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30 mai 2002

bonsoir. Je relaie directement la trouvaille d'Emmanuelle.net, voici le plus petit site du monde, il y a tout, comme chez les grands, m�me un jeu de ping pong... Rien d'autre pour ce soir. Bye
Suite de l'histoire de Magali

C'était dans le train. Magali se rendait à Nantes, invitée par une ex belle sœur. Jenny était montée en cours de route. Les deux jeunes femmes avaient vite sympathisé. La conversation avait d'abord été joyeuse et enjouée mais, de fil en aiguille, comme cela arrive dans ces états de disponibilité à l'autre qui sont comme des états de grâce, favorisés peut-être par le défilement sans fin de la campagne par la fenêtre, le rythme rassurant des roues sur les rails et le cocon du compartiment, elles en étaient venues à se raconter l'une à l'autre avec plus de gravité. Jenny avait parlé de sa vie de galère, sans travail, dans la région parisienne et Magali lui avait raconté les violences de sa récente séparation. Le voyage fut assez long pour qu'elles se trouvassent des douleurs partageables et une amitié soudaine. Jenny parlait, sans trop y croire, de descendre dans le Sud avec son petit garçon et sa petite fille, Magali rêvait d'une maison sans hommes, pleine de complicité féminine et de bruits d'enfants. Quand le train s'arrêta en gare de Nantes, ce fut comme un retour sur terre en navette spatiale. Il fallut se séparer. Magali donna son adresse de Passa à Jenny, l'invita avec les enfants et lui dit qu'elle pourrait rester, si elle voulait, le temps de démarrer une nouvelle vie. Elles se séparèrent en souriant et se dirent chacune pour elle-même que les rêves ne se réalisent pas toujours, mais savait-on jamais. Magali retourna à Passa. Elle ne pensa plus à Jenny. La vie continua. Quelques semaines plus tard, elle reçut des nouvelles : Jenny se disait prête à franchir le pas et demandait si l'invitation tenait toujours. Magali l'invita à venir dès qu'elle pourrait. Elle prépara la maison, aménagea une chambre, installa des lits dans celle des filles. Elle leur annonça l'arrivée prochaine de deux petits copains, et puis on attendit. Un jour, les petites, qui jouaient dans la ruelle virent stopper, avec des hoquets de moteur épuisé, une vieille R12 couverte de poussière et pleine à raz bord de passagers et de bagages. Pas question d'aller plus loin, l'auto était au bout du voyage. Tout d'abord, rien ne bougea. L'auto les regardait avec des yeux torves sans parvenir à reprendre souffle, puis elles entendirent s'élever le vrombissement du ventilateur sous le capot fatigué, comme un sombre présage. Au bout d'un moment, l'auto laissa une maman et un papa s'extraire avec peine de son dedans. Les petites eurent un mouvement de recul et ramassèrent leurs jouets. Un petit garçon et une petite fille suivaient en titubant un peu, arrachés au sommeil. La petite fille pleurnichait en serrant son nounours. C'était les petits copains. Le papa prit la petite fille dans ses bras et le petit garçon attrapa le bas de la jupe de la maman. L'auto resta en arrière, sagement, sans chercher à suivre. La maman leur demanda si leur maman à elles était là. Sans répondre, elles se précipitèrent à l'intérieur en criant "Les copains, les copains! Ils sont arrivés, les copains!" Magali sorti à la rencontre de Jenny. Elles s'embrassèrent. Jenny présenta Philippe, son nouveau compagnon. Elle ne lui en avait jamais parlé, ni dans le train (mais il n'existait peut-être pas encore à l'époque) ni dans ses lettres, ni au téléphone. Philippe se présenta avec un grand et franc sourire. Quand il y en avait pour trois, il y en avait pour quatre, ce n'était pas plus compliqué que ça, se dit Magali. Et la vie s'organisa dans la grande maison, pas tout à fait comme Magali l'avait prévu, mais bon. Les enfants s'entendaient bien. L'intégration en cours d'année à l'école ne posa pas trop de problèmes, même si les deux petits semblaient arrachés à un monde qu'ils ne parvenaient pas encore à oublier. Magali, en revenant du travail le matin, préparait le petit déjeuner des enfants, et leur faisait leur bise au lit en y partant le soir, laissant, la nuit, à Jenny et Philippe, le soin de veiller sur la marmaille endormie tout en filant le parfait amour. Le matin, dans la maison vidée de ses petits écoliers et rendue au calme des pierres, Magali s’endormait, sous le coup de onze heures et de la fatigue accumulée, en caressant le chat devant la cheminée de la cuisine et Jenny et Philippe émergeaient tout joyeux de leur grasse matinée. On ne déjeunait pas. Le petit déjeuner de Magali était le goûter des enfants et le brunch des parents. Les vacances de Pâques arrivèrent. Magali eut des congés. Jenny et Philippe tardaient un peu à trouver du travail, et même à en chercher. A vrai dire, c'était pour eux comme des vacances enfin, des vacances qu'on pouvait faire durer presque autant qu'on voulait. Ç’était comme un bonheur insoutenable, un cadeau somptueux, pas très bien gagné. Souvent, ils partaient dans la campagne, pour de longues virées d’amoureux, se tenaient par la main au milieu des vignes, marchaient le long des plages désertes, s’enfonçaient dans des vallées arides et inconnues, ils dégottaient des troquets perdus dans des villages aux maisons de pierres où ils se faisaient reluquer par en dessous par les joueurs de cartes ou les oisifs des comptoirs. La nature et l’étrangeté des gens du cru entretenaient l’illusion que rien ne pouvait leur arriver sur cette terre promise et que quelque chose pareil à la manne du ciel, chiche mais suffisant, ne les abandonnerait pas. Ils rentraient au crépuscule, en retard, Magali les attendait pour partir au travail. Les petits, qui les avaient eux aussi attendus depuis le retour de l’école, se jetaient dans leurs bras avec des larmes qu’ils ne comprenaient pas.

29 mai 2002

Comme ceci est un weblog, je vais l'utiliser comme un weblog. Ainsi, seront mis en lignes ici des infos, des textes, des liens, bref tout un tas de choses que j'aurai glané dans l'actualité comme on dit, sur le net ou pas (cela contribuera peut-être à rendre ce site un peu moins nombrilique...) On commence donc par un texte lu dans "Le Monde" ce soir :

Le sacrifice de Geetaben, hindoue amoureuse d'un musulman

Le massacre de musulmans par des nationalistes hindous au Gujerat a été perpétré avec la connivence des autorités locales et couvert par le gouvernement central. Le "Times of India" s'indigne


En inde , philosophiquement et même littéralement, la mort fait partie de la vie. Chaque matin, on peut voir dans la presse la valse macabre des morts. Elle est devenue si habituelle que, le plus souvent, on saute les pages sur les calamités naturelles et les horreurs commises par l'homme. Jamais les journaux indiens n'ont publié plus d'articles à faire frémir que lors des événements de février au Gujerat. Jamais ils n'avaient été contraints d'utiliser des mots comme pogrom, holocauste ou nettoyage ethnique pour décrire un acte de violence sociale.

On se rappelle ce qui s'est passé dans cet Etat quand un train rempli d'activistes hindouistes a été attaqué, non sans provocation, par une foule de voyous soupçonnés d'être musulmans, qui y ont mis le feu, brûlant vifs 58 passagers, hommes, femmes et enfants. La vengeance des hindous n'a pas été spontanée mais organisée avec l'aide du gouvernement local de l'hindouiste Narendra Modi. En deux jours, deux mille musulmans ont été tués, leurs maisons et leurs commerces réduits en cendres. Ce qui a le plus choqué, ce fut l'implication des autorités dans ces crimes. Des ministres furent postés dans les salles d'opération, non pour faire appliquer la loi mais pour s'assurer que la police n'interviendrait pas durant le déchaînement hindouiste. Et on meurt toujours au Gujerat.

L'autre aspect de cette tragédie fut la nature de la violence elle-même : d'un sadisme démoniaque, impensable. Dans le Times of India, Siddharth Varadarajan a bien saisi la nature de cette tragédie à la manière de Dickens dans son Histoire de deux villes, sous le titre d'Histoire de deux hindous. Il commence la première histoire en décrivant une photo : "Sur un ruban d'asphalte poussiéreux gît le corps nu d'une femme, Geetaben. Un morceau de sous-vêtement traîne à proximité de son cadavre tandis que sa main serre désespérément les autres. Ses bras et son torse sont couverts de sang. (...) Au centre du cliché on remarque un tesson de brique, rouge, rempli de haine, peut-être celui avec lequel ses assaillants lui ont assené le coup fatal."

LE PREMIER MINISTRE EN CAUSE

"Geetaben a été tuée le 25 mars à Ahmedabad[capitale du Gujerat]. C'était une hindoue qui, aux yeux des hindouistes qui gouvernent cet Etat, avait commis le crime capital de tomber amoureuse d'un musulman. Quand le Sangh Parivar[mouvement extrémiste hindouiste] est venu le chercher, elle s'est interposée pour lui permettre de fuir. Elle fut traînée dehors, déshabillée et tuée. (...) Geetaben, ajoute l'auteur, c'était "la reine de Jhansi" [une héroïne nationale] du Gujerat, sa "Pasionaria". Car, même dans ta mort, avec ton corps innocent ensanglanté avec tes vêtements arrachés, tu as fait preuve de plus de courage, d'humanité, de dignité et de fidélité à la religion hindoue qu'Atal Bihari Vajpayee au cours du mois passé. (...) Quand arrivera le jour du jugement, personne n'osera te demander où tu étais quand le Gujerat était en feu !"

Varadarajan compare cette histoire avec celle d'un autre hindou, d'un autre citoyen de l'Inde qui, au contraire de Geetaben, jouit d'une position estimable, le premier ministre du pays, dont certains pensaient qu'il était plus ouvert d'esprit que les nationalistes qui l'entourent. En effet, l'autre histoire a pour site Goa, où M. Vajpayee, revenant d'une visite au Gujerat pour y exprimer sa peine, s'adresse à un meeting de nationalistes hindous.

"Quand j'ai entendu ce qu'il y a dit, j'ai eu la même nausée qu'en découvrant la photo de Geetaben. Ce qu'il a déclaré à ses fidèles partisans faisait froid dans le dos : "Où qu'ils soient, les musulmans ne veulent pas vivre en paix avec les autres !" En temps ordinaire, de tels propos seraient inexcusables. Mais quand on pense qu'il parlait ainsi du massacre de deux mille musulmans - en plus devant un public qui jugeait ce génocide justifié - on ne peut qu'être rempli d'horreur. (...) Dans le camp de réfugiés musulmans de Shah-e-Alam, il avait dit que les émeutes avaient fait honte à l'Inde. Mais ses propos à Goa nous ont encore plus couverts de honte", conclut, non sans tristesse, le plus prestigieux quotidien indien.

Vijay Singh

26 mai 2002

Bonsoir, que pensez vous de ma nouvelle mise en page ? Style, Non ? le probl�me est que je n'ai pas encore r�solu la question des largeurs mais ce n'est peut-�tre pas si grave, isnt'it ?
Bonjour, voici un p�me, oui un po�me de Jean Pierre Veerheggen tir� de On n'est pas s�rieux quand on a 117 ans :

l'otaire, comme disait mon voisin wallon Jacques Kewaert ! L'otaire pour d�signer le notaire ! Oui ! L'otaire, Jean-Pierre. Comme si quelque vieux ma�tre cabotin �levait des otaries dans son �tude transform�e en aquarium de parc d'attractions locales ! J'aime beaucoup cette hypoth�se ! Imaginer, comme lui, le b�niste moins ben�t qu'il n'y parait, en train de vendre des beignets pour arrondir ses fins de mois difficiles ou le chevin d�laissant son importante fonction scabinale pour aller � la p�che aux chevesnes ! Le mailleur passant, sans discontinuer, des casseroles de cuisine au remaillage des bas nylon de la ma�tresse de maison et l'unismate, tel un unijambiste du ciboulot, n'ayant plus qu'une bosse des maths comme l'ancien chameau d'Apollinaire devenu le dromadaire de Don Pedro

Je pense sinc�rement que la po�sie d�bute l� et nulle part ailleurs. Dans cette gaucherie apparente ! Dans cette maldresse g�niale. Ainsi l'un des plus beaux po�mes que je connaisse a-t-il pour auteur mon ami Jean-Michel Pochet ! Il est extrait de l'aube titre et a paru, il y a belle lurette, dans la biblioth�que Phantomas, � Bruxelles.

Le voici :

L'aube
La petite aube
L'aubette.
La cause
la petite cause
la causette
La tape
la petite tape
la !

Non ! Ce serait trop facile ! et Jean-Michel Pochet de reprendre :

L'aube
la petite aube
l'aubette.
La cause
la petite cause
la causette.
La tape la petite tape
son fr�re !

Merveilleux, non ?

La po�sie est toute enti�re dans cette "inattente" ou plut�t cette inattention soutenue qui fait, par ailleurs, que le po�te peut rendre tout possible ! Par exemple, inventer, en ces temps de crise, de v�ritables m�tiers d'avenir, tels : n�gociant en virages ou porteurs de toasts ; �conome d'efforts ou employ� aux temps et aux modes demand�s ; doreur de pilule ou dompteur de nerfs ; guide bleu ou serrurier dans les brancards ; facteur d�cisif ; enseigne de vaisseau sanguin ; �leveur de bon pied ou capitaine l'�ge ; luthier gr�co-romain ; navigateur de conserve ; cuistot colomb ou herboriste vian ; tailleur de croupi�res ; tourneur de veste ; monteur sur ses grands chevaux ; serveur de chaperon ; veilleur au grain ou surveillant de r�gime ; gardien de distances ; faussaire de compagnie ; trieur sur le volet ; tenacier � carreaux ; piqueur de col�re ; raboteur de budget ; livreur de battailles ; ouvreuse d'horizon ; m�nag�re de ch�vre et de chou ; laveur d'affronts ou fondeur en larmes ; assureur de haute consid�ration ; coiffeur de Sainte Catherine, friseur d'apoplexie ou raseur de murs-gratis ! masseur Anne ou mercier petit J�sus ; chanteur Malbrouk ou chauffeur Marcel, voire brosseur Marx ! Oui ! comme lesMarx Brothers !


Je ne sais pas si �a vous fait le m�me effet, mais �a me donne envie de me rouler par terre de rire. Si vous voulez en savoir plus sue ce genre de po�sie je vous recommande de cliquer sur ce lien de toute urgence. A bient�t





25.5.02
La grande vague de m�lancolie qui montait depuis un instant venait de le submerger. Une id�e semblait surnager. Une id�e qui, comme souvent, n'avait rien � voir avec les causes directes de la m�lancolie : il se dit que, pour lui, l'�criture �tait li�e � la conversation. Il ne pensait pas � ces conversations qui sont des �changes d'id�es plus ou moins brillants entre professionnels ou � ces conversations entrecrois�es lors de soir�es avec des amis, mais bien plut�t aux conversations banales de tous les jours, aux conversations t�l�phoniques, aux �changes sur les r�sultats du foot, sur la pluie et le beau temps, sur la gastronomie en mangeant � la cantine, � ces conversations qui montrent qu�un humain ne peut se juxtaposer � autrui seulement dans le silence. L'�criture �tait une d�chirure du temps. Une initiative qui rompait un silence. La m�me que la sonnerie du t�l�phone, la m�me, inverse, que la d�cision de t�l�phoner, de prendre son t�l�phone, de composer le num�ro, la m�me que prendre la d�cision de parler � son voisin dans un compartiment de train o� dans une queue de cin�ma, de rompre le silence pour faire connaissance ou pas, etc. Pourquoi � cet instant et pas � un autre ? Qu'est-ce qui rend soudain la n�cessit� de communiquer urgente alors que tout est calme, trop calme peut-�tre et que l'ennui n'est pas le temps vide de la m�lancolie mais au contraire un trop plein qui ne peut s'exprimer, une attente d'�tre mis en mouvement, la constatation de mille potentialit�s non utilis�es ? Il se rendait compte, au moins pour la centi�me fois, qu'il se mettait � �crire � un moment o� il pensait ne pas en avoir envie du tout ou ne pas en �tre capable. L'�vocation, dans la solitude, d'autrui, suffisait. Ecrire �tait un acte de communication diff�r� qui ne violait l'intimit� de personne. Ecrire �tait un acte non violent par essence car il aurait tout aussi bien pu prendre son t�l�phone, ou sortir dans la rue. Il se disait (mais il avait peut-�tre d�j� lu �a quelque part) que comme l'amiti� s'oppose � l'amour, la conversation s'opposait � l'interpr�tation silencieuse.



posted by grossmann francis 22:41
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En 1834, dans l'introduction aux trois volumes intitul�s "Cent vues du mont Fuji, Hokusai �crit : "� l'�ge de six ans, j'aimais copier la forme des choses et vers cinquante ans mes dessins �taient fr�quemment publi�s ; Mais jusqu'� l'�ge de soixante-dix ans rien de ce que je n'avais dessin� n'�tait digne d'int�r�t. � soixante-treize ans, je fus � peu pr�s capable de me p�n�trer de la croissance des plantes et des arbres, et de la structure des oiseaux, des insectes et des poissons. Ainsi, quand j�eus atteint quatre-vingts ans, j'esp�re avoir eu fait de croissants progr�s, et � quatre-vingt-dix ans avoir vu u peu plus loin dans les principes sous-jacents des choses, si bien qu'� cent ans j'aurai atteint un stade divin de mon art et qu'� cent dix ans chacune de mes taches de couleur et chacun de mes coups de pinceau semblera vivant." La "grande vague" fait partie d'un premier recueil intitul� " trente-six vues du mont Fuji" et publi� quelques ann�es auparavant. C�est le dessin le plus c�l�bre d'Hokusai : on y voit la fameuse vague bleue dress�e sur une hauteur formidable, surmont�e d'une dentelle d'�cume blanche, mena�ante comme une b�te fantastique, son mouvement comme fig� � son acm�, laisser le passage � un fr�le esquif qu'elle pourrait tr�s certainement engloutir comme un rien et qu'on devine dans un creux d�voilant un bout de la c�te, finalement toute proche, o� se d�coupe au loin la silhouette si reconnaissable et si attendue du mont Fuji. � F�camp ce jour-l�, nous avions eu de la chance : le ciel �tait bleu ray� de longs nuages gris effiloch�s. La mer nous faisait f�te, elle d�passait nos attentes, elle envoyait tr�s haut ses �clats d'�cume. Elle jetait ses grosses vagues couleur d�hu�tre contre la jet�e avec une constance enthousiaste et in�branlable. Il y avait d'abord un grand boum comme un coup de canon un peu assourdi. Une ou deux secondes apr�s la gerbe d'�cume �clatante de blancheur se dressait, comme un monstre d�bonnaire, d�fiant un moment les lois de la pesanteur. Elle s'y soumettait ensuite, faute de mieux, et retombait non sans avoir copieusement �clabouss� la petite casemate derri�re laquelle, toute petite, ravie mais pas trop t�m�raire, tu jouais � cache cache avec elle.






posted by grossmann francis 16:07
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Grande nouvelle. Je suis parvenu � d�couvrir et corriger la cause d'un Bug qui rendait ce site particuli�rement confidentiel puisqu'on ne pouvait pas y acc�der. La chose �tant r�par�e j'attends vos visites par millions


posted by grossmann francis 15:41
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23.5.02
bonjour � tous et surtout � franklin Millner qui tout compte fait doit �tre mon seul lecteur (except�e Laurette Alhalel qui malheureusement n'a toujours pas r�ussi � se connecter sur ces pages malgr� ses louables efforts)


posted by grossmann francis 00:34
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22.5.02
Je cite Alain Fleisher, dans les Trap�zistes et le rat : "Un jour des amants sont ensemble dans un lit et se donnent du plaisir et ne savent pas que c'est la derni�re fois. S'ils le savaient, d'ailleurs, de tels moments seraient invivables, et nul ne pourrait y survivre. Mais il y a une injustice � ne rien savoir, qui fait que ces instants de la derni�re fois, de la derni�re �treinte, du dernier baiser, des derni�res paroles �chang�es, du dernier regard, ne sont pas v�cus avec la violence tragique qui fait que nous mourrons chaque jour de toutes ces morts-l�, dans une totale indiff�rence. Un accident, la maladie, un brusque changement de situation, un revirement de fortune, une circonstance impr�vue, un voyage fortuit, un coup du sort, et tout ce qui devait continuer et se r�p�ter s'arr�te d'un coup, prend fin pour toujours, laissant sans suite et parfois sans souvenir, sans m�moire pr�cise, une fois qui devient alors la derni�re". Ce sont ces derniers mots qui m'impressionnent : "parfois sans souvenir, sans m�moire pr�cise". Je n�ai effectivement plus la m�moire des derni�res fois o� j�ai fait l�amour avec les amantes dont je suis s�par�. M�me si le souvenir de leurs formes, de leur souffle, de leur odeur, de leurs gestes, de leur regard ou leur mani�re de le d�tourner, de leurs caresses pr�f�r�es, de leurs moiteurs, de leurs baisers et du go�t de leur bouche reste encore vif ; m�me si, bien s�r, j�ai encore le souvenir d'�mouvantes �treintes, des moment et des endroits pr�cis o� elles se sont d�roul�es, de l' �merveillement de nos d�sir et de nos jouissances, du bruit de nos grognements, plaintes soupirs et cris entrem�l�s, des glissements, frottements, �crasements, empoignades et promesses presque tenues de d�vorations et d�engloutissements, de mots obsc�nes prononc�s comme des ordres ou des supplications, je reste incapable de me souvenir de chaque derni�re fois. �a en dit long � la fois sur l'amour, la m�moire et le deuil. Tout � l�inverse, je me souviens tr�s bien des premi�res fois, m�me si certaines furent uniques. Il me suffit souvent d��voquer le souvenir d�une amante, m�me si mes pens�es ne sont pas � priori d�ordre �rotique, pour vivre � nouveau notre premi�re �treinte : je me souviens des v�tements, des lieux, des surprises de la d�couverte des corps, du grain de la peau. Je me souviens de juste avant, des mots prononc�s et du d�cor qui bascule et de cette plong�e dans un � plus rien ne sera comme avant �, dans un irr�m�diable qui renforce un d�sir pourtant d�j� � son acm�. Je me souviens de juste apr�s, dans le d�sordre et l�essoufflement, les rougeurs et les pudeurs qui reviennent et o�, justement, tout est exactement comme avant, et rien encore irr�m�diable, avec cette tendresse et ces regards �mus en plus. Il n�y a pas d�amante dont je ne me souvienne pas de la premi�re fois, et il n�y a pas d�amante dont je me souvienne de la derni�re. Ce n�est pas seulement que le d�sir s��mousse, comme si les corps anticipaient la rupture d�j� pr�sente, et que l�acte perde sa force d��vocation future, car souvent la flamme br�le toujours et la s�paration n�est pas forc�ment due � une lassitude des corps, loin de l�. Car si la premi�re fois inaugure un � plus rien ne sera comme avant � souvent trompeur, la derni�re fois n�inaugure rien : on ne sait pas que c�est la derni�re fois, et c�est pour cela qu�on l�oublie et c�est ce qui est tragique. La premi�re fois ouvre sur un avenir possible, des promesses d�accordage, d�aventure partag�e, de d�multiplication du plaisir qu�on peut imaginer infinies ; la derni�re n�est qu�une parmi d�autres qui aurait pu �tre l�avant derni�re ou une avant mille autres et que ma m�moire n�a fait que retenir comme telle. Je me souviens de dix fois qui pourraient �tre la derni�re, mais d'une seule qui est la premi�re.





posted by grossmann francis 23:34
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19.5.02
Je n'ai jamais pu �crire � la main. A la main, vous vous souvenez ? les stylos, l'encre, le papier ? Bleue, noire, voire violette, l'encre. Le papier, feuilles "volantes" ou cahiers, voire carnets ou blocs d'�criture, vierges, � lignes ou � petits carreaux, v�lins, vergers, ordinaires ou autres Clairefontaine. J'ai tout essay� : stylos � bille et stylo "� plume", stylo � "plume" � r�servoirs ou stylo � "plume" � cartouches. Rien n'y a fait. Pendant longtemps j'ai essay� les stylos de marques diff�rentes, esp�rant d�nicher la plume id�ale, le "corps" qui tient bien dans la main, le "clic" plus ou moins distingu� ou plus ou moins sensuel du capuchon, Waterman, Schaeffer, ou Parker et autres Mont blancs. Offerts aux anniversaires ou aux �trennes, aussit�t perdus apr�s avoir montr� leur imperfection. Achet�s aussi, souvent tr�s cher, dans le but auto-persuasif et m�thode Cou� d'�viter de les perdre ou de les oublier, mais perdus tout de m�me (aucun n'a pu rester plus de quelques mois) avec pratiquement aucun regret. N'utilisant alors que les Bics � trois francs ou les "Cristal" � deux, les perdant tout autant et en achetant plusieurs par semaines. D�cidant alors de le voler, ramassant sans vergogne tous ceux qui passaient � ma port�e, connu comme le "dangereux voleur de stylos" et les perdant eux aussi encore et toujours. J'ai cru au miracle � l'apparition des premiers rollers, hybrides entres les billes et les plumes, mais j'ai vite d�chant� car le probl�me, finalement, j�ai fini par me l�avouer, n'a jamais �t� un probl�me de "mat�riel". Ni de stylo, ni de papier. Pas que cette grave infirmit� n'ait eu son origine dans je ne sais quelle "crampe de l'�crivain" chronique et r�pertori�e par la science neurologique. Pas que ce d�faut inavouable ne m'ait jamais emp�ch� de r�diger mes copies d'examens, remplir mes d�clarations d'imp�ts, ciseler mes billets doux, ou envoyer mes cartes postales de vacances. Pas que je n'aime pas �crire, comme beaucoup de gens, qui s'en tiennent � une expression �crite paresseuse et minimale. Au contraire, j'adore. Je peux m�me dire que l'�criture tient une place essentielle dans ma vie et dans mon imaginaire, comme on s'en est peut-�tre aper�u en parcourant les deux cent cinquante pages qui pr�c�dent et le nombre encore ignor� de moi, au moment ou ces mots s'inscrivent sur mon �cran, de celles qui suivent. Je peux m�me dire que je suis un v�ritable graphomane, un obs�d� textuel, un scribouillard inv�t�r�. Mais jusqu'� ces quelques derni�res ann�es il m'�tait tout simplement impossible d'�crire � la main, au moins durablement, ce qui est tr�s �tonnant quand on conna�t le plaisir quasiment sensuel qu'�prouvent mes cong�n�res � manier stylos, humer encre et lisser feuilles de papiers. Le pire est que j'�prouve moi-m�me ces plaisirs, mais que la cause ma difficult� � �crire "� la main" est encore plus forte que ceux-ci. La voici, cette cause, cette fameuse cause : je ne supporte pas les ratures. C'est tout simple, voyez-vous, mais r�dhibitoire. Alors que d'autres les ch�rissent, en jouissent, les d�doublent ou les triplent, raturant les ratures de leurs ratures, amoureux de leurs pages surcharg�es et presque illisibles et consid�rant que leurs biffures sont les �gales de leur sang, de leur sueur, les scories de leurs efforts, les strates g�ologiques de leur pens�e, l'arch�ologie de leur cr�ativit�, les traces �mouvantes de leur "work in progress", je les abhorre et les ai en horreur. Les ratures me terrifient et surtout me paralysent. Elles me font perdre mes moyens. Pour moi, la page �crite doit �tre propre, nette. La rature est un lit d�fait sous les yeux d'un visiteur attendu, le truc d�voil� du tour de magie rat� devant des enfants confiants, l'aveu d'un cheminement qui n'est que besogneux. "Mettre au propre" m'importe plus qu'enjoliver mes brouillons. Dans les temps oblig�s de l'�criture "� la main", je faisais une consommation insens�e de papier : je n'ai jamais dit que je ne corrige pas, que je ne reprends pas. Il est clair que je ne pr�tends pas voir ma phrase appara�tre toute faite sur le papier telle Minerve tout arm�e sur la cuisse de Jupiter. Je suis comme les autres, je b�gaie, j�ai sur le bout de la langue, je cherche le mot juste et ne le trouve pas, j�ahane, je m�arrache les cheveux, je polis, je cis�le, donne un petit coup de pinceau par-ci, un petit coup d'archet par-l�, je coupe, je retranche, j�ajoute, j�empile. Mais c'est � chaque fois sur le "propre". Une seule rature et je recommence toute la page : �a prend du temps (recommencer) et de l'argent (des kilos de papier). C'est une infirmit�, il n'y a pas d'autre mot. A la fin, m�me, il arrive que je renonce et quitte le texte, d�finitivement insatisfait. Quand la rature vous attache au texte, la remise au net perp�tuelle finit par vous le faire quitter. L'invention du traitement de texte a tout chang�. Je peux � la fois corriger, recorriger (je viens de le faire, juste � l�instant, vous n�allez pas me croire, "en temps r�el", avec d�lice et vous ne vous en n��tes m�me pas aper�u) et �crire en un propre perp�tuel, immacul�, faussement mais d�licieusement vierge, un texte tout pr�t � imprimer qui semble enfin tenir, qui n��chappera pas et n�ira pas se perdre dans les m�andres des h�sitations infinies. Dieu a cr�� le traitement de texte pour mon seul usage. Merci mon Dieu.


posted by grossmann francis 23:37
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je commence ici la publication de l'Histoire de Magali. A ce jour, je ne l'ai pas encore tout� fait achev�e.
Elle para�tra en plusieurs �pisodes, selon mon humeur.

Histoire de Magali



Dans ses entretiens avec E. Roudinesco, Derrida parle de l�hospitalit� : � accueillir, de fa�on inventive, en y mettant du sien, ce qui vient chez soi, ce qui vient � soi, in�vitablement, sans invitation. � Il oppose l�Hospitalit� � pure �, � inconditionnelle �, l�hospitalit� � absolue �, � l�hospitalit� � conditionnelle � ou � d�invitation �, celle des � lois � de l�hospitalit�. Il dit que l�hospitalit� juste (l�inconditionnelle) rompt avec l�hospitalit� de droit ; non qu�elle la condamne ou s�y oppose, elle peut au contraire la mettre et la tenir dans un mouvement incessant de progr�s, dit-il, mais il affirme en m�me temps qu�elle lui est aussi �trangement h�t�rog�ne que la justice est h�t�rog�ne au droit dont elle est, dit-il encore, pourtant si proche et � en v�rit�, indissociable �. Les lois de l�hospitalit� s�adressent � un �tranger, pourvu d�un nom de famille, d�un statut social, qui est justement celui d��tranger. En revanche, l�hospitalit� absolue exige que nous ouvrions notre chez-nous � un autre absolu, inconnu, anonyme, et que nous lui donnions lieu, comme il dit, que nous le laissions venir, que nous le laissions arriver et avoir lieu dans le lieu que nous lui offrons sans lui demander r�ciprocit�, sans lui demander d�entrer dans un pacte ni m�me son nom. Il dit de tr�s belles choses, que l�hospitalit� ne s�offre pas mais qu�elle se rend, comme la justice, ou qu�elle se donne, comme une femme ou comme un myst�re. Il parle aussi de toute la violence qu�il y a l�-dedans, l�histoire des filles de Loth, etc. Le r�cit qui va suivre est une histoire vraie : Magali habitait seule � Pacca, un petit village catalan, avec ses deux filles, Cl�o et Cynthia qui avaient dix et huit ans. Magali faisait l'infirmi�re de nuit pour pouvoir s'occuper des deux petites le jour. Ses horaires de travail lui permettaient tout autant de les mettre au lit le soir, de leur raconter une histoire, de leur faire leurs bisous pour la nuit, de se sauver � la clinique ou � l'h�pital, que de les r�veiller le matin, de leur pr�parer leur petit dej' et de les emmener � l'�cole. Apr�s quoi elle pouvait s'endormir pour r�cup�rer de fatigues de la nuit, ou pas. Elle ne dormait pas beaucoup en ce temps l�, pour dire le vrai. La nuit, une voisine ou une copine venait dormir chez elle pour veiller sur le sommeil des petites. Il y en avait m�me que �a arrangeait parfois, elles restaient plusieurs nuits de suite, rendant ce petit service contre un h�bergement temporaire. On s'arrangeait sans fa�ons et tout le monde y trouvait son compte. d'ailleurs, Magali �tait connue aux alentours, dans les petits villages, pour sa gentillesse, sa disponibilit� et son sens de l'accueil. Il y avait toujours une petite vieille qui avait besoin d'une piq�re, ou un gosse qui s'�tait fait une bosse en tombant d'un arbre, ou un travailleur saisonnier qui ne pouvait pas se payer le m�decin et qu'elle d�pannait en m�dicaments de premi�re n�cessit�. Elle h�bergeait volontiers des copains en difficult�, ou des copains de copains, ou des copains de copains de copains, voire des inconnus sympathiques, la maison �tait assez grande, et elle ne demandait rien d'autre en �change que de veiller la nuit sur les deux fillettes endormies. Etrangement, pourrait-on dire, cela se passait toujours bien, mais pas si �trangement que �a, car Magali �tait vraiment dou�e pour l'accueil, m�me si les baby sitters du moment pouvaient �tre des toxicomanes pas tout � fait d�sintoxiqu�s, ou des percussionnistes sans emploi un peu paum�s. On n'avait pas envie de faire du mal � Magali, encore mois � ses filles, et elle ma�trisait de son c�t� parfaitement les lois de l'hospitalit�. Elle savait se monter ferme et poser des conditions claires et acceptables. Elle savait donner, donner lieu, sans se laisser envahir ou d�border. C'est une sorte de don, tout le monde n'en est pas capable, on fait g�n�ralement une ou deux exp�riences qui tournent � la catastrophe et on se promet de ne plus jamais recommencer. Pour la plupart des gens la question de l'accueil tourne tr�s vite � celle du parasite, par exemple. Pas pour Magali, elle ne se trompait pas sur les gens. Quand elle sentait, toujours assez � l'avance, que les choses pouvaient mal tourner, elle s'arrangeait pour mettre fin au contrat tacite avec un tact et une d�licatesse qui ne lui attira jamais aucun ennui. Un jour donc, et c'est l� que commence vraiment notre histoire, elle rencontra Jenny.







posted by grossmann francis 23:06
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11.5.02
"Tender", un "tender". Nom commun, masculin singulier. Qui emploie encore ce mot aujourd'hui ? Dans le livre de Marcel Cohen, "Faits. lectures courantes � l'usage des grand d�butants" qui consiste en une suite de courts textes apparemment sans liens entre eux, mais qui, � la mani�re du puzzle perecien, d�voilent petit � petit la sensibilit�, les souvenirs et la vie de leur auteur, et qui, � des ann�e lumi�res du genre romanesque, pourraient ressembler � ce que je tente de faire modestement en ces pages, je lis le mot "tender". L'auteur est un homme de mon �ge ou peut-�tre un peu plus vieux. Le mot appara�t dans le dernier fragment du livre. Marcel Cohen y d�crit avec un grand bonheur d'�criture un souvenir de petit gar�on qui se tient sur le pont de l'Europe, immortalis� comme chacun sait par un c�l�bre tableau de Claude Monet ou d'Edouard Manet, et qui se laisse envelopper avec griserie par la fum�e des machines � vapeur qui passent sous le pont avant de gagner le large : "Les pistons l�chaient leur exhalaison d'huile chaude. M�l�e � la petite tra�n�e de poussier arrach� au tender, elle n'�tait perceptible qu'apr�s coup, comme le sillage odorant d'un animal." Le texte joue subtilement sur l'analogie entre la bouff�e de fum�e br�lante que d�gage le monstre m�tallique et une bouff�e de souvenir associ�e � cette odeur complexe que Marcel Cohen d�crit avec tant de pr�cision. Il d�crit en m�me temps l'�motion qui lui est immanquablement attach�e. En l'occurrence, c'est le sentiment d'h�ro�sme, pour le petit gar�on qu'il �tait, d'oser approcher de si pr�s de tels monstres et de supporter leurs terrifiantes manifestations. On s'amuse de cet h�ro�sme pu�ril, mais surtout, on prend conscience, comme par la bande, de la disparition d�finitive des locomotives � vapeur. le texte induit � la fois exaltation jubilatoire et nostalgie irr�m�diable. A un autre endroit du livre, Marcel Cohen �crit : "Alors que les �tre et les choses t�moignaient sans rel�che de sa pr�sence au monde et qu'il lui semblait, jour apr�s jour, appr�cier un peu mieux son sillage parmi eux, un homme d�couvre que tout ne r�p�te plus, d�sormais, que sa propre absence. Quand, et comment, cette inversion s'est-elle op�r�e ? Il serait bien incapable de le dire. Certes, si douloureux soit-il, et contre toute apparence, ce sentiment d'une perte est peut-�tre la preuve d'un regard plus aigu, auquel cas il n'avait � peu pr�s rien vu jusque l�, se dit-il. Et, � plus forte raison, comment aurait-il pu deviner ce qu'il exp�rimente maintenant tous les jours : que la beaut�, alors m�me qu'on la touche, et d�chirante comme un adieu et qu'un visage ami est parfois plus douloureux qu'une plaie ouverte. Cependant cette homme va, vient et se d�pense sans compter." C'est ce genre de douleur que me fait subitement ressentir la lecture du mot "tender". D'abord parce que, pendant un fragment infime de temps, ne le comprenant pas, j'ai cru � une coquille ou une faute d'orthographe ("poussier" aurait pu me faire le m�me effet, mais j'avais lu "poussi�re" et c'est un mot plus technique, sinon plus litt�raire) puis ensuite, le comprenant, au contraire, je me suis aper�u en un �clair qu'il ne faisait plus partie de mon vocabulaire courant, comme on dit, de mon vocabulaire intime, alors qu'il en avait objectivement fait partie, un jour certes lointain, et que, je me souviens parfaitement de moi, petit gar�on, allong� sur le linol�um de ma chambre d'enfant, en train d'accrocher le tender, empli de "poussier" de gr�sil et de houille concass�e, le charbon, parfaitement bien imit�, au milli�me, � la locomotive � vapeur de mon train �lectrique H.O. dont le m�canisme des bielles, parfaitement reproduit, m'enchantait. L'�vanouissement du mot "tender" qui est, rappelons-le, celui qui d�signe le chariot accol� � la loco et qui transporte sa r�serve de charbon, d'o� Gabin, par exemple, tirait des pellet�es fr�n�tiques dans la "b�te humaine" de Renoir, sa disparition non seulement de ma langue intime, mais aussi de la Langue, la langue quotidienne, dont je prends conscience au moment m�me o� il fait irruption � nouveau et peut-�tre pour la derni�re fois devant mes yeux, cr�e en moi une �motion qui n'est en rien comparable � ce que des jeunes gens nommeraient, plut�t � juste titre, nostalgie snobinarde de certains mots vieillots, archa�sants ou de tournures anciennes qui ont �t� souvent remplac�s par d'autres � l'instar de "courtepointe" par "dessus de lit", voire "culotte" par "slip" et "auto" ou "automobile" par "voiture", etc. Sans parler bien entendu des diff�rences entre ce que les linguistes appellent des "niveaux de langue" : populaire, courant, familier, argotique, �crit, litt�raire, administratif etc. La disparition de "tender" de mon dictionnaire intime tient � la disparition r�elle des tenders de l'univers des choses vivantes. C'est la mort d'un mot dont je ne me suis souvenu que de justesse, de mon vivant, plut�t par hasard, pour l'avoir lu dans un livre, bien apr�s le mitant de mon �ge, o� les trains ne sont plus � vapeur depuis longtemps. Je prononce "Tender" � haute voix, pour moi-m�me, tout seul : l'�motion est la m�me, avec un sentiment d'�tranget� ind�finissable. Il me rattache � mon enfance et un certain pass� du monde. Je demande � Laurette si elle sait ce qu'est un "tender", elle me r�pond non. Elle semble se souvenir vaguement quand je lui parle des machines � vapeur et de charbon. Le mot est �tranger � Nathan, aussi, qui n'a qu'une vague id�e des locos � vapeur et m�me des trains �lectriques (ah bon, on jouait avec �� ?) Si j'interrogeais tout le monde � propos des tenders L'humanit� se diviserait en deux : ceux qui se souviendraient du mot, me rassureraient sur la pr�sence de mon pass�, sinon celui du monde, et ceux � qui il ne dira rien du tout, nous rejetant, moi et ce monde, dans un pass� r�volu � tout jamais. L'�tranget� du mot, que je r�p�te � haute voix, "tender", n'en est que plus forte. Existe-t-il, dans d'autres textes ou au fond de moi-m�me, d'autres mots semblables, enfouis, oubli�s, et qui seraient empreints de cette m�me magie troublante, de cette beaut� d�chirante comme un adieu dont parle Cohen ? Je me promets de les relever bien pr�cautionneusement s'ils viennent � ressurgir et d'en faire la collection, autant que faire se peut. "Tender".


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