Cet après midi j'ai encore failli avoir le syndrome de Stendhal. Je suis assez sujet au syndrome de Stendhal comme vous le savez si vous fréquentez Ciscoblog. J'ai comme une faiblesse de ce côté là. J'ai failli l'avoir mais je ne l'ai pas eu. Heureusement car je conduisais ma voiture, sur le grand viaduc autoroutier de l'A15 qui enjambe la vallée de la Seine en une courbe qui a des douceurs de hanches. C'est un coin où je ne vais pratiquement jamais. Si j'y venais souvent j'y serais habitué. Mais là, j'ai failli avoir le syndrome de Stendhal. Il y a je crois un tableau célèbre de Monet qui s'appelle "la Seine à Argenteuil" . Il l'a peint plusieurs fois. Il y a amené ses copains, Sisley, Caillebotte, Manet. Cela n'est pas étonnant que les peintres aient pris le coin comme modèle. Ils y ont peint des paysages élégiaques baignés de lumières vibrantes. On y voyait des barques, de petits voiliers des peupliers ou des ponts aujourd'hui disparus. Plus trop de nos jours, mais le paysage y est toujours sublime. La Seine à Argenteuil est belle depuis les temps préhistoriques, quand les brontosaures venaient y boire. Ce n'est pas l'urbanisation d'aujourd'hui, ni la disparition des brontosaures et des impressionnistes qui lui fera perdre sa séduction. Je revenais donc d'Ermont en direction de Paris. L'autoroute (c'est une sorte de bretelle, un brin de l'incroyable enchevêtrement de bitume qui court jusqu'au Grand Stade de France à Saint Denis) descendait du coteau et débouchait sur le beau viaduc en une belle courbe à gauche très roulante. A ma droite, dans la demi brume de cette fin d'après midi d'automne gris le paysage se déployait. On pouvait voir le skyline de la défense, complexe, ne rendant rien à celui de mégapoles mondiales, champ de pointes et d'épines noires, biseautées miroitantes, où contre toute attente, pourrait-on dire, les lignes obliques dominaient étrangement les verticales, laissant deviner des jeux de courbes, des volutes, des boucles en attente, puis, première aspérité remarquable sur l'étendue presque infinie de l'amas des maisons et des immeubles qui y faisait suite, la Tour Eiffel très nette dans le lointain, balise immuable, rassurante et presque banale. Mais la perspective, rendue mobile par le mouvement de la voiture qui dévalait le viaduc, amorçait un lent travelling, se déployant vers le Nord. La coulée scintillante de la ville s'élevait comme une bulle de lave vers la colline de Montmartre surmontée du Sacré Coeur qui se découpait sur les nuages posés tels des touches de peinture. Le viaduc plongeait vers le fond de la vallée, virant en pente douce, on survolait maintenant une zone industrielle couverte de citernes alignées par douzaines, de myriades de hangars, de parkings, d'usines et de cheminées d'usines qui aspiraient le ciel. Ça et là, des plages résidentielles, comme dans les jeux vidéo, avec des achèlèmes plantés comme des piquets au milieu des friches. Je cherchai le fleuve des yeux et ne le trouvai pas d'emblée, occupé tout de même que j'étais par mon premier devoir d'automobiliste : surveiller la route. Il était là, pourtant, presque mince ruban d'acier mat aux ondulations immobiles. C'était lui que le viaduc enjambait telle un ruisseau au fond d'une rigole, généreusement : non seulement il l' enjambait mais il enjambait aussi les berges, mais aussi les villes et les collines. De la haut, avec l'effet de la courbe, la Seine semblait monter vers le ciel blanc comme dans un avion. Puis le viaduc se posa sur le coteau d'en face et la route se confondit à nouveau avec une route. Je m'accrochai au volant, prêt à freiner : j'avais le cœur qui débordait de la beauté du monde.