L'Air du temps, 2
J'ai entendu ce soir, à la radio de bord, en rentrant tard du travail, à cette heure de l'été aux ombres caressantes où le jour, rechignant pour une fois à mourir, tarde à laisser la place à la nuit, me laissant porter par le rythme chaloupé de la route au soleil couchant, un dialogue entre Isy Morgenstein et Jean Ruaud dont je n'ai pas tout de suite saisi le thème, l'ayant passablement pris en marche. Tout d'abord, je n'ai écouté que d'une oreille, occupé que j'étais à me vider lentement des soucis du jour. Il y était question de bonheur et de collectif. Morgenstein disait à peu près qu'il ne pouvait y avoir de bonheur qu' "éprouvé ensemble", que cela faisait partie de la condition humaine. Il disait même que "l'éprouvé ensemble" n'était d'ailleurs probablement que la seule condition du bonheur. Il a alors donné à l'appui de son argument un exemple qu'immédiatement je n'ai pu que reprendre à mon compte. Bon, là je fais donc une pause, puisque je suppose que vous venez de cliquer sur le lien. Je vous laisse le temps de lire le post daté de 2003 sur lequel vous a amené votre clic. Vous y lisez qu'il était question du souvenir d'une représentation par le Théâtre du Soleil au moins trente ans plus tôt de "La Cuisine", d'Arnold Wesker, mais pourquoi le résumer à nouveau, en 2010, puisque vous venez de le lire - maintenant, pour pouvoir suivre la suite, il faut vraiment que vous ayez cliqué sur le lien - ce que je voulais dire, c'est que là dans ma petite auto, au soir tombant si doucement, dans les virages de ce si beau paysage, je venais d'entendre quelqu'un qui avait ressenti la même émotion que moi il y a trente ans. Toujours le fameux syndrome de Stendhal, je vais pouvoir en écrire des tonnes sur le syndrome de Stendhal maintenant que j'ai un alibi aussi culturel. A cette époque maintenant révolue comme disait Morgenstein, on pouvait encore monter des pièces avec une trentaine d'acteur, ce qui est quasiment impossible de nos jours. C'était le temps des troupes, des collectifs. Ce que voulait dire Morgenstein, à cette heure si belle de ce soir si beau, c'était la même chose que je disais en 2003, la même chose que nous avions éprouvé ces soirs de 1967 (eh oui, 1967... quarante ans plus tôt) c'était non seulement le bonheur d'avoir éprouvé ensemble la même émotion parce que si ce n'était que ça, cela serait seulement tautologique, mais d'avoir pu le faire. Je dis bien d'avoir pu le faire, l'éprouver. Il y aurait du bonheur dans le seul fait qu'on au aurait pu réussir à faire quelque chose ensemble. Un groupe, c'est vrai, ça ne peut pas marcher. C'est trop compliqué, il y trop de facteurs, il y a toutes les chances que ça foire. C'est inouï que tout le monde aille ensemble, malgré les engueulades et les divergences d'intérêts individuels. Et pourtant quand ça marche, c'est la grâce. On l'a fait. Gagner la finale de la coupe du monde, regarder le feu d'artifice, sans se bousculer, jouer une pièce de théâtre, faire la cuisine pour cent personnes. C'est le même : ce n'était pas gagné d'avance, tout concourrait même à l'échec, à la bousculade, à la panique, mais on l'a fait, et nous, on vous a regardé le faire, on vous a regardé vous exténuer et triompher, c'était un peu notre triomphe à nous, dans ce beau soir d'été au théâtre en rond de la rue Montmartre il y a quarante ans de cela,j'en rêve encore. Le bonheur, disait Morgenstein, c'était l'émotion esthétique, "l'éprouvé" ajouté au "ensemble" : de l"émotion esthétique" pour soi tout seul, c'est possible (le collectionneur devant son Caravage dans sa cave blindée) cela s'appelle de la "consolation" mais le bonheur de l'émotion esthétique et par suite le bonheur tout court c'est forcément "éprouvé ensemble" (non pas la foule devant la vitre pare balles de la Joconde au Louvre, quoi que, mais la troupe de théâtre à la fin de la représentation plus sûrement ou l'équipe posant la dernière clé d'arc du viaduc de Millau) Le bonheur n'est pas jouir de quelque chose déjà donné mais de jouir de le fabriquer, de le produire, de le faire advenir contre toute attente. Le bonheur c'est l'adéquation qu'il y a entre la perfection de l'œuvre d'art et la performance qu'il a fallu réaliser pour l'accomplir. La reconnaissance de la performance, plutôt : ce n'est qu'au moment même où nous la reconnaissons comme le fruit du travail inouï d'êtres humains comme vous et moi que le sentiment de bonheur peut nous étreindre la gorge comme dans l'or des soirs d'été les derniers feux du couchant.
J'ai entendu ce soir, à la radio de bord, en rentrant tard du travail, à cette heure de l'été aux ombres caressantes où le jour, rechignant pour une fois à mourir, tarde à laisser la place à la nuit, me laissant porter par le rythme chaloupé de la route au soleil couchant, un dialogue entre Isy Morgenstein et Jean Ruaud dont je n'ai pas tout de suite saisi le thème, l'ayant passablement pris en marche. Tout d'abord, je n'ai écouté que d'une oreille, occupé que j'étais à me vider lentement des soucis du jour. Il y était question de bonheur et de collectif. Morgenstein disait à peu près qu'il ne pouvait y avoir de bonheur qu' "éprouvé ensemble", que cela faisait partie de la condition humaine. Il disait même que "l'éprouvé ensemble" n'était d'ailleurs probablement que la seule condition du bonheur. Il a alors donné à l'appui de son argument un exemple qu'immédiatement je n'ai pu que reprendre à mon compte. Bon, là je fais donc une pause, puisque je suppose que vous venez de cliquer sur le lien. Je vous laisse le temps de lire le post daté de 2003 sur lequel vous a amené votre clic. Vous y lisez qu'il était question du souvenir d'une représentation par le Théâtre du Soleil au moins trente ans plus tôt de "La Cuisine", d'Arnold Wesker, mais pourquoi le résumer à nouveau, en 2010, puisque vous venez de le lire - maintenant, pour pouvoir suivre la suite, il faut vraiment que vous ayez cliqué sur le lien - ce que je voulais dire, c'est que là dans ma petite auto, au soir tombant si doucement, dans les virages de ce si beau paysage, je venais d'entendre quelqu'un qui avait ressenti la même émotion que moi il y a trente ans. Toujours le fameux syndrome de Stendhal, je vais pouvoir en écrire des tonnes sur le syndrome de Stendhal maintenant que j'ai un alibi aussi culturel. A cette époque maintenant révolue comme disait Morgenstein, on pouvait encore monter des pièces avec une trentaine d'acteur, ce qui est quasiment impossible de nos jours. C'était le temps des troupes, des collectifs. Ce que voulait dire Morgenstein, à cette heure si belle de ce soir si beau, c'était la même chose que je disais en 2003, la même chose que nous avions éprouvé ces soirs de 1967 (eh oui, 1967... quarante ans plus tôt) c'était non seulement le bonheur d'avoir éprouvé ensemble la même émotion parce que si ce n'était que ça, cela serait seulement tautologique, mais d'avoir pu le faire. Je dis bien d'avoir pu le faire, l'éprouver. Il y aurait du bonheur dans le seul fait qu'on au aurait pu réussir à faire quelque chose ensemble. Un groupe, c'est vrai, ça ne peut pas marcher. C'est trop compliqué, il y trop de facteurs, il y a toutes les chances que ça foire. C'est inouï que tout le monde aille ensemble, malgré les engueulades et les divergences d'intérêts individuels. Et pourtant quand ça marche, c'est la grâce. On l'a fait. Gagner la finale de la coupe du monde, regarder le feu d'artifice, sans se bousculer, jouer une pièce de théâtre, faire la cuisine pour cent personnes. C'est le même : ce n'était pas gagné d'avance, tout concourrait même à l'échec, à la bousculade, à la panique, mais on l'a fait, et nous, on vous a regardé le faire, on vous a regardé vous exténuer et triompher, c'était un peu notre triomphe à nous, dans ce beau soir d'été au théâtre en rond de la rue Montmartre il y a quarante ans de cela,j'en rêve encore. Le bonheur, disait Morgenstein, c'était l'émotion esthétique, "l'éprouvé" ajouté au "ensemble" : de l"émotion esthétique" pour soi tout seul, c'est possible (le collectionneur devant son Caravage dans sa cave blindée) cela s'appelle de la "consolation" mais le bonheur de l'émotion esthétique et par suite le bonheur tout court c'est forcément "éprouvé ensemble" (non pas la foule devant la vitre pare balles de la Joconde au Louvre, quoi que, mais la troupe de théâtre à la fin de la représentation plus sûrement ou l'équipe posant la dernière clé d'arc du viaduc de Millau) Le bonheur n'est pas jouir de quelque chose déjà donné mais de jouir de le fabriquer, de le produire, de le faire advenir contre toute attente. Le bonheur c'est l'adéquation qu'il y a entre la perfection de l'œuvre d'art et la performance qu'il a fallu réaliser pour l'accomplir. La reconnaissance de la performance, plutôt : ce n'est qu'au moment même où nous la reconnaissons comme le fruit du travail inouï d'êtres humains comme vous et moi que le sentiment de bonheur peut nous étreindre la gorge comme dans l'or des soirs d'été les derniers feux du couchant.