Voyage à Paris, 1
Dimanche 9 mai. Après un moi d'avril splendide et triomphal, mauvais temps, pourri . Je prends le Toulouse-Paris de 12 heures trente qui s'arrête juste deux minutes à Cahors. J'ai une mauvaise place, dans le sens contraire à la marche, enfermé contre le mur, avec les trois quart de la fenêtre masquée par le siège de devant. Mais bon, le paysage mouillé et gris n'est pas si attrayant. Mon voisin s'est endormi rapidement. Les wagons, qui ne sont plus compartimentés, sont maintenant de grands dortoirs alvéolés, où l'on collectionne deux par deux, des échantillons du genre humain, hommes, femmes, enfants aux regards perdus, voyageurs diaphanes et désœuvrés, enfermés dans leurs bulles, walkman, DVD sur les portables, bouquins, mots fléchés, mastications lentes de sandwichs emballés dans des films d'alu, sommeil, rêves. J'ai acheté au petit Relais H de la gare une belle pile des magazines que je ne lis jamais que dans le train, "La Recherche" "Science et Vie", "Le Nouvel Obs", "Beaux Arts". Après les avoir feuilleté longuement et consciencieusement les uns après les autres nous n'avons pas fait plus d'un quart du trajet. Restent quatre heures, un gouffre. Nous ne sommes même pas encore arrivés à Limoges et sa splendide gare kitsch. Je me mets à la lecture d'"Orages ordinaires" de William Boyd dont j'avais adoré il y a plus de vingt ans "Un anglais sous les tropiques", "les nouvelles confessions" "Brazzaville plage" et plus récemment la "Vie aux Aguets", qui se lit bien (cet art de vous emmener avec lui dans son histoire) mais qui présentement me déçoit assez. A destination, je l'oublierai d'ailleurs sur mon siège sans en connaître la fin et sans trop de regrets. Hypnotisé, à l'instar de tous les échantillons du genre humain, par le fascinant défilement du paysage devant la vitre, j'ouvre mon calepin Clairefontaine, assuré d'y noter sans tarder les deux ou trois haïkus de train qui ne manqueront pas d'éclore tout écrits dans mon esprit ainsi disposé à leur rencontre. Je resterai cependant sec un long moment, le bic en l'air, ne parvenant à accoucher, devoir accompli, que du médiocre "Les forêts pressées/Défilent à la fenêtre/Du train immobile" déjà ici déposé, selon ma règle. J'élide l'arrivée à Paris, le quai désert, les gens pressés, les travaux interminables de la gare d'Austerlitz, le taxi qui roule à gauche sur le boulevard Saint Marcel, le soir qui tombe sur la station Port Royal : J'ai dormi dans une pièce transformée en bureau qui est mon antique chambre d'enfant. J' y ai feuilleté, avant de m'endormir de vieux livres, des bibles et des livres de prières en hébreu qu'on ouvre par la fin, aux pages parcheminées, vieux de deux cent cinquante ans qui furent ceux de l'arrière grand père de mon grand père et j'ai tenté d'y retrouver le Kaddisch que je n'ai pas su dire sur la tombe de mon père.