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28 février 2005

C'est peut-être un peu long à télécharger, mais c'est assez vertigineux, peut être l'interface du futur. C'est le dernier projet de Jef Raskin, l'un des inventeurs du macintosh, mort il y a deux jours.

27 février 2005

Merveille, 18



Je vais faire un aveu : j'ai assez longtemps pensé que Georges Perec était breton. Je sais, il y a plus grave comme aveu. Ce n'est pas si intéressant que ça. Ciscoblog a pensé que Perec était breton, bon. La honte. Je sais. N'empêche, j'ai longtemps cru que Perec était breton, c'est à dire français depuis de nombreuses générations, pas tout à fait comme moi. Je pourrai dire même que cela m'avait rassuré, en quelque sorte, qu'il soit breton, pour la bonne raison que quand j'ai appris qu'il ne l'était pas, et je ne vous épargnerai pas comment un peu plus loin, ça m'a fait une sorte de choc . C'est peut-être à cause du fait qu'il n'était pas breton, finalement, que Perec est devenu ce qu'il est pour moi (pardon d'avance aux "vrais" admirateurs...) Ce qui n'empêche pas "La vie, mode d'emploi" d'être peut-être ma merveille la plus merveilleuse. Donc, j'ai cru que Perec était breton. A cause de son nom bien sûr ( Ballec, Leguennec, Drenec, Guilvinec, etc.) et probablement aussi à cause de sa maîtrise de la langue (les bretons sont de vieux français tout de même, ils ne sont pas tous bretonnant et, quand il le sont, j'ai toujours pensé que c'était une érudition supplémentaire, la chance de posséder deux langues, l'une "moderne" et l'autre originelle, etc.) J'ai pensé que Perec était breton, disons au moment où j'ai lu "Les Choses", pas exactement au moment où le livre est sorti, un peu plus tard, mais aussi au moment où j'ai lu "La vie Mode d'Emploi", à sa sortie celui-là, au début des années quatre-vingt. Ca a été a été une des plus grandes rencontre littéraire (et même rencontre tout court) de ma vie. Quand je dis que j'ai pensé que Perec était breton, c'est que justement je n' ai pas pensé à la question des "origines" de Perec en l'air, en passant, ce n'était pas une idée qui m'avait seulement traversé l'esprit (je me fous de savoir, par exemple, si André Green est d'origine anglaise ou Hector Bianchotti argentine, si Vercors est Dauphinois, Marcel Proust juif ou François Bon Icaunais, par exemple, à partir du moment où ils ne sont pas des auteurs "régionalistes", ce que n'était pas Perec, bien entendu.) C'est aussi à cause de son aspect physique, la barbe, le pull marin sur la fameuse photo au chat et au bouton sur la joue (je ne sais pas s'il a jamais mis les pieds sur un bateau et je ne suis pas sûr que le pull soit vraiment marin.) Mais bon, c'est que, dan ces deux livres-là, à aucun moment Perec ne fait allusion à ses origines ou au fait qu'il soit juif, j'en suis certain. Et est-ce que cela compte beaucoup qu'il soit juif - pour lui, ça ne comptait pas tant que ça - ? Ce n'est pas la "judéité" de Perec qui est importante (comme elle l'est, par exemple chez Philip Roth, Primo Levi ou Amos Oz) c'est plutôt la question de ses origines, de la sienne, pas d'où il vient, mais de qui, de qui il est le fils, de ses parents disparus quand il était tout petit, de cette absence (et à l'époque disons que ça avait plus de chance d'arriver à un enfant juif, d'avoir des parents disparus quand on était tout petit, qu'à un autre.) Pourquoi, à la lecture des "Choses" ou de "La vie mode d'emploi" la question de l'origine s'était-elle imposée à moi au point que j'y donne une réponse aussi évidemment fausse ? En premier lieu je suis juif, moi, et je n'ai jamais su distinguer les juifs par autre chose que les assonances de leur nom, mais pas à tous les coups, pas aussi bien en tout cas que le faisaient mes parents et certains de mes copains d'enfance, pour lesquels on pourrait dire que cela avait été plus vital, malheureusement. J'affichais même à l'époque un certain mépris pour cette sorte de sale habitude à chercher des signes de reconnaissance communautaire. A tel point que le nom de Perec "sonnait" breton pour moi et pas juif. Mais en même temps, je suis bien obligé de dire que je lui avais tout de même assigné une origine. Ce qui était loin de mes habitudes et qui n'était en tout cas pas une manie. Je me souviens qu'il y avait des codes de reconnaissance : une question par exemple, "T'es pas un peu breton, toi ? – à laquelle nous ne répondions pas : " Si, de Brest…litovsk !" permettait à la fois de faire signe et de ne pas trop se compromettre en cas d'erreur, j'aurais du me méfier. En second lieu, je parlais de rencontre. C'est après avoir lu "La vie mode d'emploi" (ça a du arriver à d'autres avec Stendhal, Flaubert, Camus ou Claudel, selon les goûts) que j'ai cessé définitivement de croire que j'écrirai un jour un roman ou même un livre. "La vie mode d'emploi" m'avait fait prendre conscience de l'exploit irréalisable que représentait une telle prétention. Malgré mon émerveillement , le bonheur qui m'avait tenu tout au long de la lecture (sans parler des relectures ultérieures), et mon admiration éperdue pour l'homme et l'auteur, j'ai du inconsciemment en vouloir à Perec et donc, peut-être lui retirer le "titre" de juif, ou bien, au contraire, et je suis coutumier de cette trouble duplicité, de lui donner celui de "goy". Je ne dis pas "inconsciemment" au hasard. C'est Francis H., mon analyste, qui me donna la clef quelques années plus tard. Je ne sais plus pourquoi, j'évoquai, au cours d'un de mes soliloques obligés sur son divan, toujours dans l'ignorance de la vérité, "La vie mode d'emploi" à l'appui, l'absence probable de lien entre Perec et la psychanalyse (je devrais avoir honte, mais c'est comme ça) quand je l'entendis ricaner derrière moi (ce qui était très rare, pas seulement ricaner mais même émettre le moindre son) et, de la voix mielleuse qu'il savait alors si bien prendre, me conseiller de lire "W ou le souvenir d'enfance", pour voir. Cette lecture, qui me fit pleurer, fut une révélation aussi grande que celle de "La vie mode d'emploi" et m'obligea à rectifier ma double ou triple erreur. Je n'en admirai Perec que plus éperdument, comme on peut s'en douter (et un peu mon analyste, accessoirement). Bien évidemment, tout était déjà dans "La vie mode d'emploi", à peine déguisé : le puzzle, la pièce manquante, le trop plein, la surabondance ludique, le surplus de plaisir, la jubilation, la douleur. Perec écrivait pour conjurer l'absence, montrait magnifiquement que la vie était comme la littérature : faire semblant de croire qu'on croit, l'écriture ou la vie.

25 février 2005

N7


je suis fffou de flickr ! (maintenant que j'ai tout compris), vraiment fou !

24 février 2005

Pensée de la nuit N° 80 : "Je compare toujours la langue à un chien en laisse qui vous tire derrière lui. Pour écrire, on n'a pas besoin de faire grand-chose. Il faut commencer par poser quelques jalons, comme pour une esquisse, et puis à un moment les choses prennent. Comme une vis dans le mur qui tout d'un coup mord et qu'on peut enfin visser. Le texte traîne à sa suite celui qui écrit." Elfried Jelinek, interwiew à Christine Lecerf (blog de pierre Assouline)

23 février 2005

Un Haiku par bain, 7


rêvassant espoir :
Par une longue immersion
Se dissoudre enfin

21 février 2005

A chaque retour de vacances j'ai la même sensation étrange : le monde a changé. D'abord je ne saurais dire pourquoi. Il y a un je ne sais quoi dans l'air, dans l'espace, dans le paysage, dans le réel, pour tout dire, que j'avais oublié et que je retrouve, quelque chose dont je m'étais vite passé qui m'avait pourtant été familier. Le paysage n'est plus celui de la campagne que j'ai parcourue une semaine durant. C'est que je suis à nouveau "en ville", le paysage urbain a ses contraintes, ses laideurs, mais aussi ses beautés, ses familiarités, son rythme. Ce n'est plus le blac silence des espaces enneigés où terre et ciel se confondent. Vous traversez la "campagne" autant qu'elle vous traverse. La nature est silencieuse, elle vous entoure, vous contient. Vous en faites partie immédiatement. Il y a comme une complicité muette, tranquille, un enveloppement. Rien à dire. Le paysage se donne tout de suite, évidence sans paroles. Ce qui arrive, à chaque retour "en ville", c'est que l'espace ne me parle plus de la même façon, ou plutôt il se met à me parler, justement, ce qu'il avait cessé de faire pendant une semaine. C'est de là, probablement que vient cette étrange sensation : Il y a des choses qui s'adressent à moi, moi le passant qui passe, des choses qui me parlent parce que je passe, justement. Ca se met à nouveau à parler. Ce bruit, ce n'est pas seulement la rumeur de la ville. Je peux lire des mots partout. Sur les maisons, les immeubles, à chaque coin de rue. L'espace est saturé de paroles et de significations. La ville parle. La ville me parle. Elle n'a plus la discrétion et l'immédiateté de la nature. Non seulement elle parle mais elle blablate, elle me saoulerait. Le premier jour, la brusque réapparition des mots, des images, absents pendant une semaine, est comme une agression, inquiétante étrangeté. Je m'habitue pourtant vite, oublieux du silence de la nature, et je redeviens cet observateur bavard qu'est tout automobiliste sur son trajet quotidien. Je converse avec la ville, je ne la traverse pas seulement. elle me parle et je lui réponds, je lui donne mon opinion, sinon mes impressions. Il n'y a pas de publicité dans la nature. Aucune inscription sur la neige, pas de néons dans le ciel, pas d'enseignes sur les arbres. On s'abandonne à la contemplation, surpris par la course d'un famille de biches, par le vol des oiseaux se proie ou la vision des éperons de glace figés aux fontaines. On n'y parle pas. Dans la nature, le paysage ne fait que vous caresser et vous envelopper. Pas besoin de mots. Ce matin, en ville, sur les panneaux publicitaires, les slips et les caleçons masculins "Hom" bien remplis avaient remplacés les créatures de rêves et les corps ideaux des filles "Lise Charmel" qui m'avaient accompagné au travail la semaine dernière. En une semaine la ville parlante avait changé de sujet, de sexe, après les femmes les hommes. La conversation avait repris. La ville me parlait de corps, de mon corps forcément à travers celui, idéal, des autres. La ville me parlait de sexe. Bientôt elle me parlera d'enfants, d'argent ou de voitures, et puis encore de sexe. Je me dis que ce qui définit l'espace urbain est qu'il est un paysage parlant. La ville ne serait pas la ville si elle ne parlait pas. La ville est incapable de se taire.

19 février 2005

Ciscoblog a passé la semaine sous une bonne couette de neige et de flemme au fin fond d'une petite vallée des Pyrénées. Il revient demain soir plus en forme que jamais. Patience, plus que 24 heures !

13 février 2005

Pensée de la nuit N° 79 : "L'insomnie est la seule forme d'héroïsme compatible avec le lit" CIORAN, syllogisme de l'amertume.

09 février 2005

Un Haiku par bain, 6



Je n’ai rien trouvé.
Un flacon vide dérive,
Salut Archimède !
Merveille, 17


Il en est des lieux comme des livres. Vous pensez vous y tenir, mais ce sont eux qui se tiennent en vous, qui vous tiennent. Vous y déambulez mais ils sont déjà depuis longtemps une partie de vos pieds, de vos jambes, de vos yeux. Il ne s'agit pas de paysages. Il ne s'agit pas d'images. ces lieux - ou ces livres - vous habitent plus que vous les avez habités. A vrai dire, vous les avez assimilés, incorporés. Vous vous êtes faits de leur rumeur, de leurs couleurs et de leurs personnages. Quand vous les avez quittés ou que vous les avez refermés, ils vous ont manqué. La nostalgie d'eux vous vient souvent. Pourtant vous ne les avez pas perdus, ils sont déjà en vous, depuis longtemps, ils sont une de vos poutres maîtresses. Je parle des livres aussi parce que je viens d'en refermer un comme on n'en lit pas souvent. Un de ceux qui sont comme un fleuve qui vous emporte, un de ceux à l'intérieur desquels on se sent tomber sans fin. Terminez le, refermez le pour la dernière fois, et c'est le contact brutal avec le sol : les lieux que vous avez parcourus d'abord neufs puis familiers, les personnages, d'abord intrus puis vite amis intimes vous manquent tout à coup et vous vous sentez orphelin, abandonné. C'est comme une séparation, un deuil. La tristesse de la perte vous envahit. Et pourtant, ces mots écrits, ces personnages, par l'alchimie merveilleuse de la seule littérature, sont entrés en vous. Convertis en chair vive par le lent métabolisme de la lecture, ils sont là qui errent, ébahis, égarés sur je ne sais quel Boul'mich intérieur, à votre propre recherche. C'est une émotion que vous pouvez aussi ressentir parfois à l'apparition du mot "fin" au cinéma : ce n'est pas forcément parce que les personnages vous ont à ce point ému que vous sentez les larmes vous envahir, c'est aussi parce que vous les avez aimé et qu'ils viennent de partir sans vous dire au revoir. Mais il faut vous lever, quitter la salle en emportant leur absence avec vous. C'est peut être, au théâtre, la fonction du "salut" des acteurs après que le rideau se soit refermé. Il s'ouvre à nouveau et les voilà qui reviennent. Quelle joie, elle vous fait battre des mains. Au théâtre, contrairement à ce qu'on croit, ce ne sont pas les acteurs qui sont applaudis, ils ne sont même pas faits de chair, mais bien les personnages, les vrais, en chair et en os, parce qu'au moins ils nous disent au revoir et que nous leur rendons cet au revoir. On ne peut pas le faire au cinéma, car ils ne sont que des images, ni dans les livres, car ils ne sont que des mots, et c'est pourquoi notre détresse est plus forte. Le livre dont je parle est "L'équilibre de monde" de Rohinton Mistry. Ainsi, il y a des bouts de moi qui sont fait de "tante Dina", de "Maneck", d'"Ishvar", d'"Omprakash", du "Maître des mendiants" et de "Shankar". Et il y en a d'autres, plus anciens, plus denses encore, qui sont faits de "Librairie soixante treize", de "Papeterie cent quinze", de "Literie Gerbault", de "Café le Luco", de "Home Confort" et de "Motobecane". Le boulevard Saint Michel n'existe plus, il n'a jamais existé, ou plutôt si, il a existé une seule fois, il y a bien longtemps, je l'ai refermé un jour comme un livre de ses librairies disparues et je l'ai rangé chez moi sur une étagères. Il en a été de même il y a moins de cinq ans avec Chérruthuruthi, petit village entre rizière et jungle au fin fond du Kérala

07 février 2005

Je pense à

La non rencontre de Charlie Parker et de Stravinsky dans le film "Bird" de Clint Eastwood. C'est une scène qui n'a probablement jamais eu lieu. Elle est seulement dans la tête d'Eastwood réalisateur. Mais la magie du cinéma pourrait nous y faire croire. On voit Parker seul dans une rue huppée et déserte de Los Angeles. Peut être qu'il pleut. Il est devant la grille d'un parc. Il semble hésiter. Il est bien trop tard. Ce n'est pas une heure raisonnable pour sonner chez les gens d'un tel milieu. C'est Forest Withaker qui joue le rôle. Il tente la rencontre de sa vie. Il se dandine d'un pied sur l'autre et finalement se décide. Il actionne la sonnette de la grille et scrute la maison cossue au fond du parc. Il attend, la tête basse, déjà résigné. On voit une fenêtre qui s'allume, on entend un léger remue ménage dans la maison. Séparée de la grille par une centaine de mètres d'allée, la porte s'entrebaille. Gros plan alors sur le grand Igor, en douillette robe de chambre à parments de soie. Il a l'air inquiet. Contre champ. On voit la grille dans la pénombre. On distingue mal la silhouette d'un grand homme noir, à la grille, qui pourrait tout à fait être un vagabond. Igor à peur. Cela se voit en gros plan. Il appelle avec une voix de fausset et un fort accent russe : "Il ya quelqu'un ?" Charlie Parker a déjà esquissé le geste de partir. Igor voit bien qu'il y a quelqu'un, quelqu'un qui s'en va, un noir, mais il repose sa question angoissée : "Il y a quelqu'un ?" qui veut seulement dire "Allez-vous en !" Arrive alors Véra, qui le tire par la manche et le fait entrer à l'intérieur. "C'est qui ?" - "Je ne sais pas." Il n'y a plus personne devant la grille. La porte se referme. Noir. J'ai entendu dans la voiture ce matin sur TSF 89.9 un épisode de la biographie fort bien faite de Charlie Parker et l'histoire du Be-Bop. On ne sait pas assez quel enfer a été la vie de certains grands jazzmen, en proie à leur douloureuse condition d'homme noir et d'artiste. "Bird" et surtout le génial Forest Withaker, nous le montrent assez bien. J'ai un infini respect pour le respect que Clint Eastwood porte à la vie et à la musique de cet albatros (que ses ailes empêchaient de marcher...) abattu en plein vol (il est mort à 34 ans d'une crise cardiaque en éclatant de rire devant un dessin animé à la télé). Eastwood, dans cette scène de 45 secondes en fait une extraordinaire ellipse. Charlie Parker connaîssait et admirait profondément la musique de Stravinsky, il était persuadé que ce qu'il tentait de faire avec le Jazz, Stravinsky l'avait réussi avec la musique classique. Il le tenait pour un très grand homme. Il imaginait une rencontre. C'est en tout cas ce que Eastwood était en droit d'imaginer (que Parker imaginait rencontrer Stravinsky) dans cette magnifique scène de la grille. La conclusion de la scène, déprimante, la barrière sociale impossible à forcer, la bonne (in)conscience de Stravinsky, même si d'ailleurs il appréciait le Jazz, mais cela alors absolument plus rien à voir, la douloureuse lucidité de Parker, est aussi désolante que la mort de Bird elle-même dans le dénuement d'humanité qu'on voit aussi dans le film, qui est un film sur l'autodestruction. On sait maintenant que Stravinsky et Parker se sont effectivement rencontrés mais d'une manière qui n'a rien à voir avec celle décrite par Eastwood. Alfred Apple raconte à peu près ainsi la scène. C'était en 1951, un Samedi soir, à New York, au coin de Brodway et de la cinquante deuxième, au Birdland. Le quintette de Parker passait en seconde partie. La salle était déjà pratiquement pleine pour la première partie avec le trio du pianiste Billy Taylor en dehors du grande table marquée "réservée", ce qui était assez rare au Birland. A la fin du set, une compagnie de quatre ou cinq hommes et femmes vint s'installer. Il monta dans la salle une sorte de clameur quand à la table réservée, où trois garçons s'empressaient déjà, on reconnu l'un des messieurs : Igor Stravinsky en personne. C'était aussi une célébrité dans le monde du Jazz à cause du Concerto qu'il avait composé pour Woody Herman et son orchestre en 1946. Comme le Quintet de Parker s'avançait sur le devant de la scène, le trompettiste Red Rodney reconnut Stravinsky. Rodney se pencha vers Parker et le lui dit. Parker attaqua immédiatement le premier morceau, "Koko", en duo avec Gillespie à une vitesse folle. Au commencement de son second chorus il improvisa magnifiquement sur l'ouverture de "l'Oiseau de Feu" et la joua comme si elle avait toujours fait partie du morceau. Stravinsky eut un rugissement de joie et, battant la mesure avec son verre il en reversa le liquide et les glaçons sur ses voisins qui tentaient d'esquiver, riant et hurlant. Le mouvement du public ne sembla pas distraire Parker qui jouait le regard braqué sur le fond de la salle et ne jeta à aucun moment un seul regard à Stravinsky. La chaleur des applaudissements à la fin de "Koko" fut immédiatement coupée par l'enchaînement de Parker sur sa version de "All the things you are", sans un mot de présentation. Stravinsky était visiblement remué. Savait-il que le disque d'où provenait le morceau et que Bird avait enregistré en 1947 s'appelait "Bird of Paradise" ?

06 février 2005

un Haiku par bain, 5


Angoisse soudaine !
Ce que devient la baignoire :
Un cercueil liquide.
Comme tous les dimanches c'est le calme plat sur le net. Je ne resiste pas au plaisir de "coller" ce délicieux billet des très serieux correcteurs du journal "Le Monde", malicieusement intitulé "langue, sauce piquante", comme on peut d'ailleurs le voir ci-dessous (un délice quasi-journalier...)

"Le plus goûteux dans le verbe savoir, c’est son subjonctif imparfait : que je susse, que tu susses, que nous sussions, que vous sussiez, sans omettre qu’ils ou elles sussent. Pour les besoins de la conjugaison, il s’allonge voluptueusement de cinq à huit lettres, atteignant son extension maximale à la première personne du pluriel, la mieux dotée. La fréquence de ses s lui donne tout son glissant velouté. Selon de savants linguistes, son s initial, articulé avec force par la langue, est dur, mais son s redoublé est doux, car sans vibration de la glotte. Tous les organes se meuvent à l’unisson et ce va-et-vient, doux et dur à la fois, fait monter l’eau à la bouche. L’imparfait du subjonctif, si utile à la concordance des temps, est un des délices de la langue."

05 février 2005

Merveille, 16



C'est une Arche. Elle a une forme d'Arche. Je ne peux pas la décrire autrement. Une Arche avec deux piliers. Une Arche qui s'élance vers le ciel. Une Arche tellement belle qu'on dirait que Dieu lui-même l'a dessinée. Et elle, elle est un petit maçon. C'est le petit maçon qui construit cette Arche. À chaque seconde, à chaque instant, elle la construit. À chacun de ses gestes. C'est un travail de titan. C'est quasiment impossible, mais elle le fait, devant nous, si simplement. Elle pose chaque élément avec une sûreté absolue, avec une douceur absolue. Elle ne se trompe jamais, elle n'hésite jamais, jamais elle ne tremble. Et le plus beau, le plus extraordinaire c'est que l'Arche n'existe qu'au seul moment où le maçon est en train de la construire. Ni avant, elle n'est pas encore née ; ni après, elle a déjà disparu. Mais l'instant de son existence occupe tout le Temps, chaque geste créateur du maçon est L'Espace lui-même. D'un côté, il y a l'arche, d'une beauté absolue, et de l'autre, cette enfant, des gestes de laquelle elle naît à chaque instant. C'est plus que magique. C'est un mystère. C'est le mystère de la Musique. Car seule la musique a ce pouvoir de changer le temps en espace. L'Arche c'est la Sarabande de la Partita en ré mineur. Dieu, le grand architecte, c'est Jean Sébastien Bach, et l'enfant maçon, l'ange de la création, c'est la violoniste Hilary Hahn.


02 février 2005

J'ai affiché cette liste au-dessus de mon ordinateur :


Ce titre correspond


Cette phrase a vécu. Cette phrase est la deuxième du lot. Cette phrase évoque pour la première fois le moteur de recherche. Cette phrase précise que le moteur n’est qu’un dispositif automatique de tri. Cette phrase comporte presque 6 mots.Cette phrase vient d’être lue. Cette phrase n’a pas besoin de contexte pour exister. Cette phrase appartient-elle à son lecteur ? Cette phrase a peur d’être cou- . Cette phrase amène le mot quincaille, lequel fut proposé par le Conseil supérieur de la langue française en place de hardware. Cette phrase garde un œil sur sa police, les flexions du texte, le gris typographique, les genres, les drapeaux. Cette phrase ne veut pas être effacée, jamais, d’aucune mémoire humaine. Cette phrase dit que quelqu’un est dans la même pièce qu’elle. Cette phrase n’est pas inutile. Cette phrase est parfaitement à sa place. Cette phrase se souvient de sa grand-mère. Cette phrase a vu quelque chose bouger, est-ce une autre phrase ? Cette phrase est au mode interrogatif comme la précédente, non ? Cette phrase jouit d’une certaine autonomie.

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