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28 février 2003

Il y a deux rues � Paris, celles de l�Amiral Mouchez et du commandant Mouchotte, dont je confonds toujours les noms. Les voies d�di�es aux militaires sont nombreuses dans les grandes villes (et aussi dans les petites), elles t�moignent d�un pass� militaire toujours glorieux. Il suffit pour s�en convaincre de consid�rer l�exemple du G�n�ral De Gaulle qui, doit-on ajouter, a aussi �t� homme d��tat, de ses avenues ou de ses places, de son a�roport, voire de ses boulevards ou de ses ponts ( ses rues existent, je l�ai v�rifi�, mais sont alors le plus souvent orn�es du qualificatif Grande, sauf en deux endroits dans la r�gion parisienne, � Maisons-Alfort et l�autre � Arcueil, mis�rables rues Charles de Gaulle, sans le grade - alors qu�il est superflu pour la place Charles de Gaulle ou pour l�a�roport � quant aux passages ou aux impasses, il n�y en a pas, mais il existe un rond-point pas tr�s glorieux du G�n�ral de Gaulle � Noisy-le-sec, par exemple). Jacques R�da, s�est longuement pench�, entre autres, sur le cas de la rue des Colonels Renard, dans le seizi�me arrondissement de Paris, et Jacques Roubaud a consacr� tout un po�me � la Place du G�n�ral Brocard dans le huiti�me. D�une mani�re g�n�rale, les sous-officiers ne sont pas g�t�s : si on peut recenser une unique rue de Caporal (Peugeot), il n�y a pas de rue du Sergent Untel ni de brigadier Chose ni de mar�chal des logis Machin, � Paris, et ce n�est pas plus fr�quent en banlieue, contrairement � ce qu�on pourrait peut-�tre penser, Il n�y a que deux rues d�di�es � des Adjudants (R�au et Vincenot). Les Lieutenants sont � peine plus g�t�s : ils n�ont que sept rues et une seule place (du Lieutenant St�phane Piobetta). Quand on passe aux officiers, �a s�arrange nettement avec les capitaines qui sont vingt deux, les commandants, qui sont vingt et un, et les colonels, trente sept avec les lieutenants-colonels. Les officiers sup�rieurs, on s�en serait dout�, sont eux parfaitement repr�sent�s avec les g�n�raux qui sont soixante sept (bien que Leclerc et de Gaulle monopolisent un maximum), les mar�chaux qui sont trente neuf (Leclerc tire dans les deux cat�gories et P�tain a �t� disqualifi�) et les amiraux, dix huit, seulement, sans compter les Amiraux de la rue des Amiraux. L�Amiral Mouchez, celui d�une des deux rue dont je veux parler fait partie des dix-huit. Le commandant Mouchotte, celui de l�autre rue, figure bien entre le commandant Lamy et le commandant Rivi�re. La rue de l�Amiral Mouchez est une p�n�trante, comme on dit, une radiale, on l�emprunte pour aller de la p�riph�rie au c�ur de Paris. C�est celle que j�emprunte plusieurs fois par semaine quand je me rend de chez moi, � Gentilly, vers le quartier Latin, par exemple. Comme souvent pour les radiales, elle na�t d�une avenue, Pierre de Coubertin en l�occurrence, et prend son nom apr�s la travers�e du boulevard des Mar�chaux, � l�exact endroit ou le boulevard Jourdan passe le relais au boulevard Kellermann. D�ailleurs il suffit que je transcrive ces deux noms pour qu�une difficult� nouvelle apparaisse : Jourdan et Kellermann sont bien deux mar�chaux d�Empire, mais on ne dit pas boulevard du Mar�chal Jourdan ni boulevard du Mar�chal Kellermann. Quel est donc la r�gle qui fait qu�on place ou ne place pas le grade du militaire en question avant son nom ? Est-ce une question d��poque ? Donne-t-on le grade uniquement pour l��poque r�publicaine (mais alors quid de la rue l�Amiral d�Estaing ? de celle de l�Amiral de Coligny ?), ou au contraire, n�enl�ve-t-on pas leur grade uniquement aux officiers d�empire, comme en t�moignent en outre le boulevard Ney, le boulevard Murat ou la rue Ebl�. Ou bien ajoute-on le grade militaire au nom justement quand celui-ci est plut�t inconnu, comme Mouchez ou St�phane Piobetta (et celui-l�, il a le pr�nom en plus) ? Ainsi, la rue Bayard et non du conn�table Bayard, la place de Lattre de Tassigny et non forc�ment du Mar�chal de Lattre de Tassigny etc. Bref, la question n�est pas r�solue. Quoi qu�il en soit la rue de l�Amiral Mouchez a encore une particularit� : elle coupe l�axe Al�sia Tolbiac exactement � l�endroit o� la rue d�Al�sia devient la rue de Tolbiac, elle est elle-m�me la fronti�re entre le quatorzi�me et le treizi�me arrondissement. A ce point, elle se s�pare en deux, par une fourche, perd son nom et prolonge sa course vers le centre en deux bras, la rue de la Sant�, qui longe les murs de sainte Anne et plus loin ceux de la prison du m�me nom, et la rue de la Glaci�re qui part un peu plus � l�Est � l�assaut du cinqui�me et d�bouche dans la rue Gay-Lussac. La rue du Commandant Mouchotte est beaucoup plus courte que la rue de l�Amiral Mouchez et n�a pas son importance comme axe de circulation. Elle relie l�avenue du Maine, pr�s de la gare Montparnasse � la place de Catalogne, centre du quatorzi�me arrondissement nouvellement r�nov�. Je l�emprunte beaucoup moins souvent. Je crois m�me que je ne l�ai pas emprunt�e depuis des ann�es. Ca remonte pratiquement au temps o� j�habitais le quatorzi�me, il y a plus de vingt ans. Pas que je ne la croise pas de temps en temps, en d�bouchant sur l�avenue du Maine du tunnel qui passe sous la gare, pour rejoindre en venant de l��cole militaire, par exemple, la place d�Al�sia et le sud de la ville (en revenant du minist�re de la sant� � Vigneux pour �tre encore plus pr�cis, je l�ai fait au moins deux fois cette ann�e, ou encore du SAMU de paris, log� impasse de l�Enfant J�sus, mais si, qui donne dans la rue de Vaugirard, apr�s une r�union de la cellule r�gionale de l�urgence m�dico-psychologique pour regagner l�autoroute A6 et la garde � Evry, je l�ai fais encore plus souvent ) mais sans jamais m�y engager. Il y a l� des immeubles qui n�ont pas plus de vingt ans et qui sont toujours d�une fausse modernit� agressive. Notre amie Paule F* y habitait jadis. Ses fen�tre au quinze ou vingti�me �tage, je ne sais plus, mais tr�s haut, donnait sur les voies de la SNCF qui viennent, pour ainsi dire, car c��tait certainement il y a plusieurs ann�es, d��tre recouvertes par un jardin suspendu que je n�ai jamais visit� (Paule F* a d�m�nag� depuis longtemps avec son ami cin�aste Andr� dans une partie plus villageoise du quatorzi�me). Autant la rue de l�amiral Mouchez, a gard� un caract�re parisien, avec ses commerces, ses immeubles de rapport des ann�es soixante dix, son c�t� un peu h�t�roclite, autant la rue du commandant Mouchotte n�a jamais ressembl� � une rue. C�est un espace entre deux blocs, un passage fray� � travers le b�ton, une trou�e. Il ne subsiste strictement rien de l�ancien Paris � cet endroit. C�est une catastrophe architecturale, c�est le Paris de Giscard d�Estaing et Ricardo Boffil. Mais je confonds les noms de ces deux rues : j�appelle souvent la rue de l�amiral Mouchez la rue de l�amiral Mouchotte et la rue du commandant Mouchotte, la rue du commandant Mouchez. Est-ce � cause des consonances ? Est-ce � cause de cette mollesse et de ce c�t� enrhum�, de ces mouches du coche qui contrastent assez avec leurs grades respectifs et respectables, Est-ce � cause de ces si�ges, les chaises et les chiottes, qu�ils partagent tous les deux ? On ne s�y retrouve pas bien. On me dira que cela n�a pas beaucoup d�importance, vu que, comme je l�ai d�j� dit, je n�emprunte plus la rue du commandant et que celle de l�amiral se r�sume pour moi � un passage ( je m�y arr�te pourtant parfois � une boulangerie, non loin du carrefour avec la rue d�Al�sia ) et que de toute fa�on confondre un amiral et un commandant tout � fait inconnus n�est pas d�une gravit� irr�m�diable. Soit. Mais ceci �tait un hommage � Jacques R�da et Jacques Roubaud.


"Nature morte au pied vivant (euh...le mien, by the way)". Bonne nuit, merry ciscobloggers !

27 février 2003

Je me souviens de l'amer Michel (on se demande bien pourquoi : fid�le � ma m�thode pour les JMS, j'ai fait le vide en moi m�me une dizaine de secondes et laiss� remonter les effluves du pass�. Et voil� ce que j'ai p�ch� ce soir ! )
J'ai habité le boulevard Saint Michel de 1950, date à laquelle mon père a acheté, moins d'un an après ma naissance, au numéro 119, un appartement situé au troisième étage sans ascenseur, un million de francs anciens (dix mille francs actuels, mille cinq cent euros), à 1975, année où j'ai déménagé rue Jonquoy, dans le quatorzième, pour vivre avec C*. J'y ai donc vécu grosso modo vingt cinq ans, bien que sur la fin j'ai beaucoup partagé les chambres de bonne de mes copines. F*, d'abord, rue de l'Avre, dans le quinzième, à côté de la rue du Commerce, puis rue Cochin (beau studio repris à Danielle B*, autre belle psychologue) toute petite rue qui relie la rue de Pontoise et la rue de Passy qui donnent sur le quai de la Tournelle ; C*, ensuite, rue Bayard, dans le seizième, puis rue Pierre Nicole juste derrière le boulevard Saint Michel dans l'immeuble ou vivait les parents de ma copine A* S*. Le 119 se situe en "haut" du Boul'mich, avant la rue du Val de Grâce au bout de laquelle apparaît dans toute sa splendeur baroque l'église du même nom, sur le trottoir qui mène au centre Jean Sarail, qui abrite encore, je crois, le CROUS, et qui a été construit au début des années soixante sur les ruines du célèbre Bal Bullier abandonné depuis longtemps, dans une section de son cours où l'animation estudiantine s'atténue sensiblement pour laisser la place à un calme plutôt grand bourgeois que petit, à mi- chemin entre celui des "beaux quartiers", vers l'avenue de l'observatoire et la rue d'Assas, et l'activité sophistiqu�e du nouveau quartier de luxe qu'est devenue la Mouffe tout proche. Vers 1969, à vingt ans donc, j'ai occupé au rez-de-chauss�e de l'immeuble, au fond du couloir d'entr�e, l'ancienne loge de la concierge que mes parents avaient racheté au début des années soixante pour en faire le studio de Mongrandpère quand il est définitivement venu vivre avec eux quatre ans après le décès de ma grand-mère. Je lui ai succédé après sa mort et j'ai vécu là dans une semi-indépendance dor�e puisque j'étais blanchi et nourri si je voulais dans l'appartement familial du troisième étage. Il me reste un souvenir, réduit à l'état d'image floue, de la loge de la concierge telle qu'elle était dans les années cinquante, encombrée de bibelots et puant l'urine de chat. Quant à la concierge elle-même il me semble revoir la fée Carabosse en personne. L'immeuble lui-me n'est pas luxueux comme beaucoup de ses voisins hausmanniens, c'est même un des plus modestes de tout le boulevard. Il date du debut du siècle et ne possède aucun des attributs décoratifs, moulures, colonnes, hauts reliefs et balcons, qui les caractérisent. La façade est grise et inintéressante, les fenêtres sont plutôt petites et flanquées de méchantes persiennes. On accède à l'escalier, à partir du couloir d'entrée, par une porte à un battant qui, en ce temps là était libre, et sert maintenant de sas avec les inévitables codes, haut-parleurs et serrures à ouvertures automatiques. Je me souviens que, du temps où la porte pouvait battre librement, ce qui doit dater de l'école communale, j'avais inventé le jeu suivant : il s'agissait d'ouvrir grand la porte et de se ruer dans l'escalier, le gravir quatre à quatre jusqu'à l'appartement de mes parents avant que je n'entendisse le bruit fracassant mais assourdi par l'altitude de la porte qui se refermait toute seule. Mon imagination avait fait de ce rituel un sport olympique et je battais des records du monde de rapidité de montée d'escalier quasiment trois fois par jour. La vérité est que je n'ai jamais perdu l'habitude de ce jeu. Plus tard, il me servit à étalonner ma forme physique : si j'arrivais au palier du troisième avant le fracas fatidique, le test était validé. Et si je n'étais pas essoufflé, ce qui arrivait la plupart du temps, sauf les lendemains de bringue, c'était encore mieux. L'apparition progressive de légers signes d'essoufflement, même si je devançais toujours la porte dans un fauteuil, fut tout de même à l'origine de ma décision d'arrêter de fumer, vers les trente ans. Je me rends compte aujourd'hui, chaque fois que je rends visite à mes vieux parents que le test était décidément d'une dérisoire et bien trompeuse facilité : même si le système de sécurité ne permet plus à la porte qui se referme de ne produire qu'un petit claquement sec nécessite de tendre l'oreille tout en courant, j'arrive encore sur le palier avant lui, ce qui ne signifie pas que je sois dans une forme olympique, loin de là

26 février 2003

Fen�tre sur cour N�5

Espion !

Vous voyez la dame � sa fen�tre ? On tenterait de se rapprocher, modestement, et avec le plus grand respect, de "Fen�tre sur cour, le film"

ZOOMRE ZOOM
Cette nuit, juste une petite pens�e de la nuit :" Avec leur syst�me de film, la fleur qui s'ouvre au ralenti s'ouvre plus vite que la fleur qui s'ouvre au normal...avec le ralenti, �a va plus vite ! faudra m'expliquer." Jean Marie Gourio, L'int�grale des Br�ves de Comptoir 91-92 (N� 8)

23 février 2003

Finalement, je m'aper�ois que j'ai du mal avec le th��tre. J'avais toujours pens� que �a allait sourdre de moi, un beau jour, et se r�pandre, comme une flaque qui s'agrandit, comme le flot montant d'une inondation, que cela viendrait tout seul. Mais non. Cela ne vient pas sans efforts. Pas moins d'efforts, en tout cas, que pour tout ce qu'on peut lire ici. Pourtant, j'aurais cru. Le th��tre m'a coll� � la peau tant d'ann�es. Je n'arrive toujours pas � en finir avec le commencement. C'est comme un lent retour. C'est comme un lever de rideau qui tourne toujours court, presque un mauvais r�ve. Le rideau retombe aussit�t, semant la panique dans les coulisses, se relevant, retombant, avec les com�diens qui attendent leur entr�e en sc�ne et qui s'impatientent, s'inqui�tent, s'interpellent ("Alors ? On y va ? On n'y va pas ?"). Je commence � entrevoir pourquoi. Laisser venir ce qui veut bien venir. Ne pas forcer. Les trois coups. D�j� au Guignol, il y avait les trois coups. Pas de th��tre possible sans les trois coups. Trois textes, trois coups ? Les trois coups, c'est une sorte de myst�re. C'est l'arriv�e du grand m�chant Loup. "Promenons-nous dans les bois, pendant que le Loup n'y est pas. Loup y es-tu ? Que fais-tu ?" � "Je mets mes chaussettes !" Etc. Comme vous le savez, les trois coups ne sont pas vraiment trois, ils sont beaucoup plus. Il y a d'abord, une multitude de petits coups, d�sordonn�s, sans rythme d�fini, r�pondant en �cho au brouhaha de la salle, qu'ils �touffent petit � petit ; le loup est loin, il en est encore � sa culotte ; il y a toujours un peu d'angoisse, m�l�e de bien-�tre, dans le silence qui se fait lentement, comme � regret ; toc toc o toc toc toc o toc toc toco toc "Loup y es-tu ?", silence, suspension ; Tac : r�ponse, un coup, deuxi�me silence, �clat, le Loup arrive; Tac : deuxi�me coup, le rythme advient, silence, le loup est tout proche; Tac : troisi�me coup, le loup est l�. Le rideau se l�ve, vite, toujours (un lever de rideau ne doit pas �tre lent, c'est une guillotine � l'envers, �a doit trancher, ou plut�t accoler, r�unir brutalement). R�solution de l'attente, fin de l'angoisse. Tout s'ordonne. Tout converge. La sc�ne, ce nouvel espace qui majestueusement se d�couvre, c'est le Loup. La sc�ne nous mange, elle nous avale, confiants, frissonnants. Nous ne sommes plus une assembl�e disparate, nous sommes devenus un seul regard, nous sommes le public. Souvent, la sc�ne fait mine d'�tre surprise par nous. Le rideau se l�ve sur une conversation en cours, par exemple, celle de Sganarelle et de son coll�gue sur le tabac, dans le Don Juan de Moli�re, ou bien sur le silence d'un espace vide, bient�t rompu par un appel, qui proj�te un personnage en cherchant un autre sous nos yeux, et qui soudain, nous apercevant le regarder s'affoler, s'interrompt un instant pour nous tenir au courant de la situation et reprend sa recherche, genre, "tiens, vous �tes l�, vous ? je ne vous avais pas vu, mais tant qu'� faire, puisque vous �tes l�, etc." Il nous met dans la confidence, nous rattrapons l'action en cours. Nous avons fait irruption dans leur monde, c'est ce qu'ils veulent nous faire croire, et nous les croyons, ravis, alors que bien s�r, c'est l'inverse. J'aime que le rideau s'ouvre sur une aube et se ferme sur un cr�puscule. Unit� de temps. Je suis un fan de la r�gle des "trois unit�s" (c'est la seule r�gle qui distingue profond�ment le th��tre de la litt�rature. En ce sens, le cin�ma est bien plus proche de la litt�rature que le th��tre. Il supporte les ellipses, lui. On dit que Shakespeare, le th��tre �lisab�thain en g�n�ral, le th��tre du si�cle d'or espagnol, avaient bris� le carcan par avance. C'est faux. Il y a, par exemple, une profonde unit� dans les pi�ces "historiques" du grand Wil, rythm�es par l'�ternel retour. Deux t�tralogies, deux cycles : printemps, �t�, automne, hiver. Deux fois.) Comment cela a-t-il commenc� ? Par le th��tre de marionnettes, le Guignol du Luxembourg, tr�s certainement. Et le souvenir de mon p�re, r�citant des po�sies (il avait �t� fait prisonnier pendant la guerre, il avait appris des po�mes, au stalag, de Miguel Zamaco�s et d'autres. Des po�mes de r�sistance, il nous avait racont� qu'il les disait, apr�s les commandos, et la maigre soupe du soir), Mais aussi mon cousin Jean Pierre qui m'avait emmen�, vers 57 ou 58, dans les coulisses du th��tre de Reims o� il faisait de la figuration dans une "revue" je me souviens le titre : "Les aventures de Monsieur Subito". Je me souviens pr�cis�ment d'avoir mont� un r�sum� tr�s approximatif de l'Avare de Moli�re (la sc�ne avec La fl�che, et celle de la cassette � "Au voleur, au voleur !") pour une veill�e en colo. j'avais, d�j�, en vrai despote, dirig� les r�p�titions tout au long du s�jour. Nous nous �tions fait des perruques de coton hydrophile, des moustaches au noir de charbon, et avions remont�s nos chaussettes de ski par-dessus nos pantalons en guise de hauts de chausse. Mais surtout, je me souviens de mon propre th��tre de marionnettes, un simple ch�ssis articul�, d�coup� dans du contre-plaqu� d�cor�, qui faisait un castelet tout � fait acceptable. Un syst�me tr�s simplifi� de cintres permettait d'accrocher des "toiles de fond" en carton figurant int�rieurs bourgeois, places de villages ou for�ts profondes. J'avais �t� �merveill� par la figuration d'une temp�te de neige dans une "Aventure au P�le Nord" aux Marionnettes du Luxembourg et par les jeux d'�clairage qui parvenaient � donner une impression d'une vitalit� chaleureuse � chacun des spectacles. Je tentai de les reproduire � l'aide de lampes de chevet et de prolongateurs. Je faisais le noir dans notre chambre, j'installais mon fr�re en guise de public, je frappais les trois coups, tirai le rideau de doublure cramoisie, m'emm�lais dans les fils �lectriques, faisais la lumi�re. Le d�cor figurait la campagne sous la neige. Sur un c�t� de la sc�ne un arbre nu en carton d�coup�, de l'autre une maison avec porte et fen�tre, simples trous ouverts sur la toile de fond en arri�re plan. Les flocons de neige �taient figur�s par des confettis patiemment d�chir�s un par un dans des feuilles de mes cahiers d'�colier, Cach� derri�re le th��tre, j'en jetais en l'air une ou deux poign�es qui retombaient fort joliment, ma foi. L'histoire n'avan�ait jamais plus loin. Je reprenais sans cesse au d�but, par perfectionnisme, telle ombre ne s'�tirant pas assez ou trop, la neige �pargnant une partie du d�cor et qui aurait retomber plus uniform�ment.
vous voyez bien qu'il fait beau !

Fen�tre sur cour N� 4 : il fait enfin beau (au fond, les tours du treizi�me).

21 février 2003

Pens�e de la nuit N� 7 : "Le sentiment hypochondriaque est l'obsession de veiller sans rel�che sur son propre corps, tel un gardien, un espion, un surveillant, un t�moin de soi-m�me. L'hypochondrie est une sorte de tendresse du corps pour lui-m�me, telle une m�re qui veille son enfant malade, et l'assure, par la maldie, Tel un interpr�te aussi, qui �coute avec un m�lange de compassion et de cruaut�, son instrument dont il veut conna�tre et soigner la blessure. Car avoir mal au piano, ou � la musique, c'est en fait avoir mal au temps. Gould jouant semble parfois un noy� voulant sortir de l'eau du temps et s'arracher � ses remous par les yeux, les l�vres, les mains, le corps tout entier tournoyant. En ce sens aussi, d'un transport vers un au-del� du temps, il rejoignait, sans peut-�tre le savoir lui-m�me, les exp�riences de la mystique. Glen Gould cherchait la limite la plus difficile, entre la musique et sson corps. Parfois, son attitude corporelle semble aussi expos�e que s'il se sentait pers�cut� par la musique. Michel Schneider, Musique de nuit.

19 février 2003

Je me souviens du mon�me du bac (si vous vous en souvenez aussi, �crivez-moi). Je crois que c'est un rituel collectif qui a disparu d�s la fin des ann�es soixante. Je crois m�me me souvenir du dernier mon�me du bac. Cela devait �tre en 65 ou en 66 (probablement 65, parce que curieusement, j'ai l'impression qu'il n'y a pas eu de mon�me l'ann�e o� j'ai r�ussi mon bac), mais peut-�tre pas. Je peux avoir oubli� les suivants � cause de "soixante huit", ou alors parce que je ne me sentais plus trop concern�. Mais je crois bien que les mon�mes n'avaient d�j� plus lieu dans les ann�es soixante-dix, ou seulement sous une forme tr�s �dulcor�e. Bref. Je me souviens d'une foule immense qui remontait le boulevard Saint Michel et d�vastait tout sur son passage. Je me souviens d'une formidable sauvagerie. Ce jour l�, d'ailleurs, tous les commer�ants baissaient leurs rideaux de fer. Cela ne ressemblait en rien � une marche de protestation, une "manif". Aucune revendication, aucun slogan, pas de banderoles, seulement une mar�e humaine s'avan�ant � toute vitesse, remontant le Boul'mich en quelques minutes, portant des arbres d�racin�s, des kiosques et m�me des colonnes Morris, comme une vague sur la plage, qui fait s'�crouler les chateaux de sables (les "manifs au contraire, s�res de leur force, avancent lentement, prennet des heures. C'est �a, d'ailleurs, la "force tranquille") Aucune s�r�nit� dans les mon�mes, ou alors crisp�e, comme dirait Ren� Char. Une joie (une folie) furieuse, pa�enne, aig�e, aussi peu s�re d'elle que ne l'est la "fragile" jeunesse. Choc frontal avec la police, qui attend la vague, sur plusieurs rangs, � la hauteur du Mahieu, ou de Capoulade. Coups de matraque. Os qui craquent. Sang qui gicle. Sc�nes de violence assez ordinaire de la deuxi�me moiti� du vingti�me si�cle, au mois de juin, � Paris, chaque ann�e. On n'a d'ailleurs plus, de nos jours, id�e de la violence de ces temps-l�
Je viens de faire une petite ballade parmi les liens de la LCD. C'est donc illico que je vous dirige presto sur cette page de "Photomontage", mignon, non ? (On devrait visiter "Photomontage" plus souvent. On y trouve une belle id�e par jour, au moins).

18 février 2003

Pens�e de la nuit N� 6 : "On peut voir regarder mais on ne peut pas entendre �couter" Marcel Duchamp
Fen�tre sur cour N�3. Je triche un peu (d�j�). C'est plut�t fen�tre sur rue (mais je n'ai pas de fen�tre donnant sur la rue...)

en bas de chez moi, exactement.

17 février 2003

Pour en finir avec les rencontres fortuites de c�l�brit�s plus ou moins c�l�bres aux coins des rues, dans les queues de Cin�ma ou aux caisses des supermarch�s (ce qui est vraiment rare, mais qui arrive, parfois, enfin, de temps en temps), voici une petite histoire, vraie �videmment, qui date du week end dernier. Nous traversions Paris en voiture par un de ces apr�s midi d'hiver, froids, ensoleill�s, revigorants, propres � nous sortir momentan�ment de nos d�primes. Nous allions du quartier chinois (o� nous avions sacrifi�, pour le d�jeuner, au rite du "Pho" dominical) au quartier de Bucy en passant par celui des Gobelins, le quartier latin �videmment, et celui de l'Od�on (qui, comme dit Eric Hazan dans "l'invention de Paris", se distingue tout � fait du quartier Latin sans qu'on puisse en dire exactement les fronti�res), � la recherche d'une galerie de photos o� on exposait les �uvres de Francesca Woodman, quelque part entre la rue Mazarine et la rue de Seine. Je conduisais. Mon ami Franklin, � qui je venais de raconter ma "rencontre" avec Michel Serres, mon "croisement" devrais-je plut�t dire, si c'�tait possible, enfin ma "non-rencontre", s'�cria soudain, alors que nous nous engagions dans la rue de M�dicis, apr�s avoir travers� la place Edmond Rostand, et, que nous commencions � longer les grilles du jardin du Luxembourg qui, � cet endroit-l� h�bergent avec bonheur, depuis quelques ann�es, des expositions de photos en plein air, et que nous patientions au passage clout� qui relie la terrasse du caf� le Rostand � l'entr�e du jardin (un des segments de la ville que je trouve des plus charmants, beaucoup de sc�ne de "la maman et la putain" de Jean Eustache y sont film�es), mon ami franklin, donc, s'�cria : "Tiens, Jospin !" J'avais d�j� acc�l�r� au feu vert, parce qu'� cet endroit, c'est bien connu, si on ne fonce pas, les pi�tons continuent de traverser au vert, au m�pris le plus criant du code de la route, avec la plus grande impolitesse. Je ne vis donc pas Jospin. Mais on peut dire en toute logique que ce fut comme si je l'avais crois� moi m�me, moi aussi, enfin lui aussi, si je puis dire, � partir du moment ou mon ami Franklin l'avait aper�u et que je ne mettais ni sa parole ni son sens de l'observation en doute. Comme je fon�ais dans la rue de M�dicis enfin d�gag�e de sa pi�taille et que, malheureusement, je ne pouvais me retourner pour v�rifier et tenter d'apercevoir, au moins, les c�l�bres frisettes blanches un cran au-dessus des t�tes pi�tonni�res, je demandai, en conduisant, � mon ami Franklin de me conter par le menu la sc�ne qu'il venait de voir. "Oh, rien de sp�cial, me r�pondit-il, il �tait l�, au bord du trottoir, il attendait de traverser, tout seul - c'est � dire, vu la foule qui l'entourait, sans escorte notable, ni gardes du corps ni autre c�l�brit� politique, ni Noelle Ch�telet etc. - Jospin, quoi, le vrai, le basiste, le neo-anonyme. " Je ne sais pas pourquoi, �a revigore toujours de croiser des c�l�brit�s, �a rend gai. C'est peut-�tre, il faudrait v�rifier �a par de savantes statistiques, que �a porte bonheur. On adore dire qu'on a crois� une c�l�brit�. �a revigore. �a vous grandit ; �a rapetisse le monde, en fait une sorte de village ; vous pouvez constater de visu que, toutes c�l�bres qu'elles soient, elles se brossent potentiellement les dents ou se mettent les doigts dans le nez ou elles remontent leurs chaussettes, qu'elles fr�quentent les librairies les tabacs et les laveries automatiques (enfin, pas s�r, pour les laveries) tout comme vous. Un peu de leur c�l�brit� rejaillit sur vous, automatiquement, et vous vous sentez un autre homme, une quasi-c�l�brit�, vous aussi. Je me recarrai sur mon si�ge, tendis les bras et empoignai le volant : J'�tais l'homme qui conduisait � travers Paris l'homme qui avait aper�u Jospin au coin de la rue de M�dicis. Cela vous posait l�, non ? Et Franklin en rajoutait : "L'autre jour, c'est Tib�ri que j'ai crois�. C'�tait tard le soir, il marchait dans la rue, sans chauffeur ni limousine, les mains enfonc�es dans les poches de son loden, c'�tait lui je te jure, il baissait les yeux, il faisait une dr�le de t�te !" � "Et xavi�re, il n'�tait pas avec Xavi�re ?" m'enquis-je en proie � la plus grande angoisse � "Non, il �tait tout seul, te dis-je, il rentrait chez lui, sans Xavi�re, �a c'est s�r !" etc. Ah, Paris sera toujours Paris !

16 février 2003

Pens�e de la nuit N� 5 "Je serai toujours un photographe du Dimanche. Les images sont comme les papillons. A quoi bon les attraper si c'est pour les emprisonner". Alvares Bravo

14 février 2003

Deux nouvelles rubriques sur Ciscoblog en LCD : La "Liste des pens�es de la nuit" et la "Liste des JMS" (des "Je me souviens"). Bonne f�te � toutes les nouvelles rubriques !
Pour une fois, ce site (enfin, pas vraiment pour une fois, mais c'est vrai que ce n'est pas fr�quent) va s'interesser � autre chose qu'� mon nombril. Voici donc une information capitale qui va, je l'esp�re, d�finitivement relever le niveau communicationnel de ce Blog : Lors du dernier recencement de 2001, au Royaume Uni, qu'on vient r�cemment de finir de d�pouiller, 390.000 personnes, oui, je r�p�te, 390.000 (soit l'�quivallent de cinq stades de France archi-combles, ce n'est pas rien tout m�me) 390.000 personnes ont d�clar�, � la case "religion", qu'ils �taient "Jedi". Incroyable mais vrai. 390.000 personnes. On vit une �poque formidable, m�me en Angleterre ! (Si vous ne me croyez pas allez v�rifier l�, suffit d'�tre un tout petit peu Shakespearoglottophone)
Comment ? Vous ne savez pas encore ce qu'est un endoproctoc�phalique, un dipt�rosodomite, un pseudopyge, ou encore ce que signifie paleovinoderme ? C'est que vous n'�tes pas encore all�s visiter xyloglotte. C'est une honte, je vous le dis, en deux mots comme en trois (traduire en xyloglotte pour demain et que �a saute !) Quand � moi, j'en prend une bonne dose au moins une fois par mois, et je vous garantis qu'apr�s le fou rire que je pique, � me gondoler devant ma console, � me taper sur les cuisses d'une main (l'autre gardant son m�dius riv� � la molette de la souris)je me sens r�concili� avec le monde pour au moins trois jours ! C'est l�gal et �a n'agrandit pas le trou de la s�cu : pourquoi s'en priver ! D'ailleurs, interdiction de revenir sur Ciscoblog si vous n'�tes pas pass�s une fois au moins par xyloglotte, na ! (et je me trouve encore bien bon de vous macher le travail avec les liens)
Chouette, les trois rubriques en m�me temps !

Fen�tre sur cour N� 2 :



toujours mon copain le bouleau. Photog�nique, non ?
je me souviens de Blek le Rock

13 février 2003

Pens�e de la nuit n�4 :"Un homme se poss�de par �claircies" Antonin Artaud

12 février 2003

Cet apr�s-midi, j'�tais au coin de la rue des �coles et du boulevard Saint-Michel. Je sortais de la librairie "Compagnie". � la hauteur de la boutique d'images et de cartes postales, en face du cin�ma "Le Champollion" et la rue du m�me nom. Au milieu des passants, je croisai un beau vieil homme, grand, droit, au regard clair, au nez aquilin, aux cheveux blancs et ondul�s. Une �charpe rouge lui ceignait le cou sous une veste sport bleu gris de bonne facture. Je ne pus m'emp�cher de suivre des yeux un court instant son beau visage. Il me rendit mon regard, accompagn� d'un l�ger sourire, sans ralentir son allure. Nous marchions en sens inverse, et nos pas nous avaient d�j� �loign�s l'un de l'autre. Je regardais d�j� vers chez "Gibert jeune", en face du boulevard o� je comptais, sans trop d'espoir, chercher le livre que je n'avais pas trouv� � "Compagnie". Je ne me retournai pas. Peut-�tre, lui, en ce moment entrait-il dans la librairie que je venais de quitter. Mais sur le moment je n'y pensais plus, la t�te � mille autres choses. Je ne suis m�me pas tr�s s�r que c'est sur le moment m�me que j'ai pens� qu'il s'�tait cru reconnu : nos regard s'�taient crois�s un court instant, il y a des gens qu'on remarque, comme �a, dans la foule, pour leur silhouette, la beaut� ou la laideur de leur visage, j'aime bien regarder les gens dans la foule, et d'ailleurs, moi ce sont plut�t les femmes qui attirent mon regard, en g�n�ral, pas les vieillards, tout beaux soient-ils comme celui-ci. En tout cas, moi je ne l'avais pas reconnu. Je l'avais juste regard� pour ce qu'il �tait, un beau vieil homme, et je n'y avais plus pens�. Ce n'est que plus tard, en sortant cette fois de chez "Gibert", que son l�ger sourire, �nigmatique comme celui de Mona Lisa, me revint en m�moire et me fit souvenir de son visage. En g�n�ral, les gens qu'on croise dans la rue, on ne les photographie pas, on les oublie, ils se fondent dans la foule innombrable des images oubli�es. C'est le souvenir du sourire qui fit revenir le visage tout entier. Je n'avais toujours pas l'id�e qu'il s'agissait de celui de quelqu'un que je connaissais, mais le sourire m'intriguait. Pourquoi m'avait-il souri, ce beau vieillard ? Il m'avait souri, mais pas regard�. Enfin, pas regard� vraiment. Il m'avait vu le regarder et avait souri. Pas � moi. Il avait souri parce qu'on l'avait regard�. Un sourire un peu �nigmatique, comme je l'ai d�j� dit, mais un sourire de satisfaction, de contentement, m�me. Tr�s discret, le sourire de contentement, mais indiscutable : il s'�tait senti reconnu. C'�tait cela que signifiait le sourire. Mais, en repensant � l'entrecroisement de nos regards, et au sourire, je me formulais l'hypoth�se qu'il s'�tait vu reconnu par moi (alors que, je le r�p�te, je l'avait regard� comme un anonyme, un homme, vieux d�j�, au beau visage, mais anonyme), et si je ne me trompais pas sur la signification de son sourire, c'�tait qu'il �tait effectivement connu, sans que cela importe que ce fut de moi. Cette pens�e qu'il s'�tait cru reconnu, la forme du sourire m'en donnait la quasi-certitude (car ce n'�tait pas le sourire de qui reconna�t quelqu'un, moi, en l'occurrence, un passant anonyme pour lui, aussi), fit na�tre en moi l'id�e que j'aurais d�, alors, le reconna�tre, mais que je ne l'avais pas fait, et que donc, peut-�tre, je ne le connaissais pas personnellement. J'en ai donc d�duit que l'homme que j'avais crois�, � cause justement du sourire, qui n'�tait pas destin� � quelqu'un qu'il reconnaissait, jouissait, lui, au sens propre du terme, d'une certaine, disons, c�l�brit�. Ce n'�tait s�rement pas une "star" parce que tout le monde se serait retourn� sur son passage ou bien il aurait port� les fameuses lunettes noires que toute "star" chausse d�s lors qu'elle met les pieds dans la rue. J'ai tout de m�me pens� � un acteur de cin�ma ou de th��tre, � cause de son physique de p�re noble. Cela aurait, par exemple, pu �tre Daniel G�lin ou quelqu'un comme �a, pas vraiment une grande "star" mais "reconnaissable", tout de m�me. Mais, outre que Daniel G�lin n'a pas les yeux clairs et qu'il est probablement plus petit, il est surtout d�j� mort et ne peut donc pas arpenter la rue des Ecoles et faire un sourire au premier passant qui le regarde. Je me suis pris au jeu. J'�tais de plus en plus certain que j'avais crois� quelqu'un que je connaissais. Mais je n'arrivais pas � faire la diff�rence entre quelqu'un que je connaissais personnellement o� que j'aurais simplement d� reconna�tre parce qu'il �tait connu. Apr�s avoir pass� en revue les acteurs de cin�ma ou de th��tre, plus ou moins c�l�bres, il n'y en a pas beaucoup de cet �ge finalement, apr�s avoir acquis la certitude que ce beau vieillard ne faisait nullement partie de mon entourage proche ou lointain, je m'orientai dans un premier temps vers les hommes politiques, prompts eux aussi � se croire reconnus dans la rue et � distribuer des sourires de remerciement. Mais la veste de sport ne collait pas tout � fait, ni la coupe de cheveux, un peu trop "boh�me", un peu trop "intello". C'�tait malgr� tout quelqu'un que j'avais vu � la t�l�vision ou dans un livre, peut-�tre sur la quatri�me de couverture. Rue des Ecoles, bien s�r ! Il ne se dirigeait pas vers la librairie "Compagnie", mais vers la Sorbonne ou mieux encore, le Coll�ge de France. Un professeur, alors, pas si connu que �a et, qui, aurait cru me reconna�tre moi, comme un de ses anciens �l�ves ou plut�t croire (le sourire, toujours) qu'un de ses anciens �l�ves le reconnaissait. Pour ce qui me concernait, �a m'aurait �tonn�. Je pourrais �ventuellement reconna�tre un vieux profs de m�decine, mais ils �taient d�j� tous assez vieux � l'�poque o� je les avais eu comme profs, et probablement tous morts � l'heure actuelle. Un prof, peut-�tre, mais certainement pas un des miens. Mais le coll�ge de France, un prof c�l�bre, le plus c�l�bre de tous, un des derniers survivants, j'y �tais : j'avais crois� cet apr�s midi le regard de Michel Serres et Michel Serres s'�tait vu reconnu, � tort, comme je viens de l'expliquer. S'il ne s'�tait pas senti reconnu, s'il n'avait pas souri imperceptiblement, il serait rest� pour moi comme pour la plupart des passants de la rue des Ecoles cet apr�s-midi un beau vieillard anonyme qu'on croise en fl�nant. Mais comme il s'est r�v�l� finalement �tre Michel Serres, gr�ce � son imperceptible sourire, il a eu droit au quelques lignes que vous venez de lire si votre patience vous a conduit jusqu'� la fin du paragraphe. Parce que, au fond, cet apr�s-midi-l�, Michel Serres est toujours un beau vieillard anonyme qui passe. Peut-�tre a-t-il, sur sa route vers le coll�ge de France, �t� reconnu vraiment, une ou deux autres fois, ou pas reconnu, mais simplement regard�, comme je l'avais fait, et peut-�tre a-t-il r�pondu au regard par le m�me sourire �nigmatique, mais je ne crois pas. Il est rest� anonyme jusqu'au bout. Il �tait le seul � se savoir Michel Serres marchant dans la rue des Ecoles (de m�me que je suis bien persuad� d'avoir �t� le seul � me savoir moi-m�me marchant dans la rue des Ecoles). Mais, au fond, quelle importance ? Dans toute mon existence j'ai bien du en croiser, dans la rue, des c�l�brit�s, sans les reconna�tre, et m�me j'en ai reconnu quelques unes d'ailleurs, je ne me souviens plus lesquelles, l� maintenant, et alors ? Je sais, ce que je viens de raconter est un �v�nement infime, une non- rencontre par excellence, qui ne signifie absolument rien et qui ne m�rite probablement pas l'espace que je vient de lui consacrer. Peu-�tre aurais-je du �crire, � la rigueur, tout simplement : " Cet apr�s-midi j'ai crois� Michel Serres dans la rue", basta cosi, et vous passer les d�tails du cheminement tordu de ma pens�e ? Mais la simple relation du fait brut, une courte phrase au milieu du blanc de la page du genre "Cet apr�s-midi j'ai crois� Michel Serres dans la rue", ce qui n'a en soi strictement rien d'extraordinaire, vous aurait paru encore plus futile et sans int�r�t, alors que faire ? Pourquoi n'ai-je pas pu m'emp�cher d'en �crire tout un paragraphe ? Justement, peut-�tre, parce que c'�tait loin d'en valoir un. Il y avait comme un trop plein, l'envers peut-�tre de ce qu'on appelle "l'angoisse de la page blanche", quelque chose de douloureux, quelque chose d'une pr�sence insaisissable, de trop fort, encore. C'est cela, oui : trop fort. Je ne peux, pour ma d�fense, que citer Ren� Louis Desforets " Cette masse indiff�renci�e comme perdue sur un fond de grisaille o� la lumi�re n'a d'acc�s que par intermittence et semble m�me de jour en jour se faire plus rare, quel langage serait assez charg� de d�sir pour lui donner relief et couleur, � moins de recourir aux artifices d'une transfiguration" (in "L'imm�morable")

10 février 2003

Pens�e de la nuit N� 3 (je rappelle que ce sont des "Pens�es du jour", la nuit) : "Prenez un verre en argent tout neuf, remplissez le grains de grenade rouge et placez le entre l'ombre et le soleil : telle �tait en quelque sorte la beaut� de Rabbi Yo' Hanan (trait� Baba Metsia)" Adin Steinsalz, "Personnages du Talmud"
J'ai d�j� dit mon amour des descriptions. D�crire c'est rendre le monde qui ne nous a pas �t� donn� mais seulement pr�t�. Ecrire aussi, par cons�quent. Je suis profond�ment convaincu que toute �criture est description. Ecrire c�est copier le monde avec des mots, parce qu�il y a un sujet de l��criture. Il n'y a pas d'�criture abstraite comme il y a par exemple une peinture ou une sculpture abstraite. Si on admet, comme le dit Avigdor Akhira, que l'art abstrait est une exaltation du d�coratif, du motif, de l�absence de sujet, aucune �criture ne peut �tre consid�r�e comme abstraite. D'ailleurs une telle �criture, sans sujet, "d�corative", ne pourrait se r�duire qu'au simple graphisme ou au jeu typographique, elle n'aurait plus besoin des mots. Elle ne serait donc plus �criture. Je me souviens des tentatives graphiques et path�tiques de Roland Barthes et d'Henri Michaux. Ce qui permet de faire de l'abstrait, de se passer de sujet en peinture, c'est le "substrat", justement, toute la mati�re qu'il faut pour peindre, les couleurs qui se juxtaposent les unes aux autres mais ne signifient rien, la toile, le support, qu'on peut griffer, lac�rer, torturer, la consistance, le "jus" qui coule, les taches, la p�te, plus ou moins dense, qu'on peut modeler � l'infini. Il y est plus question de rythmes, de p�riodes, de motifs. C'est exactement comme pour la musique, qui, elle, est abstraite par essence. Ce qui serait comparable, en musique, � la peinture "abstraite" s'y appelle d'ailleurs musique "concr�te" en raison du processus de production des sons, gestes et mat�riaux qui sont l'�quivalent de la "mati�re" picturale, et non pas des notes, et l�, d'ailleurs, le motif se perd. L'abstrait ne d�crit pas, il se donne en pure forme, il tente d'exprimer une �motion esth�tique d�gag�e de tout sujet. C�est une path�tique tentative que fait la mati�re pour se dire elle-m�me, comme si elle s�emparait du corps et de la technique de l�artiste pour son seul et propre usage. Le motif se r�p�te � l�infini, peu importe au fond qui le grave ou l'inscrit. La pure forme serait une sorte d'entit� platonicienne qui s'imposerait d'elle-m�me au plasticien. Il ne ferait, en quelque sorte, que la prendre sous sa dict�e, la transcrire. Les grands inventeurs de motifs, quoiqu�ils en disent, sont plus des scientifiques que des artistes (Pete Mondrian, Vassili Kandinsky tardif�) On sait que la fronti�re est t�nue entre math�matiques pures, par exemple, et art. Malgr� tout ��, malgr� tout ce que l�abstrait peut contenir de beaut�, Picasso, par exemple, s'y est toujours refus�. Il ne concevait pas une peinture sans sujet. Il d�crivait. Il n�a jamais renonc� � d�crire. Matisse s�y est aventur� un peu, lui, il a invent� des motifs, il a rencontr� l�abstrait, il a fait un bout de chemin avec lui et n�a pourtant pas non plus renonc� au sujet. Mais la description a sa propre alchimie, son propre myst�re. Ce n'est pas parce que je m�attache � le d�crire que je vais rendre compte du sujet dans sa totalit�. Je sais bien que ma description ne sera qu�un point de vue, point de vue qu�on pourra appeler, si on veut, mon style. Je peux tenir � mon point de vue, qui est l'endroit que le mouvement du monde m'a d�sign�, c'est mon devoir m�me d'y tenir, au sens �thique, mais les points de vue peuvent se multiplier � l�infini. On n��puise jamais le sujet, bien s�r. Le � r�alisme � lui-m�me n�est qu�un point de vue. Le sujet est pris dans un temps donn�, qui peut �tre le mien, mais pas forc�ment, il est pris (prisonnier) dans un espace donn� qui peut �tre le mien, mais pas exclusivement. Il existe un lieu o� je peux le faire mien pour un moment, mais il me faudra le rendre, le rendre � lui-m�me et aux autres. C�est son statut de sujet qui le veut. La libert�, on peut peut-�tre appeler �a comme �a, le fait que le monde n'est que mouvement et que le sujet est sans cesse entra�n� par ce mouvement. Cette difficult� fondamentale � le saisir, ne nous autorise en rien � affirmer que le sujet n'existe pas, comme pour nous en d�barrasser : Il est le lieu de convergence d'une infinit� de points de vue, voil� tout. Il est pass� par ici, il repassera par-l�, comme le furet. Il ex-siste, diraient les lacaniens. Il r�siste, aussi. L�artiste abstrait serait donc � la fois sage et l�che. Sage, parce qu�il aurait compris que tenter de saisir l�alt�rit� est vain, l�che parce qu�il aurait renonc� � toute confrontation avec le monde. Pour ne pas avoir � rendre. Pour n��tre redevable de rien � personne. Dans sa sagesse ainsi que dans sa l�chet�. Un peu autiste. Path�tique effort de l� � hyperr�aliste � qui ne fait que rejoindre l�abstrait, aux extr�mes, mais qui a d�cid� de ne pas l�cher le sujet, co�te que co�te, et qui ne le rendra jamais. Il en gardera au moins la forme seule, l'enveloppe "charnelle", exacerb�e pour ainsi dire, comme, par exemple, ces immenses toiles de plusieurs m�tres carr�s, grandes comme des publicit�s g�antes, repr�sentant des ventres ou des fesses de femmes en gros plan, sangl�s dans d'affriolants sous-v�tements, reposant sur les plis compliqu�s de draps blancs au d�sordre minutieusement repr�sent� ou sur une plage peinte au grain de sable pr�s. A l'inverse, aux temps h�ro�ques, les photographes "pictorialistes", comme s'ils s'�taient sentis coupables du saut qualitatif que repr�sentait leur technique de repr�sentation du r�el ou comme s'ils avaient voulu se faire pardonner � l'avance la crudit� in�luctable des images qui allaient bient�t inonder le monde, avaient copi� non pas la nature, mais la peinture ou plut�t les tableaux, avec le cadre dor� et m�me le mur sur lequel on les accroche. il a peint �a � toute allure et a tout arr�t�Ce ne sont ni les lenteurs des obturateurs et du "temps de pause", ni la complexit� et l'instabilit� des tirages qui les ont emp�ch�s, � la v�rit�, de saisir le mouvement et l'agitation du monde (Paris d'Eug�ne Atget, d�sert et mort) mais bien l'impossibilit� de se d�tacher de la "pause", du "mod�le", du "portrait", du "paysage" qui fondait encore toute conception artistique. Ce sont, au contraire, des peintres, enfin lib�r�s une fois pour toutes par l'irruption de la photographie du souci de la repr�sentation et de l'exactitude formelle, qui se sont rapproch�s, comme Courbet par exemple, ou plus tard Manet et les impressionnistes, de la nature de la nature et de l'Origine du Monde. Alors que le credo du g�nial Rapha�l ("Ce n'est pas une belle que je peins quand je peins une belle, mais la beaut� de toutes les belles") avait �t� affadi par les peintres pompiers qui l'avaient us� et d�voy� jusqu'� la corde, on ne se rend plus compte aujourd'hui de l'incroyable r�volution qu'avait constitu� le geste de poser son chevalet au milieu d'un champ de bl�, au bord de la Tamise, devant la cath�drale de Rouen ou au pied du lit d'une prostitu�e pour y peindre non plus des formes id�ales fig�es dans l'�ternit� mais des tableaux, enfin. Le temps, et non plus l'espace immobile, reprenait ses droits : la toile rendait alors compte d'un moment fugace ou d'une dur�e qui s'�tirait, d'une impression plus ou moins longue, elle avouait qu'on avait non seulement tent� d'arr�ter le temps, mais qu'on n'y �tait pas arriv�, qu'on savait bien qu'on ne pouvait pas le faire, elle disait : Voil� un moment du mouvement du monde dans lequel je suis contenu mais je ne peux pas le repr�senter plus sans mentir, je m'en tiens l�. On conna�t la f�brilit� de Van Gogh, la h�te qu'il mettait dans l'ex�cution de ses toiles, tout devait �tre termin� en quelques dizaines de minutes, il en sortait �puis� comme apr�s un combat. Ce n'�tait pas d� � son impatience ni � son impulsivit� ni � sa nature d�bile, mais � son sens tragique de la v�rit�, au sentiment profond que quelques instants plus tard cela ne pourrait plus �tre le m�me tableau et que m�me �a n'aurait m�me plus l'int�r�t d'�tre peint. Je me reprends, alors : �crire, c'est d�crire toujours mais on ne peut pas le faire. Ecrire c'est seulement une tentative. C'est justement pour �a qu'on r�p�te toujours la m�me chose. Mimesis.

09 février 2003

Je me souviens d'Albert Reisner, harmoniciste ( c'�tait le seul "rescap�" du "Trio Reisner" qui avait fait les beaux jours de "36 chandelles" � la RTF ( en passant, je me souviens d'ailleurs de la RTF), on les voyait align�s par ordre de tailles et jouants de trois hamonicas de plus en plus longs) pr�sentateur vedette de l'�mission "Age tendre et t�te de bois" (p�le copie "visuelle" de "Salut les Copains" sur Europe N� 1)o� sont pass�s pour la premi�re fois Johnny Halliday et Claude Fran�ois (Je me souviens aussi du moment ou la RTF est devenue l'ORTF).
Pens�e de la nuit : "Alors que les �tres et les choses t�moignaient sans rel�che de sa pr�sence au monde et qu'il lui semblait, jour apr�s jour, apprecier son sillage parmi eux, un homme d�couvre que tout ne r�p�te plus, d�sormais que sa propre absence. Quand et comment cette inversion s'est-elle op�r�e ? Il serait bien incapable de le dire. Certes, si douloureux soit-il, et contre toute apparence, ce sentiment d'une perte est peut-�tre la preuve d'un regard plus aigu, auquel cas il n'avait � peu pr�s rien vu jusque l�, se dit-il. Et, � plus forte raison, comment aurait-il pu deviner ce qu'il exp�rimente maintenant tous les jours : que la beaut�, alors m�me qu'on la touche, est d�chirante comme un adieu et qu'un visage ami est parfois plus douloureux qu'une plaie ouverte. Cependant cet homme va, vient et se d�pense sans compter." Marcel cohen, "Lecture courante � l'usage des grands d�butants"

08 février 2003

Nouvelle rubrique (c'est la nuit des nouvelles rubriques (je me souviens de "Y'a qu'une t�l�, c'est t�l� chat", bonne f�te � toutes les nouvelles rubriques)), donc : "Fen�tres sur cour", nouvelle rubrique

fen�tre 1

Bien entendu, c'est ma fen�tre, sur ma cour (quel nombrilisme !..) ) Ceux qui fr�quentent assid�ment ce site (les autres, fouillez un peu dans les archives, �a vous fera du bien) n'auront pas manqu� de remarquer qu'on voit mon copain le bouleau. (il est muet en ce moment, tiens)
Et voici notre pens�e de la nuit (nouvelle rubrique), tir�e, en cet instant de spleen, d'un roman de Ren� Belleto, je ne sais plus tr�s bien lequel (Cr�ature ?) : "...Tant il est vrai que dans cette existence imparfaite, soit on passe � c�t� des choses, soit on s'�crase contre." Avec en prime un "je me souviens" : je me souviens de la "trilogie lyonnaise" de Ren� Belleto (la premi�re page du "Revenant" m'avait litt�ralement boulevers�

05 février 2003

Ce soir, de quoi amuser vos enfants, surtout les filles (quoique : je me souviens avoir d�coup� fr�n�tiquement, vers six sept ans, les "paper dolls" (on n'appelait pas �a comme �a, mais comment ?) de mes petites copines) Il ya Marylin Monroe, Lady Di, Tom Cruise et m�me Vous, si vous �crivez � la webmistress ! Bon d�coupage ! That's all folks, for tonight (via geisha azobi, qui est une v�ritable mine)

03 février 2003

Juste une remarque en passant, parce que "Blogger" (le fichu logiciel en ligne qui me sert � publier ces...lignes) m'�nerve : il "bogue" sans arr�t. Ainsi, il vient de convertir en italique tout ce qui a d�j� �t� �dit� jusqu'au 2 f�vrier. Je ne sais pas comment r�tablir la typographie originelle. Ce n'est pas tr�s grave, mais c'est �nervant (les archives sont intactes, elles. C'est � n'y rien comprendre) Je vous prie donc de m'excuser pour le d�sagr�ment.(Avez vous aussi remarqu� que les archives de d�cembre 2002 ont disparu ? Encore un bogue de Blogger. Pas moyen de les r�cup�rer (en ligne du moins ; elles sont � l'abri sur mon serveur. Il suffit de m'�crire pour les recevoir par retour du courrier (si vous n'y comprenez rien, ce n'est pas grave : moi non plus !)))C'est �nervant !
ah, Marylin...Je me souviens de Philippe Clevenot. Ce n'est pas un vrai "je me souviens" p�recien. Il manque probablement l'essentiel de ce qui fait un "je me souviens" p�recien : �tre � la fois intime et public, individuel et collectif, quasi anonyme et archi connu etc. Un "je me souviens" est une pi�ce de puzzle, il trace les contours, de l'ext�rieur, au sens propre du terme, de celui qui se souviens, et ces contours sont faits de fragments de m�moire collective. C'est ce qui constitue l'�motion de tout "je me souviens". Celui qui se souviens apparait lentement comme la photo dans le r�v�lateur, pi�ce de puzzle apr�s pi�ce de puzzle, en creux, vase entre deux visages. Philippe Clevenot ne fait pas partie de la m�moire collective au sens o� Perec l'entendait. Ce n'est ni "Du bo..du bon...Dubonnet" ni "l'ange blanc". Il fait partie de la m�moire d'un trop petit groupe de gens. Philippe Cl�venot est mort l'ann�e derni�re. Beaucoup trop jeune.C'est un article de Lib� qui me l'a brutalement rappel� ce matin. Philippe Cl�venot �tait l'un des plus grands com�diens de la grande aventure du th��tre des ann�es soixante-dix. Un ma�tre, un ma�tre absolu, tout comme Louis Jouvet qu'il a d'ailleurs incarn� dans une pi�ce magnifique sur le th��tre � l'int�rieur du th��tre. Je me souviens de Philippe Clevenot dans Alceste du Misanthrope mis en sc�ne par Jean Pierre Vincent. je me souviens de Philippe Cl�venot dans "les Camisards" de Ren� Allio. Je me souviens de Philippe Cl�venot � la Cartoucherie. Je me souviens qu'il a jou� avec G�rard Desarthes qui est devenu un petit peu plus connu que lui mais pas beaucoup plus ; Je me souviens qu'il a port� l'art de l'interpr�tation � des niveaux qui ne sont pas pr�ts d'�tre atteints � nouveau. Voici donc le texte, emprunt� � Lib�, que Philippe Cl�venot avait �crit sur le rituel du salut au th��tre :

Quoi faire quand c'est fini ? La reconnaissance est dans l'instant. La t�te d'abord � inclin�e forc�ment avec le buste ou pas. Les mains ensuite � prendre celles du partenaire ou pas, puis les lever ou les serrer pr�s de soi. Enfin, comment arriver et comment partir de ce qu'il faut bien appeler une position incommode.
Dans le �venir saluer�, il y a cette descente vers la face, cette avanc�e vers les spectateurs, cet aller � la rencontre. Plus qu'un rituel, le signe d'une communaut�, cette mani�re de s'incliner, de s'encha�ner les uns aux autres, les unes aux autres en d'infinies variations, presque des gestes sacr�s. Etre et se mettre � la merci, demander, attendre quelconque merci, quelconque b�n�diction. Se mettre en lumi�res ; pleins feux qui nettoient tout : spectacle, personnages, intrigue, et la salle reste dans l'ombre. C'est un aveu involontaire. Les spectateurs peuvent � loisir d�tailler la personne civile des acteurs ; ceux-ci l'acceptant de bonne gr�ce mais sans jamais atteindre la fusion.
(...)
Comment les acteurs pourraient-ils, � l'instar d'Artaud, s'enfuir jusqu'� leur loge, emportant ainsi leur personnage, sans avoir pris le soin de s'en d�faire. Cette affaire pourrait se r�v�ler dangereuse � la longue. Il leur faut marquer l� la limite et la fin par les postures du salut. Le �venir saluer� comme palier pour redescendre parmi les mortels en une sorte de conciliabule, un temps immobile, de part et d'autre, un soulagement chaleureux. �Le risque fut grand dans cette embarcation.�
Ce qui me g�ne, c'est de comprendre que l'histoire s'arr�te. La r�alit� vient et devient majeure et primordiale. Le salut appartient au spectacle d'une mani�re sp�cifique car l'interpr�te est encore habit�. Prendre sur soi et faire semblant, c'est-�-dire jouer que le public n'a eu affaire qu'� un mime et qu'il y a l�, retour � la r�alit�.
C'est la reconnaissance d'une fin, d'une repr�sentation, l'artiste est comme le public, il se met � la disposition des saluts. Il sort du personnage, les lumi�res reviennent et il faut retravailler, �tre �gal avec le public. C'est un mensonge total car cela va trop vite. Jouer l'humilit�, humble, trop humble, pas assez humble ; comment saluer juste ? Certains acteurs n'y songent pas car ils sont trop contents d'avoir fini leur travail et ce n'est pas facile parfois. On n'applaudit pas le personnage mais la personne, et le probl�me c'est que la personne est encore dans le personnage. C'est un beau rituel mais difficile � faire car il y a cassure. Au salut je ne pense � rien, je pense � saluer parce qu'il le faut, parce qu'il faut dire, effectivement, c'est moi qui suis en train de saluer.
Il m'a fallu plusieurs dizaines de repr�sentations pour me convaincre de venir saluer apr�s la r�put�e conf�rence d'Antonin Artaud ; quand de nombreux t�moins s'accordent � dire qu'il s'interrompit au beau milieu d'une phrase et s'enfuit. J'ai compris que je punissais les spectateurs d'avoir regard�, cela me faisait r�ver, tellement ils �taient dans le d�sarroi. Cela faisait partie du spectacle. Mais on ne peut pas punir les gens qui ont pay�, qui aiment le th��tre et qui aiment Artaud. D�s qu'il y a repr�sentation, il y a obligation de saluer. Je suis content qu'on applaudisse, le fait de saluer c'est diff�rent, � chaque fois il faut inventer. (...)
Ouf est le dernier mot d'Arnolphe dans l'Ecole des femmes. Ce mot termine son histoire et la continue.
Le salut c'est encore du jeu, de la repr�sentation, m�me les mains n'ont pas la m�me chaleur. Je salue en tant qu'interpr�te, en tant qu'ayant donn� quelque chose. On ne peut pas faire semblant d'�tre reconnu alors qu'on n'a jamais �t� m�connu, justement on est connu sans arr�t ; donc il faut saluer : c'est une sottise et une chose tr�s belle, cette reconnaissance. On est � nouveau comme tout le monde. On est content d'avoir fait ce que l'on voulait faire mais on ne finit pas.
Les spectateurs qui se l�vent, qui crient bravo, disent merci. Les acteurs qui saluent, disent merci. Merci car vous avez pay�, merci car vous avez appr�ci�, merci car vous �tes rest�s. Le moment interm�diaire se situe avant et apr�s les saluts. Avant, on est dans le vide complet, nulle part, on veut �tre �reconnu�, et on ne sait pas si on le sera. C'est le vide de combien il faut faire d'appels pour inciter les spectateurs � applaudir mais ce n'est pas une question de satisfaction. Entretenir, �tre d�sir�, les rappels sont un jeu.
Apr�s, quand on rentre dans sa loge, il n'y a plus rien, m�me pas �a. Ce qui est �trange, c'est comment on est d�pouill� de soi, comment on est � nouveau dans la rue, dans la r�alit�, sans costume.
Le salut est devenu existant, comme une b�n�diction ; quand le spectacle est termin�. Quand les spectateurs s'en vont, � ce moment-l�, c'est bien fini, on peut sortir. L'acteur est venu saluer pour m�moire.

Je ne vous dirai pas par quel chemin je suis pass� pour arriver sur ce site (un bon magicien ne d�voile jamais le secret de ses tours, un bon journaliste "prot�ge" ses sources etc.) Quoiqu'il en soit, je crois que cela m�rite un d�tour. Cela m�riterait presque la LCD, mais je laisse mijoter un moment au purgatoire, on verra plus tard... bonne promenade
J'ai trouv� �a dans "d�sordre" :

"Cela n'aurait �videmment aucun sens s'il en �tait autrement. Tout a �t� �tudi�, tout a �t� calcul� , il n'est pas question de se tromper, on ne connait pas de cas o� il ait �t� d�cel� une erreur, f�t-elle de quelques centim�tres, ou m�me de quelques millim�tres.Pourtant je ressens toujours quelque chose qui ressemble � de l'�merveillement quand je songe � la recontre des ouvriers fran�ais et des ouvriers italiens au milieu du tunnel du Mont Cenis."

C'est �videmment de Georges Perec. C'est exactement, selon moi, ce qu'on appelle un "bonheur d'�criture".

01 février 2003

Au revoir, monsieur Havel, et merci !