquets et sanglots, elle me raconte cette histoire extraordinairement triste : Elle est mariée avec Verter depuis vingt ans. Elle a trois enfants : une grande fille de dix-huit ans et deux garçons, un grand qui a treize ans et un petit de six ans. Elle, on lui en donne tout juste vingt-cinq, mais sa fiche d'entrée m'apprend qu'elle en a trente-neuf . Elle travaille à la poste, avec Freiderich. Elle est tombée amoureuse de Friederich. Depuis deux mois. Un coup de foudre terrible. Elle a été emportée comme par une crue. Elle est éperdue d'amour. Freiderich aussi. Il est marié et a lui aussi des enfants. Elle vient de quitter Verter, c'est une décision irrévocable, elle ne peut plus vivre avec lui. Il est resté effondré à la maison. Mais elle ne veut forcer Freiderich à rien. Elle est partie tout droit sans rien emporter et elle est arrivée dans cet état d'hébétude aux urgences, accompagnée par une dame qui n'a pas pu la laisser comme ça, seule dans la rue. On pourrait dire que c'est comme au cinéma ou comme dans les livres, mais pourtant ça se passe à Dormeil par un matin d'hiver gris et ça n'a rien de romantique. Elle se croit folle, elle se demande ce qui lui arrive, pas le coup de foudre, pas son amour pour Freiderich, qu'elle accepte comme son destin, mais là, çà, cette douleur insoutenable qui l'étreint et qui la rend incapable même d'embrasser ses enfants. Elle dit qu'elle sait bien qu'elle n'a rien à faire à l'hôpital, qu'elle n'est pas malade, que c'est juste une tragédie qui lui arrive, mais elle reste là, droite sur sa chaise, la tête vide, et les larmes qui dégoulinent sur ses joues, comme si, quand même, elle attendait quelque chose de moi. Et moi, à qui ses larmes donnent envie de pleurer aussi, qui aurait envie de lui dire que cette douleur de partir, je l'ai déjà ressentie, comme elle, et qu'on ne peut vraiment rien y faire mais elle le sait déjà, et qui, malgré tout, me doit rester un minimum professionnel, comme on dit, je lui dis doucement que tout ça n'a rien à voir avec une maladie, mais avec ce qu'on nomme la passion et que je ne connais rien qui fasse plus mal que la passion. Je lui dis que si elle voulait rester un moment à l'hôpital, cela n'aurait rien d'illégitime. Elle cesse alors de pleurer, me regarde et me dit qu'oui, elle veut bien rester à l'hôpital. Je la laisse un instant pour aller chercher une infirmière des lits-porte à qui je raconte rapidement toute l'histoire et qui la prend tout à fait au sérieux : les infirmières des lits-porte préfèrent largement ce genre de psychiatrie de courrier du cœur à celle de la page des faits divers. Le chagrin d'amour est une folie qui garde un visage humain, pour ainsi dire. On a tous connu ça plus ou moins, un jour ou l'autre, on se sent capable d'aider. On peut comprendre, ce n'est pas comme la schizophrénie ou la paranoïa, radicalement étrangères, qui font salement peur. Je reviens avec l'infirmière. Elle emmène la femme qui pleure vers une chambre, au fond des urgences. Je me souviens, quand je suis revenu prendre des nouvelles un peu plus tard, de son visage posé sur la blancheur de l'oreiller, toujours aussi juvénile, toujours aussi désespéré.

16 septembre 2007

Pensée de la nuit N°122 : "L'humanité se divise en deux catégories : ceux qui jouent du piano et ceux qui les transportent " Les Papous Dans la Tête" France Culture, émission du 16 septembre 2007

13 septembre 2007

Minigraphies, 3



Un peu relégué en deçà des urgences, encore en avant de l'accueil et du premier cercle de l'attente, le bureau des psys donne sur le sas des ambulances dont les lourdes portes automatiques s'ouvrent et se ferment à intervalles réguliers dans un vacarme assourdissant de tôles entrechoquées. Un store métallique perpétuellement baissé devant une baie vitrée qui occupe tout un mur tente d'atténuer le bruit mais surtout de masquer la vue désolante du ballet des brancards. On ne peut éclairer qu'à la lumière électrique. Nous nous faisons face, de part et d'autre du bureau. Comme son lit est à trois pas, elle est encore branchée à sa perfusion, couverte de la camisole réglementaire. Dans le dossier, il est noté qu'elle a quarante et un ans. Je lui en donnerais plutôt cinquante. Elle ne paraît pourtant pas défaite, mais désuète, physiquement. Hier elle a avalé tout le traitement antidépresseur que son généraliste venait de lui prescrire. Elle dit qu'elle ne voulait pas vraiment mourir, qu'elle a honte maintenant, surtout pour son fils. Il a dix-sept ans, il est formidable, ils sont une sorte de couple chaste depuis le départ du mari avec une autre femme, il y a dix-huit mois. Elle travaille à la Défense, et habite M. Trois heures de trajet par jour. Mais elle ne se plaignait pas, elle gagnait suffisamment sa vie. Une employée modèle. Bien sûr, ça avait été dur, après le départ du mari, mais elle avait fait face, pour son fils surtout. Elle me dit qu'elle n'a pas vraiment voulu mourir, me parle encore de sa honte. Mais la honte vient d'ailleurs : son patron, un petit directeur de PME, dit qu'il est tombé amoureux d'elle. Il a essayé de l'embrasser. Il veut coucher avec elle. Il dit que ce n'est pas du harcèlement parce qu'il l'aime et qu'il est sincère. Pourtant il a une femme et trois enfants, même qu'elle les connaît vu que ça fait quatorze ans qu'elle travaille pour lui. Depuis qu'il sait que son mari est parti - et il avait été très gentil à ce moment-là, il avait toléré non pas des arrêts maladie parce qu'elle ne s'est jamais arrêtée, même aux pires moments, des demi-journées d'absence, il dit maintenant que tout autre patron l'aurait licenciée - il la veut pour maîtresse. Et elle ne veut pas, elle ne l'aime pas et puis elle est loin de penser à ces choses-là. Mais il a menacé de la licencier économique si elle ne change pas d'avis. Pas du chantage, il dit, mais parce qu'il ne pourrait plus supporter de la voir tous les jours, ça lui ferait trop mal. Elle est accablée par toute cette injustice. Il l'hypnotise comme un serpent, il lui dit qu'il est capable de tout pour atteindre son but, que c'est un gagnant et elle, elle n'a pas la force de se défendre, elle est une perdante. Elle craque à l'idée qu'elle va perdre son travail et que son fils ne pourra pas poursuivre ses études à cause de ça. Quant à céder à ses avances, plutôt mourir. Elle n'arrive pas à en parler, sauf à son mari, (elle ne dit pas à son ex-mari), et aujourd'hui, à moi, pour la première fois. Mais il a fallu qu'elle en passe par ce geste honteux. Elle est à la fois ferme et désemparée : elle mesure avec lucidité la force infinie qu'il lui faudra pour surmonter cette nouvelle épreuve, elle n'est pas sûre de la posséder. En parlant comme ça avec moi, elle passe du désespoir à un pessimisme raisonnable, mesuré. La passion, celle du malheur, mais aussi celle qui lui a toujours fait défaut toute sa vie, n'a pas pris le dessus, définitivement.

11 septembre 2007

Minigraphies, 2


On doit à la poésie de dire qu'une ville où se trouve une rue qui porte le nom du Pré de la Montagne du Crève Cœur ne peut être considérée comme un véritable trou. La rue du Pré de La Montagne du Crève Cœur se trouve à M., où il n'y a ni pré ni montagne. Elle se fraye un chemin incertain à travers le fouillis de la zone, bordée de bicoques mal alignées. Avec ses trottoirs étroits recouverts toute l'année de la boue ramenée des terre-pleins pelés des cités voisines, elle hésiterait à se donner elle-même le nom de rue. C'est pourtant là qu'habite Zerlina, dans le petit pavillon que lui loue pas trop cher son médecin généraliste. Il lui en a fait la proposition au moment où ça ne pouvait plus continuer comme ça avec Juan il y a dix-huit mois et où ils s'étaient séparés. Quand le médecin vient voir comment va sa maison, il en profite pour prendre des nouvelles de ses locataires, et quand il vient pour la bronchite du petit, Zerlina lui demande en même temps de faire quelque chose pour le chauffe-eau ou la fenêtre qui ferme mal. Le médecin est un brave homme. Il s'acquitte sans façon à la fois de ses obligations professionnelles et de ses devoirs de propriétaire. On peut dire qu'il aide beaucoup Zerlina. Elle travaille dans une usine de sacs en plastique, à E-sur-seine, de l'autre côté de Paris. Coup de chance, elle n'a pas à changer de RER. Le soir elle s'occupe de ses trois enfants. L'aîné, Léoplold a quatorze ans. Il marche bien à l'école. C'est un peu le papa maintenant. C'est lui qui met de l'ordre quand Wolfgang et Bastien se chamaillent. Léopold et Wolfgang ont le même père, mais pas Bastien, son père à lui, c'est Juan. Zerlina s'est séparée du père des deux grands, Mazetto, il y a huit ans. Il avait été routier, s'était fait virer, avait mal tourné, avait traîné un peu, mais surtout s'était mis à la battre, par jalousie ou pour rien, quand ça le prenait. C'était un violent. Elle avait dû le quitter. Mais, curieusement ils sont toujours restés en bons termes, il n'a pas refait sa vie, comme ça il n'a plus personne à battre et il s'en trouve bien. Il travaille, il est de nouveau routier. Il voit ses enfants régulièrement. Il n'a jamais bu une goutte d'alcool. Après, elle a rencontré Juan et Bastien est né. Il buvait déjà, Juan. C'était là le problème. Juan s'est suicidé il y a trois semaines. Il s'est jeté sous le train à la gare de B. Le soir même, il lui avait demandé encore une fois de reprendre la vie commune. Cette fois là, elle avait refusé, suffisamment fermement pour le désespérer. Et il s'était jeté sous le train. Depuis, la vie qui déjà n'était pas drôle tous les jours est devenue un mauvais rêve. Souvent déjà elle avait l'impression d'être automatique, mais là, tout s'était carrément déréglé. Les courses, elle les faisait une fois sur deux, au lieu d'acheter des yaourts elle achetait du mauvais whisky, la vaisselle, elle ne la faisait plus, le linge sale s'accumulait et ainsi de suite. Déjà elle dormait mal, mais maintenant elle ne pouvait même plus se coucher. Les enfants ne la reconnaissent plus. Les deux plus jeunes, avec l'insouciance de leur âge, retournent à leurs chahuts, mais Léopold s'inquiète et elle ne peut pas le rassurer. Et puis elle s'est mise à boire, pas beaucoup mais suffisamment pour que tout le monde le voie. Jamais elle n'avait bu auparavant. Elle fait ça pour se calmer le soir, un verre ou deux de Whisky. Bien sûr, elle ne supporte pas l'alcool, alors si elle dépasse trois verres elle ne sait plus ce qu'elle fait ni ce qu'elle dit et elle en dit des mots, des mots qui donnent envie à ses amis d'appeler le médecin ou de l'emmener à l'hôpital, tellement elle leur fait peur. Et puis, la nuit, quand elle ne dort pas, elle voit Juan au pied du lit et elle l'entend parler. Il lui redit ses derniers mots, il lui demande de le reprendre, il lui jure qu'il ne reboira plus jamais. Dès qu'elle allume la lumière il disparaît. Une fois elle a cru qu'elle n'arriverait pas à allumer, elle était comme paralysée. Elle sait bien qu'il n'est pas vivant, elle doit être tellement fatiguée qu'elle s'endort sans s'en rendre compte et se met à rêver qu'elle est dans son lit, seule. Et alors il vient. En ce moment elle va le voir tous les jours au cimetière, la plupart du temps avec Bastien, c'est lui qui insiste pour porter une fleur à papa, c'est lui qui veut, mais elle ne refuse pas, elle se laisse entraîner. Elle y va aussi seule quand elle est trop triste et que le manque de lui et la culpabilité l'oppressent trop. Elle lui parle, elle lui raconte sa journée ou autre chose, à haute voix, comme s'il pouvait l'entendre. Elle peut rester des heures, une après-midi. C'est bête, mais ça lui fait du bien. Il lui manque pas seulement parce qu'il est mort mais surtout parce qu'elle l'aime encore et qu'elle ne le reverra plus jamais. Elle n'arrête pas de se répéter, jusqu'à se déchirer de souffrance, que si elle avait su l'accueillir l'autre soir, il serait là avec elle et pas dans cette urne scellée dans le mur du cimetière. Parfois elle n'est plus elle-même que cette unique pensée. Elle se sent la tête bouffée comme par un monstre. À ce moment-là la douleur est si insupportable qu'elle pourrait en finir et le rejoindre. Même la pensée des enfants ne peut pas combattre ça. D'ailleurs, en ce moment ils se chamaillent tout le temps ou bien ils chahutent en ricanant, ils évacuent comme ils peuvent, elle n'en peut plus de les entendre. Le soir, ils sont couchés et elle se retrouve seule, plus rien ne la détourne du chagrin, même la télé elle ne peut pas la regarder.

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09 septembre 2007

26 quatrains d'autoroute, 1


Clin
D'oeil
Craint
Deuil

08 septembre 2007

Minigraphies, 1


Cette voyante extra lucide s'était en quelque sorte prise à son propre jeu : alors qu'elle avait exercé son métier sans encombre mais avec beaucoup de professionnalisme et d'humanité pendant plus de quinze ans, elle avait soudain "vu", à la cinquantaine, sa vie lui échapper. Inversion effroyable de sa "vision" du monde, elle avait eu la révélation que ses pensées et ses actes avaient été contrôlés sur Internet par un fantôme qui la guettait tapi dans l'ombre depuis des années. Il avait réussi à infiltrer jusqu'à sa vie familiale et le groupe bienveillant de tous ses anciens amants. Elle ne pouvait plus se fier à personne et surtout pas à un cousin éditeur de jeux de rôles qui contrôlait le réseau depuis une grande ville de province. Cela lui donnait le sentiment insupportable d'avoir trahi la confiance de ses fidèles clients et de ne plus pouvoi exercer le seul métier pour lequel elle s'était toujours sentie faite. Elle se sentait fouillée jusqu'au fin fond de son cerveau, mise à nu devant tout le monde avec la certitude qu'on lui reprochait une faute qu'elle n'avait pas commise pour la disqualifier professionnellement, la priver de son gagne-pain, la mettre sur la paille et la chasser de chez elle. Des cernes sous les yeux, le teint brouillé, la voix éraillées par les cigarettes anxieusement fumées depuis des jours, elle rapportait tristement les détails de tous ces évènements sur le ton de l'évidence. Dans son récit, le complot gagnait de proche en proche des zones de son entourage jusque là indemnes de toute suspicion et ses alliés se retournaient contre elle à la vitesse d'un cheval au galop. A l'heure qu'il était, elle n'était même plus en sécurité chez une soeur aimante chez qui elle avait couru se réfugier. Nous étions comme une île coupée du monde où elle avait échoué, neutres encore. Elle nous faisait une confiance enfantine. Mais pour combien de temps ?

06 septembre 2007

La plupart du temps j'ai l'angoisse de la page blanche. Mais là, maintenant, arrêter définitivement Ciscoblog ne me ferait ni chaud ni froid.