Au théâtre il y a ce moment dont j'ai déjà plusieurs fois parlé ici qui me transporte toujours, surtout si la représentation a été bonne, c'est le salut. Ce moment de transition qui résume à lui tout seul toute la magie du théâtre, où l'acteur doit lentement se défaire du personnage, redevenir acteur et recevoir les applaudissements du public. C'est la fin de l'illusion, l'atterrissage, le retour au "réel". Si j'ai aimé la pièce, c'est vraiment un moment qui me serre le coeur. Nous nous séparons. Nous ne quittons pas les acteurs, mais les personnages. Il y a toujours une grande douceur : cette façon de s'aligner de se tenir par la main, de lever les bras ensemble, ce lent retour où, encore vêtu des oripeaux des personnages, les acteurs ne sont cependant plus les personnages, où ils ne peuvent plus ni ne veulent plus nous faire accroire. Il ne reste plus qu'à saluer. Mais l'acteur ne dit pas "au revoir" (c'est le personnage qui le fait), il dit au contraire "bonjour" et nous quitte en même temps. Les personnages s'évanouissent comme les protagonistes d'un rêve, quand il faut se reveiller. On voudrait les retenir, mais on ne peut pas. Les acteurs n'ont plus qu'à dire la vérité : c'est moi qui l'ai fait. Ils vont eux aussi quitter la scène. C'est une deuxième séparation. Tombent les masques, on dégrafe un peu les cols, on sourit. On s'aperçoit soudain qu'ils sont en nage, qu'ils sont essouflés, fatigués, quel travail cela été. Cet après midi, à la fin de l'excellent "Mariage de Figaro" que donne en ce moment la Comédie Française, j'ai ressenti cette émotion qu'on ne peut ressentir qu'aux spectacles "vivants". Au théâtre à l'italienne tout est fait pour qu'acteurs et spectateurs soient le plus proche possible : le parterre ne s'étend pas de plus en plus loin en arrière (comme dans un "Zénith" par exemple) au contraire, il bifurque très tôt et se développe en hauteur : corbeilles, premier balcon, deuxième balcon, poulailler, paradis. On s'élève tout droit jusqu'aux cintres. La sympathie vient de là : le théâtre est une maison, notre maison, toujours. Chacun de nous a connu enfant ces scènes "primitives" où nous occupions ces espaces ménagés entre les pièces, des ouvertures, des seuils, doubles portes par exemple, planchers surélevés, pour en faire des théâtres, éteindre les lumières et les éclairer à nouveau par une simple lampe de chevet. Concerts de trois minutes, tours de chant minuscules, oresties, énéides improvisées et autres soirées poétiques hésitantes... En cette fin d'après midi, en même temps que le jour finissait, nous étions tous heureux comme on l'est à la fin d'un repas de fête familial où on a poussé la chansonnette ou raconté une histoire, où chacun a montré ce qu'il sait faire et émerveillé les autres. Il y avait cette véritable chaleur. Je ne me sens jamais autant "chez moi", relié, "en famille", qu'au théâtre.