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29 mai 2008

Rue de Tournon, 2



La rue de Tournon est une rue évanescente. Il y en a quelques une comme ça à Paris. Elles partent tout droit, comme des rues ordinaires, font même un ou deux virages et puis tout à coup, elle vous filent entre les jambes, s'éclipsent sans rien dire et vous vous retrouvez dans une rue d'un autre nom, la rue de Seine, par exemple. La rue de Tournon est de ces rues là, elle ne sait pas se tenir, elle fait long feu, pfuit! Malgré un bon départ, bonne largeur, belles maisons dix-huitième des deux côtés, hôtels particuliers, classés même, boutiques de luxe, Bonpoint et compagnie, tout à coup, peu après avoir traversé la rue Saint-Sulpice, elle disparait : c'est dans la rue de Seine que vous vous retrouvez. Elle change de nom sans prévenir. Peut-être qu'en réalité elle n'est que la rue de Seine, qui s'est déguisée, allez savoir pourquoi, en rue de Tournon juste avant d'arriver à la rue de Vaugirard (si vous allez vers le Luxembourg), mais n'empêche, La rue de Tournon une rue qui manque de tenue, un peu libertine, un peu inconséquente, qui vous joue un petit tour et puis s'en va comme au temps du bon roi Louis XV. La rue de Seine peut faire l'importante, elle qui file, droite comme un "i" , jusqu'à son but, la Seine et le quai Malaquais. Sérieuse et toute à ses affaires, on pourrait la dire étriquée, elle qui n'a pas les largeurs de la Tournon, mais, sans conteste, c'est une des valeurs sures du sixième arrondissement. J'ai longtemps fréquenté la rue de Tournon de dix à vingt ans, c'est à dire tout au long de mes "dix ans de piano" dont il ne reste maintenant pas grand chose. Notre professeur, à mon frère et à moi, était l'une des deux demoiselles Charles, prénommée Madeleine , et nous avait été indiquée par le docteur Z. qui lui avait déjà confié l'éducation musicale de deux de ses fils, Alain Z. et François Z., respectivement de cinq et sept ans nos ainés. Nous nous croisions parfois sur le palier de l'entresol qu'habitaient les deux demoiselles. Les deux frères Z. contrairement à nous, étaient très doués pour le Piano. En outre, François était élève des grandes écoles et Alain commençait de brillantes études de médecine. Plus tard nous nous croiserions aussi à la fac, moi en première année et lui déjà chargé de travaux dirigés en embryologie, surveillant nos examens et feignant de ne m'avoir pas reconnu, juste avant Mai 68. Je l'ai toujours vu avec un nœud papillon autour du cou dès son plus jeune âge aux auditions de piano, à croire qu'il était né avec. C'était d'ailleurs probablement le cas puisqu'il perpétrait la tradition familiale en embrassant la carrière de médecin dont on sait que le (noeud) papillon est l'emblème immémorial. François abandonna quant à lui le piano assez vite et bifurqua vers les sciences dures, en délicatesse semblait-il avec le reste de la famille. Toujours est-il que maintenant Alain Z. est un dermatologue reconnu, avec pignon sur rue et noeud pap, qui trace du bout de l'ongle, sinon à la pointe de l'épée, mais d'un geste large un "grand "Z" comme Z*rr*", sur votre dos à la recherche d'un éventuel dermographisme qui vous ferait entrer dans la grande famille des allergiques.
Un haïku par bain, 68 (versions 1 et 2)


Gelée translucide,
Figé comme un fruit confit
J'y marine en mai.


Zonzon d'une mouche,
Des pies piapiatent dans l'ombre,
Derniers soirs de mai.

27 mai 2008

Rue de Tournon

Je me souviens de la rue de Tournon. C'était la rue du docteur Z. et des sœurs C.. Le docteur Z était notre médecin de famille. Chez nous, le docteur Z, on l'appelait "Z", quand on parlait de lui, mais quand on allait le voir, on lui donnait du docteur, bien respectueusement. Il recevait chez lui, comme cela se faisait beaucoup à l'époque, dans un appartement somptueux, auquel on accédait après avoir grimpé une volée de marches en marbre au-delà d'un porche majestueux. Son cabinet de consultation, saint du saint, se trouvait au bout d'un dédale de couloirs sombres, éclairés de jolies lampes posées sur des meubles de style, décorés de tableaux de maîtres, où nous guidait avec discrétion, mais d'une fermeté toute professionnelle, madame Z., sa femme, qui lui servait aussi de secrétaire. Nous étions donc aussi plein de respect pour elle. Ce n'était certes pas un petit docteur. Il avait été condisciple du professeur Gilbert-Dreyfus chez qui je ferai plus tard mon premier stage (Il existe une "photo" de service où Gilbert-Dreyfus pose en sarrau et calot blancs entouré de la centaine d'infirmières et de médecins de son gigantesque service, on m'y voit en tout petit, dans les derniers rangs. Un vrai mandarin, inatteignable, ce Gilberet-Dreyfus, j'en ai connu d'autres par la suite (Castaigne, Lhermitte (François, le fils de Jean), Cabrol (celui de la greffe du coeur qui n'était à ce moment là que l'agrégé de Mercadier), Guiraudon adorable enseignant d'anatomie, Grosgogeat, le cardiologue, futur médecin pesonnel de J. Chirac, et d'autres dont un rhumatologue communiste dont le nom m'échappe et tout aussi mandarin que les autres), comme juif il avait, selon mes parents, souffert de discriminations avant et pendant la guerre - il n'y avait pas plus antisémite en ce temps là que la faculté de médecine - et n'avait de ce fait pas pu accéder aux hautes fonctions que mes parents étaient persuadés qu'il méritait. Depuis longtemps il était spécialiste en endocrinologie, mais il avait gardé, toujours selon mes parents, une partie de sa vieille clientèle en médecine générale dont ils s'honoraient de faire partie. Au fond, je crois maintenant qu'il n'avait jamais été qualifié par l'Ordre, ceci expliquant cela. C'était un professionnel hors pair. Je me souviens qu'il a soigné à domicile deux des trois infarctus que fit Mongrandpère avant que le troisième ne l'emporte avec un dévouement impossible à imaginer de nos jours. C'était un bon vivant, gaillard chaleureux et infatigable, au sourire ravageur et à la voix particulièrement séduisante, un peu à la Montand, sorte de demi-dieu vivant et dyonisiaque pour toute notre famille d'hypochondriaques, à qui je dois cependant personnellement un fière chandelle. Je dirai peut être un jour laquelle.

20 mai 2008

Le 20 mai 1985 j'écrivais exactement ceci : " D'une autre planète, les onze psychiatres de Corbeil, les astronautes particuliers, quand ils font l'amour, ça fait des points rouge et blanc comme la neige à la télé. Je suis une astronaute intersidérale, je reviens sur terre huit, quatre vingt huit mille fois pour régler les problèmes judiciaires de huit femmes. Maria Fabris. Vintimille. On n'a pas voulu la laisser passer la frontière. On lui a tué cinq enfants. Je ne m'appelle pas Odile Marie B. mais j'ai eu d'autres noms : Olivia de Havilande. La planète blanche avec les astronautes blancs qui ne peuvent pas manger quand ils font l'amour avec une femme qui saigne les globules rouges envahissent les globules blancs. Onze spermes, il n'y a que onze spermes qui engendrent tout. Les onze familles de Corbeil. Lisez Aurelia en 2001, c'est un petit livre avec dessins faits à la main..."

19 mai 2008

Je me sens beaucoup plus loin de mon passé qu'il y a quelques années. Vieillir, serait-ce simplement revenir dans le présent après une longue ballade dans le futur? J'ai des moments de paralysie totale. Je m'y suis habitué. Au début cela me faisait peur, plus maintenant. J'attends que ça passe. Là, maintenant par exemple je crois que c'est en train de passer. Je viens de plonger à nouveau dans mes carnets des années quatre vingt. Je n'y trouve pas ce que je cherche : " Mardi 28 aout 1984. De "jour" au 26, avec Eric. Madame B est déchaînée (...) Pauvre madame B., elle va de plus en plus mal. Elle nous a bien usés, nous les p'tits jeunots. Le matin je suis allé voir monsieur S. en médecine. Après, entretien avec monsieur C. en arrivant au 26. Madame B. nous embarque pour Euromarché. Elle compare les prix et se décide pour un four électrique Moulinex. Elle nous emmène à son foyer logement. Comment décrire cet endroit ? Par l'intérieur, d'abord. Des couloirs tout droit assez larges pour laisser passer des lits, des rampes de sécurité, des patios. Par l'extérieur, ensuite. De petites maisons juxtaposées dans un joli parc avec des jardinets privatifs. Si on veut, on peut entrer par les jardins. Du côté jardin : la vie, le village à l'américaine, la société ; de l'autre, côté cour - couloir, l'hôpital, l'asepsie, l'administration, le désert clos. Très forts, les architectes! Mais un peu pervers, non? Dès que la mémé réintègre ses pénates, elle délire à plein tube. Eric et moi, on se casse discrétos, la laissant à ses élucubrations (le concierge, noir, évidemment, vient coucher dans son lit avec ses maîtresses quand elle n'est pas là. Elle parsème le studio de pièges, futures preuves du passage du malfaiteur. Evidemment tous les pièges fonctionnent) Le soir, juste le temps de souffler, écouter le récit de C. qui revient tout droit de Perros Guirrec, de chez les Zazzo dont elle a interwivé Bianca, mais où elle a dîné et petit déjeuné avec René. Ils ont une drôle de vie , ces gens là. Par exemple : René Zazzo est un maniaque de la photo. Il a photographié quatre fois C. Georgie arrive pour me faire entretenir avec sa copine qui va mal. L'entrevue se passe dans l'appartement vide du boulevard Saint Michel. C'est un peu surréaliste. Françoise, quarante et un ans, très dépressive, lourde histoire, intelligente, bizarre. Deux heures d'entretien, presque. On n'arrête jamais. En tout cas, ça permet à Georgie de ne pas culpabiliser trop de son départ..." Etc. Etc.

12 mai 2008

Tu n'as rien vu à Ground Zero. Juste des palissades et des grues. Pas de nuées ni d'armées de grues, beaucoup de grues. Un chantier presque comme un autre. Rien de très impressionnant. On passait par là, on revenait de chez "J and R", on était allé chez "J and R" parce que "B and H" était fermé (une trotte de la 34ème rue au Lower Manahatan, mais comme le temps est compté on en vient à faire tout le même jour). "Tiens, c'est Ground Zero !" " Ah oui..." On voyait des grues et une grande palissade. Et les gens qui passaient, tous indifférents. On s'est engouffré dans le métro. Il ne s'est rien passé à Ground Zero, les passants passent, passent les bus et les taxis, et même les voitures des pompiers, la ville est une hydre. Une des tours que l'on construit est assez avancée, mais on ne voit pas bien le résultat final. Si j'habitais NYC (je rêve d'habiter NYC dans une prochaine vie) je ferais comme à Paris : j'irai voir les chantiers. J'en ai vu de grands et beaux chantiers : Le chantier du Trou des Halles, celui du Grand Louvre, de l'arche de la défense, celui de la grande Pagode d'Evry ; ou bien j'irais à Barcelone surveiller étroitement (plus qu'une fois tous les dix ou vingt ans) les progrès de la Sagrada Familia. NYC est la ville idéale pour les fanas des chantiers comme moi. Par exemple, on est en train de construire non loin de Lexington avenue et soixante troisième rue une tour qui semble dépasser largement les hauteurs du quartier. Mais il y a quelque chose qui cloche : on ne la voit pas de loin mais de près. Elle n'est pas si haute. Elle est seulement très étroite, très fine, gracile. Elle me fait penser à ces mannequins anorexiques des magazines. La mode est aux tours très fines et pas très hautes : je trouve que cette façon de jouer avec le paysage, de tricher avec la perspective est assez caractéristique de notre époque de faux-semblants. J'ai cherché à voir à quoi ressemblerait le nouveau World Trade center : c'est très bien qu'on ait pas décidé de faire la plus haute tour du monde, ce que les tours jumelles étaient, mais en même temps c'est un peu triste, comme si on avait accepté de se laisser dépasser par les autres, Dubaï et sa BurjDubaï, par exemple. S'il n'y avait pas eu les gratte ciels, Manhatan aurait éclaté dans l'étau de l' Hudson et de l' East River. Il n'y avait pas moyen de faire autrement, le manque d'espace poussait littéralement vers le haut. C'était comme la poussée des Alpes, ou celle des Pyrénées, inéluctables, tectoniques et naturelles, flamboyant cataclysme. Qui aurait pu penser que cela s'arrêterait un jour ? Pas que ça s'arrête vraiment à l'heure qu'il est, je ne suis pas sûr que cela ralentisse même, mais, tout de même, ces petites tours fines m'inquiètent. On commence par affiner, pour donner le change, après on rétrécit, comme le Mont Blanc, centimètre par centimètre, et on finit carrément par devenir une ville-musée.

11 mai 2008

Guernica en 3D (trois dimensions) pourquoi pas ? (via Aïe Tech)

Une belle photo de Nathan sur son photostream chez Flickr

10 mai 2008

Tout sur tous les gratte ciels du monde, en construction ou déjà construits. Normal, au retour de NYC, non ? Très bien fait, complet, tout.
Une page du journal de Thiron-Gardais, par le maître blogeur JC Bourdais. Impressionnant (voir en LCD)
Un Haïku par bain, 66 et 67


C'est un coin liquide
Où niche une baignoire. Ouf !
Retour au bercail.



Une autre baignoire
Me fit me sentir un peu...
Plus occidental.

06 mai 2008

QUEENSBOROUGH BRIDGE

04 mai 2008

Je ne pourrai plus jamais retourner à New York de ma vie. C'est ce que m'a annoncé le docte chauffeur de taxi qui nous ramenait à Newark. J'en ai connu des chauffeurs de taxi : bengladeshi bavard qui pestait contre les embouteillages et qui disait que c'était parce que New York était une ville trop petite, il ne rêvait que de retourner dans sa Dacca natale et vaste, Haïtien plutôt taciturne mais qui parlait français comme vous et moi (d'ailleurs les noirs américains ne sont plus ce qu'ils étaient, on dirait qu'ils sont tous francophones, de Haïti, du Québec ou surtout d'Afrique, Côte d'ivoire, Sénégal et j'en passe, New York est une ville où on parle de plus en plus français), petit blanc du Sud, très gentil très serviable mais qui connaissait la ville moins bien que moi, grand black suspendu à la retransmission d'un match de Basket à la radio, petit vieux qui écoutait du Ella Fitzgerald et bien d'autres. Ce chauffeur de taxi donc, grec de Salonique pour sa part, aux US depuis 31 ans, revenant tous les ans au pays visiter sa famille, ayant beaucoup voyagé en Europe mais pas à Paris, ce qu'il souhaitait ardemment faire, tout en écoutant l'équivalent américain de France Culture, tout aussi confidentiel que chez nous, où un grand professeur faisait un exposé sur les maladies génétiques qui le captivait, me demandait combien de fois j'étais déjà venu à New York. Je lui répondais que je ne savait plus très bien mais que cela faisait en moyenne une fois tous les cinq ans depuis 1980. Il rétorqua : " C'est bien ce que je dis, vous ne reviendrez donc plus à New York." Un peu interloqué, je lui demandais pourquoi, ce à quoi il répondit : "Si vous venez aux US que tous les cinq ans , la prochaine fois il y a de fortes chances que vous ne puissiez pas venir : il n'y aura plus d'avions ! "Plus d'essence pour mettre dedans !" A quoi je répondis : "alors je prendrai le bateau" - "impossible, la mer sera gelée !" - "Alors à patin à glace, je patinerai ! " Il eut un sourire entendu. Même s'il plaisantait, je ne trouvais pas cela drôle. L'idée, possible tout de même, voire probable, que je ne pourrais plus revenir à New York, mais pas pour des raisons écologiques, il y a mille raisons triviales pour que je ne revienne jamais à New York m'alourdissait le cœur. Je me sentais au bord des larmes. Ce grec écologiste et érudit était un diable. Il m'avait volé la tristesse du départ et l'avait troquée contre une prédiction sombre et réalisable. Nous traversions le New Jersey, paysage industriel et ingrat comme dans le générique des "Sopranos", devant nous la tout de contrôle de l'aéroport de Newark se détachait sur le soleil couchant, non loin des lourds grattes ciel du centre de Newark city, ville natale de Philip Roth. En me retournant, entre les têtes de Lo Nat et Oxy, par la lunette arrière du taxi je pouvais voir pour la dernière fois le skyline scintillant de Manhattan qui commençait à se perdre dans le lointain et qui ressemblait de plus en plus à ces vues en rase motte de SimCIty. Les avions, qui ne voleraient plus dans cinq ans donc, décollaient pourtant encore dans tous les sens dans le ciel immaculé qui évoquait une toile peinte de studio hollywoodien. On pouvait les voir virer sur l'aile et prendre fièrement leur élan vers l'azur. Une fois de plus, la vision était sublime. Ce paysage plat, gigantesque, exempt de toute végétation hormis une vague herbe jaune et rase, truffé de cheminées d'usines de hangars et de ponts métalliques enchevêtrés ne faisait pas exprès d'être beau. Aucune hystérie. C'était la rudesse même du nouveau monde. Une symphonie. Devant nous, une nuit de 15 heures sans sommeil attendait.