Voyage à Paris, 3
Le trajet Dormeil Courpont-sur-orme se fait par les liaisons de banlieue à banlieue (A6, A104 dite "Francilienne", N20, A10...) à travers une vaste baie de personne à la Peter Handke, des échangeurs autoroutiers, des cités, des zones commerciales, des friches industrielles et des champs maraîchers qui n'en finissent pas. Aux abords de Montlhery, alors qu'on se rapprocherait plutôt de Paris, le paysage, un peu plus structuré, commence cependant à prendre des airs de campagne, certes très peuplée, mais de campagne tout de même, avec des arbres, des prés et des collines. C'est là que se cache le château de B. , petit manoir XVII° à tourelles et à douves ouvrant d'un côté sur un parc avec bassins, naïades et tritons, charmilles où se poursuivent des nymphes et des satyres en pierre, broderies de buis et arbres centenaires, et de l'autre sur une cour d'honneur pavée, avec statues de lions couchés, grilles, lanternes et lanternons. La clinique n'occupe pas la belle bâtisse qui sert plutôt à l'administration et pour les colloques mais les communs et l'ancienne roseraie, dont les remaniements successifs ont fait un improbable mais somme toute assez réussi mélimélo architectural. C'est ce genre de décor qui donne à certaines institutions psychiatriques leur côté "Abbaye de Thélème" et la clinique de B. n'est pas en reste, ce qui ne veut pas du tout dire qu'on est ici en colonie de vacances, Dieu me tripote, et même peut-on parfois rendre grâce au ciel que la beauté de ces lieux d'accueil, l'harmonie qui y règne physiquement, pour ainsi dire, vienne parfois compenser l'horreur de certaines souffrances. Quand il fait beau les malades prennent le soleil sur les vastes pelouses ou bien l'ombre des chênes et des cèdres majestueux, font leur jogging dans les allées de platanes, se réunissent près de la grotte artificielle au fond du parc (quoique, la plupart du temps on peut plus facilement les trouver assis en grappes sur les fauteuils de jardin, serrés près de l'entrée de chaque pavillon, qui sont le premier lieu fumeur possible) En été, malgré tous les avertissements, les interdictions et les admonestations on les retrouve brûlés par le soleil, hâlés comme après un séjour aux Seychelles, ce que certains ou plutôt certaines voudraient bien faire croire à un entourage trop inquiet. Je fais la connaissance de Valère, financier burntouté, Artemise, inquiétante héroïne de Desperate Housewives, Sganarelle, suicidaire à répétition, Arnolphe, sympathique alcoolique, Oronte prêtre défroqué délirant mystique et quelques autres. On visite les patients dans leurs chambres (il faut parfois les chercher un peu partout, même au fond du parc) parce qu'on ne peut pas les recevoir dans les bureaux qui ressemblent, allez savoir pourquoi, au milieu de tout ce confort cossu, à des placards. J'affirme que contrairement à certaines idées reçues le métier de psychiatre est un métier physique : J'ai arpenté les couloirs et les escaliers de la clinique jusqu'à plus de vingt heures. Je rejoins Paris dans la petite Matiz louée le matin par la RN20 qui se jette dans l'A6 en franchissant l'Écoute s'il Pleut (joli nom pour une rivière, n'est-il pas ?) à peu près à la hauteur d'Antony. Nous dinons avec Nathan au japonais de la rue Gay-Lussac que dans un lointain passé nous appelions le "chinois de la rue Gay-Lussac" mais qui est, comme chacun sait et comme presque tous les japonais de Paris, tenu par des chinois qui, descendants des chinois d'antan, sacrifiant l'honneur national au goût du jour, se sont convertis à la mode de la world cuisine. Il n'est pas plus mauvais qu'un autre. Le midi il est plein d'étudiantes et de profs (Institut d'Études Hispaniques, Normale Sup'), Nathan y emmène sa grand-mère une fois par semaine et quand j'étais dormeillois j"allais les rejoindre à la fin du déjeuner. Maintenant il est tard. Nous sommes quasiment seuls devant nos menus L, devisant tranquillement sans la grand-mère qui dort depuis longtemps dans son lit avec la télé allumée.