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30 septembre 2004

Paris au volant 7


19 septembre 2004 rue de la colombe




26 septembre 2004

Pensée de la nuit N° 72 : " De toute façon, le moment était venu de quitter ce monde dégueulasse et pourri. Nous sortîmes de Paris par une voie unique. Reconnaissant deux des siens, la statue de la liberté leur adressa un salut fraternel" Jean Luc Godard,Pierrot le Fou.
26 (titre provisoire), XIII


Cathy, Catherine. On ne l’a jamais appelée Catherine, pensait-il se souvenir. Pas même ses parents ou ses nombreux frères, sœurs, demi-frères et demi-soeurs. Cathy, elle s’était appelée Cathy de tout temps, jamais Catherine. C’était la fille de notables d’une petite ville de Sud Ouest. Elle avait d'abord connu un malheur presque ordinaire. Elle avait vécu un grand amour avec son prof d’anglais, marié et père d'enfants, était tombée enceinte, il n’avait pas voulu de l’enfant et elle s’était enfuie à Dormeil, là où habitait son père, dentiste, qui avait quitté depuis longtemps sa pharmacienne de femme, pour accoucher d’Ivan qui avait seize ans de moins qu’elle. Elle n’a plus jamais revu le père d’Ivan, bien qu'elle fut restée amoureuse de lui de nombreuses années. Quand Bonnafé a ouvert son école d’infirmière pour former des infirmiers désaliénistes, l’une de ses idées utopiques de génie, ne jamais partir de l'ancien, créer une génération de soignants toute neuve, vierge de tout reflexe asilaire, elle a été dans les premières à s’y inscrire sur les conseils de son père, communiste local, on trouve de tout chez les dentistes, qui connaissait Bonnafé et lui avait en quelque sorte confié sa fille, avec Félix, l’autre Cathy, Cédric, François et assez peu d’autres, à vrai dire. L’école d’infirmières désaliéniste de Dormeil n’ayant formé qu’une seule génération d’élèves, pour des raisons obscures mais certainement financières. Mais quelle génération. Patience, c'est une terrible histoire. C’était une sacrée drôle de fille, Cathy. Belle comme la douleur, belle comme la vie. On ne pouvait pas ne pas tomber amoureux d’elle. Elle était comme les filles des chansons de Brassens. La première fois qu’Haltman l’avait aperçue, dans les années soixante dix, c’était dans le préfabriqué des « Mozards ». Elle avait à peine vingt ans. Elle était élève infirmière et lui, élève médecin. Il ne faisait pas de la psychiatrie pour la première fois mais presque. Elle, pareil. Ils assistaient ensemble aux consultations d’Antoine Bésirien qui était un interne de Bonnafé expérimenté. Elle ne parlait jamais pour ne rien dire. On la sentait grave, douloureuse mais forte en même temps. Et il était tombé amoureux d’elle, évidemment. Elle lui avait tranquillement expliqué qu’il n’était pas le seul, elle ne savait pas ce qu’elle avait fait aux hommes, et l'avait éconduit très gentiment. Il ne se passa donc jamais rien entre eux, malgré le grand désir qu’en aurait eu Haltman et peut-être celui de ses autres amoureux. A cette époque elle avait décidé de rester absolument seule. Plus tard, elle rencontrerait Florent et il n’y aurait plus de place pour d’autres, mais, patience, c’est une autre histoire, encore plus terrible. Elle ressemblait exactement à la Juliette Gréco de Saint germain des prés, mais en beaucoup plus jolie. Toujours en noir. Les lourds cheveux de jais sur les épaules. Jamais un sourire ou alors ironique ou même dérisoire, le plus souvent. Seul son regard n’était pas sombre. Mais quel regard, d’une franchise qui pouvait faire peur. Elle avait ces yeux pour lesquels on se damne. Haltman quitta une première fois Dormeil pour se former un peu ailleurs et faire son service militaire comme psychiatre dans le service de santé. C’était le temps des comités de soldats. Il passa un an dans un hôpital militaire de province à visiter les caves à vin et réformer le plus de gauchistes possible. Puis il revint à Dormeil. Deux ans et demi plus tard, il retrouva toute la petite bande, les poussins de Bonnafé et de madame Bonnafé sa femme qui était la surveillante. Haltman avait pris du galon, pour ainsi dire. Il n’était plus élève, mais Interne. On lui confia un sous-secteur, une unité de proximité encore plus au plus près de la population. Cathy était toujours là, elle avait beaucoup appris en son absence, elle était devenue un pilier de l’équipe. Elle était encore plus belle qu’avant.
Grâce à Philippe Didion, je peux enfin identifier chacun des Jazzmen qui pose sur la photo d'Art Kane qui est dans mon bureau. Merci Philippe ! (cliquez sur la photo)


cliquez

25 septembre 2004

Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas mis plus tôt le magnifique portfolio de Franck Horvat, Very Similar, en LCD. C'est fait. Ouf.
Pensée de la nuit N° 71 : "Le cri, la voix participent de la nature de la semence. Laisser dit, plus que laisser écrit incite la mémoire des autres à perséverer." Erri De Luca, En haut, à gauche.

24 septembre 2004

aujourd'hui j'ai trouvé ça sur Echolalie (on devrait aller plus souvent sur Echolalie)

23 septembre 2004

Ami 6,

Je compte quinze voitures. Une en moyenne tous les deux ans. J’ai toujours eu la réputation d’être un mauvais conducteur. J’en suis un. J’avoue un pourcentage de malus largement supérieur à 50 %. Dieu merci, je n’ai jamais tué ni même blessé personne. Surtout des accrochages, du froissage de tôle, des rayures de carosserie, des pares chocs plus ou moins enfoncés, mais plutôt pas trop, le plus souvent. De petites choses. J’ai cependant, je le confesse, moi-même échappé au pire, une ou deux fois. A., perfide, disait que ce n’était que grâce à la prudence des autres conducteurs, et non la mienne, que je devais d’être encore en vie, ce qui avait le don de me mettre en rage, mais qui était la pure vérité. J’ai passé mon permis en 1971, si je me souviens bien. Je n’ai jamais sympathisé avec mon moniteur d’auto-école. C’était une sorte de prof de gym en veston, un jeune beauf qui n’aimait pas les étudiants à lunettes et à cheveux longs. Les siens, assez courts ne cachaient pas les grosses pattes qui mangeaient le hauts de ses joues couperosées (je n’irai pas jusqu’à dire que c’était un alcoolique, ce qui ne devait tout de même pas être possible pour un moniteur d’auto-école, même à l’époque, mais presque) Il me considérait de haut, sans indulgence aucune pour mon manque de dons naturels. J’ai toujours eu l’impression qu’il méprisait les « intellos », ou pire. Bref, Il me collait un trac fou. J’arrivais en retard aux leçons d’une demi-heure et je ne faisais que des bêtises. Il usait en maugréant de la double commande à tout bout de champ. Je n’étais doué ni pour passer la première, je ne savais pas faire patiner l’embrayage, la voiture faisait des hoquets aussi incontrôlables que honteux, ni pour les démarrages en côte, ni pour les créneaux. Je n’ai jamais rien compris au double débrayage qui était à la mode avant le choc pétrolier ni même compris l’intérêt de monter les vitesses, c’est dire. Il m’emmenait dans des endroits pas possibles, comme la bien nommée rue des Reculettes, dans le treizième arrondissement, où il fallait faire des marches arrière dans des descentes vertigineuses avec virage, par exemple. Je garde un souvenir épouvanté d’une tentative d’incursion sur le périphérique. Chaque fois qu’il me demandait de lui lire le numéro d’immatriculation du véhicule qui nous suivait, j’étais pris en flagrant délit de non consultation du rétroviseur. Il était de bon ton, et plutôt fréquent, à l’époque, de réussir son permis du « premier coup ». J’ai la honte de dire que je m’y suis pris à trois reprises, sauf pour le code, encore heureux pour un « intello », que j’ai eu dès la première fois. J’ai toujours pensé que mon moniteur, assis à l’arrière, était de mèche avec l’inspecteur pour me recaler, parce que, à l’examen, en bonne bête à concours que j’étais, je n’avais raté que le créneau, ce qui n’étais en principe pas éliminatoire. Mais je soupçonne ma mémoire d’être de mauvaise foi, j’ai bien du franchir une ligne continue avant de tourner à gauche, oublié de mettre mon clignotant ou quelque chose comme ça, en tout cas je ne m’en souviens plus. Ma première voiture a été classiquement la vieille Ami 6 de copains de mes parents qui changeaient de voiture. Elle était de couleur jaune cuisine délavé. Elle a bien duré deux ou trois ans. J’ai au moins un souvenir conforme à ce qui vient d’être dit de mes piètre qualités d’automobiliste : C’est à son volant que j’ai, en 1972, affronté pour la première fois une des choses alors les plus épouvantables de ma vie : l’autoroute du Sud qu’il fallait emprunter pour se rendre à Corbeil-Essonnes où, comme je l’ai déjà dit ailleurs, j’ai effectué l’un de mes premiers stages d’externat.. Je me souviens aussi du visage impassible mais terrorisé du collègue à qui j'avais fait l'honnête proposition de le ramener à Paris à la fin de la matinée, pour me servir d’objet contraphobique sans doute, dans un voyage de retour inspiré du « Space Mountains » d Eurodisney inventé environ vingt ans plus tard. C’était aussi l’époque des répétitions de théâtre, tard le soir, dont j’ai aussi déjà parlé ici, après le dernier métro. La troupe, généralement piétonne, partageait alors les voitures de deux ou trois d’entre nous. Je me retrouvais pourtant à chaque fois tout à fait seul dans ma petite auto avec personne à raccompagner, plutôt content d’ailleurs de pouvoir aller me coucher sans faire le taxi, mais c'était étrange. Plus tard, mais beaucoup plus tard, j’ai appris qu’on se battait pour éviter de monter avec moi quitte à faire le double du trajet. Ma réputation de véritable danger public date de cette époque. Ou plutôt la conscience que j'en ai. On sait que les réputations, ça a la vie dure : Elle est un peu exagérée, celle-ci, en réalité je ne conduis juste pas très bien, c’est tout.

20 septembre 2004

Leonard Cohen aura 70 ans demain. Tain!...

19 septembre 2004

très beau livre

Paris au volant 6


19 septembre 2004 Parc Montsouris

Grâce à "Douze Lunes" je sais maintenant quel est mon profil politique exact. Je me croyais un peu plus à gauche que çà. Cliquez ici pour savoir vous aussi enfin de quel bord vous êtes (shakespearoglotte exclusif).

18 septembre 2004

Merveilles, 13


ravel
Parfois les « cahiers de charge » sont une véritable charge, lourde à traîner, qu’on ne sait même pas saisir. Les "contraintes" sont parfois juste contraignantes... Il en va ainsi des « Merveilles ». Je cale depuis plusieurs semaines sur les mouvements lents des concertos de Mozart qui n’y sont pour rien, bien sûr. Ils sont ma « Merveille » numéro 13, les pauvres. Je continue de m’émerveiller, de les écouter, entre les deux mouvements rapides, comme il se doit (confesserai-je que parfois je les saute, les mouvements rapides?), pour la millième fois, avec une préférence certaine pour celui du numéro 27 K595, en si bémol (mais celui du N° 22, K482, en mi bémol, n’est pas mal non plus, il a des accents schubertiens, voire carrément romantiques), complètement en dehors du cahier de charge et n’y pensant le plus souvent pas. Mon cœur fond toujours en écoutant l’andante du concerto K 488 en la majeur, il évoque toujours les deux mêmes choses pour moi, depuis que je l’ai entendu pour la première fois il y a des milliards d’années : la douleur et sa propre consolation et un champ de blé sous le vent ; la fameuse romance du concerto en ré mineur K 466 peut être sublime bien jouée mais gare à la rengaine, l’andante du dernier concerto numéro 27 la douceur et l’intelligence même, mais que puis-je dire, moi, d’intéressant sur les concertos de Mozart ? je ne jouerai pas les Alfred Einstein, Birigitte ou Jean Massin et autres Paul Badura skodha ou Eric Rhomer (le cinéaste). Que puis-je dire, moi des concertos de Mozart ? Piège de la contrainte. Parler, écrire sur les mouvements lents des concertos de Mozart ! Ah! ah! Vous m'en direz tant ! Que pourrais-je écrire, sinon qu’ils font partie de ma liste des merveilles et que, comme tout ce que l’on aime, je voudrais les partager avec la terre entière (et même présentement vous les faire écouter les uns après les autres) ? C’est d’ailleurs ce qui se passe, quand j’y pense. Mozart ne m’attend pas pour être partagé sur la terre entière. Voilà que je me sens déchargé d'un gros poids. Donc, ce soir je n’écoutais pas du tout Mozart. Je rédigeais une expertise sur l’ordinateur et je n'avais pas glissé dans le lecteur de CDs, comme je le fais souvent un disque de Mozart, mais un autre, que je n’écoute pas si souvent : le concerto en Sol de Ravel. On ne devrait jamais écouter de la musique en faisant autre chose. En lisant, par exemple, je ne peux presque jamais écouter de la musique. Je l’entends certes, mais c’est lui faire injure, à elle ou au livre. Je pose donc le livre ou j’arrête la musique. Tout à coup, donc, s’élève la phrase initiale, au piano, du deuxième mouvement, suivie d’une autre et d’une troisième, d’une simplicité, d’une douceur et d’une tendresse que j’avais inexplicablement oubliée. C’est une longue volute reprise, après une éternité de sérénité et une dernière logue trille d’agonie par l’orchestre entier. Je ne peux plus rien rédiger du tout. L'expertise s'enfouit sous la terre. Je suis épinglé, les bras ballants comme un papillon, le cœur serré. Ravel n’est pas Mozart, comme homme je veux dire. Il n'est pas mort jeune (ça ôte au génie, paraît-il) mais c'est peut-être pire : Il est mort tué par un neurochirurgien au cours d’une opération insensée, d’une démence présénile dite de Pick, une maladie dégénérative du cerveau qu’il a traînée plus de dix ans. Je me suis laissé dire, je ne sais plus par qui, ou bien je l’ai entendu à la radio, qu’il a passé la fin de sa vie complètement déprimé au sens psychiatrique du terme et que le concerto en Sol est comme un diamant au milieu de la boue. N’empêche, j’ai cru entendre Mozart. Je me le suis repassé en boucle et j’ai passé plusieurs quarts d’heure à comparer avec des phrases lentes de Mozart. Maurice, au cœur de sa noirceur, en pleine conscience de sa déchéance, s’en était sans aucun doute remis à Wolfgang : le fameux sourire au milieu des larmes. Le concerto en Sol de Ravel est donc une merveille. Qui ne fait pas partie de la liste.

15 septembre 2004

Automobile,

Un grand troupeau de cumuli nonchalants stagne au-dessus des champs labourés de frais, tels de grands dinosaures blancs qui paissent le bleu du ciel et le délavent à l'horizon jusqu'au blanc. Je file sur l'autoroute A10 au volant de ma petite auto, en pilote automatique, l'esprit immobile et vagabond comme les nuages. La Beauce, terne et ocre en cette fin d'été, s'ouvre en deux sans résistance et se referme derrière nous. Les clochers pointus des églises pointent au loin sur la platitude du paysage, mais c'est un poncif. Après six cent kilomètres et quelques de voyage, ma petite auto et moi faisons corps l'un avec l'autre et les pensées se font de métal. Elles se déroulent, grises comme le ruban gris de l'autoroute. Des souvenirs d'auto et de paysages qui défilent se mêlent aux images qui traversent mon regard périphérique (je reste malgré tout plutôt concentré sur la ligne de fuite de la route et l'image distincte du cul carré d'un poids lourd au loin qui s'agrandit progressivement et qu'il va falloir, tôt ou tard que je dépasse.)Je pense que j'y penserai plus tard : je dresserai la liste des autos que j'ai conduites au cours de ma vie. Me souviendrai-je de toutes ? J'intitulerai la série : "Automobile". Et puis je pense à autre chose et autre chose encore, mais je ne sais plus quoi.

12 septembre 2004

cassandra



Cassandra la funambule fait des photos formidables, isnt'she ?


11 septembre 2004

somnifère british, un peu court pour mon type d'insomnie... (via meslubies)

06 septembre 2004

26 (titre provisoire), XII



Un été certain
Sur herbes allongé
Ciel regardais bleu
Et oiseaux passer
Brise légère était
Allaient mes pensées
Vers une femme aimée
En certain passé
Rencontrée l'avais
En mois de Juillet
Etait dans un square
Réverbère posé
Discuté avions
Jusqu'au soir passé
Et puis tendrement
L'avais courtisée
Etais fasciné
De tant l'amourer
D'un amour si fort
D'un amour si grand
D'un amour si fort
Et puis si puissant
Un été certain
Sur herbe allongé
Ciel regardai bleu
Et oiseaux passer

Victor, l'auteur de ce très beau poème, n'a rien d'un poète professionnel, encore moins d'un poète amateur. Jacques et Renée auraient pu jurer que c'est même le seul poème qu'il ait jamais écrit de sa vie. Victor, on pouvait le croiser dans les couloirs de Frescobaldi. Il y est hospitalisé depuis l'ouverture, il a passé de longs moments à Pierre Marie Dupont, au 26, à Serge Leclair il n'arrivait pas à vivre dehors, il fallait toujours le ramener. D'ailleurs il n'était bien qu'à l'hôpital, sinon il buvait comme un trou, fumait du crack et toutes les saloperies qu'il pouvait trouver, devenait très méchant, il faisait terriblement peur, mais ils n'ont jamais cru vraiment qu'il pourrait tuer. C'est au 26 qu'ils l'avaient d'abord rencontré. Il avait à peine vingt ans. Une fois de plus, il avait été mis dehors de chez lui. Il vivait déjà presque dehors, a vrai dire, une sorte de sauvage. Beau comme un dieu. On pouvait le rencontrer torse nu au milieu des rues, bandeau dans les cheveux à la Voyage au Bout de l’Enfer. Mais à cette époque là, il avait encore des copains, d’école, de quartier. Ils étaient inquiets pour lui. Il squattait chez les uns chez les autres, vidait les frigos, se frittait avec les parents, se faisait foutre à la porte non sans opposer une résistance qui n’arrangeait pas sa réputation dans le secteur. Il volait (ou, plutôt, il se servait ostensiblement) à l’étalage pour se nourrir, finissait par dormir dans les caves et se bagarrait avec les gardiens de HLM. La police s’en mêlait parfois sans beaucoup d’enthousiasme. Un jour, quelques uns de ses copains comprirent que ça ne tournait pas très rond dans sa tête et l'amenèrent au 26. Il était complètement éclaté, plutôt inquiétant mais pas menaçant. Bien sûr, il commença par vider le réfrigérateur, à se goinfrer comme s’il n’avait pas mangé depuis plusieurs jours, ce qui était le cas, étonné de ne pas avoir à taper sur qui l’en aurait empêché. Puis, tandis qu'on lui faisait visiter les lieux, il parla musique, défonce et bonnes bitures. Au sous sol, près du congélateur buffet qui regorgeait de victuailles, après une longue conversation avec Renée, il accepta un séjour parmi eux, ayant jugé qu'ils étaient assez cools et qu'il était temps de se poser un peu. Au début, cela se passa plutôt bien, il accepta un minimum de règles à partir du moment où ils lui offraient le frigo et le congelo. Il taxait ses clopes et grattait un peu la guitare. Il avait des airs de Tarzan tout juste ramené à la civilisation. Parfois il prenait la balustrade de l'escalier pour une liane ou donnait des coups de patte familiers et presque affectueux. Il montrait sa force et sa souplesse de jeune lion. Il parlait peu ou par phrases très courtes, ne demandait pas, prenait. En fait, ses demandes étaient des ordres, il les formulait pour la forme, simplement prêt à se battre à mort pour sa survie. Mais il était aussi capable d'une tendresse de môme, d'attachements immédiats et d'enthousiasmes exagérés. Petit à petit, avec lui et sa famille, sa grand mère surtout, ils refirent le puzzle d'une histoire terrible. Sa mère avait été chassée de chez ses parents, il avait été conçu dans la rue, dans le caniveau. Au hasard d'une passe. c'était une fille avec le diable dans le corps, une fille de mauvaise vie, irrécupérable, qui se prostituait et ne savait rien faire d'autre que boire et coucher avec tout le monde, selon la grand mère. On lui avait arraché Victor tout petit, au moment où elle sombrait dans un état qui aurait risqué de le faire mourir de mauvais traitements à enfant. On avait réussi , on ne sait comment, à ne pas trop mêler la DDASS à tout ça, même qu'elle avait peut-être trouvé que c'était une bonne idée, la DDASS, en tout cas Victor avait été adopté par ses grands parents. Le nom de la mère était devenu imprononçable à la maison, Dès la rupture, le grand père l'avait maudite et considéré comme morte. Ce qui n'était pas vrai en réalité, puisque des légendes courent encore que Victor pourrait la rencontrer dans les bouges de Dormeil ou elle continue de survivre et de se délabrer. Selon ces mêmes légendes, Victor ne saurait absolument rien de sa mère, il devrait croire qu'elle est morte. Et il n'en parle jamais. Il respecte le secret de Polichinelle, il s'y conforme. Pour lui, sa mère, effectivement, c'est sa grand mère. Il ne porte pas le nom de son père, déclaré inconnu, mais celui de son grand père maternel. Nous apprîmes aussi pourquoi il ne pouvait plus vivre avec eux. Ses grands parents l'avaient confisqué à sa mère, prostituée peut-être toujours en exercice, et qu'il ne connaît même pas, et il était devenu le souffre douleur de son oncle (le premier fils de sa grand mère) qui l'avait pris en grippe parce qu'il lui volait sa propre mère. Ca avait été l'oncle ou lui, il n'y avait pas eu de place pour deux, ils se seraient entretués pour l'amour de la grand mère. Les scènes de violence terrorisaient le quartier. Le grand père sortait le fusil et tirait dans le tas en ratant la cible parce qu'il était trop bourré. Le plus fou des deux c'était l'oncle : tellement fou qu' il a finalement réussi à éjecter son neveu et garder sa mère pour lui tout seul. Jacques et Maurice avaient demandé à le rencontrer. Il s’était pointé un jour qui n’était pas celui du rendez-vous, énorme malabar moustachu au crane déjà très dégarni, il avait échangé trois mots froids avec un Victor déjà prêt à se battre, il leur avait collé une frousse bleue à tous et était reparti en disant que tout était bien comme ça, que nous nous occupions très bien de Victor, qu’il valait mieux « pour tout le monde » que Victor ne retourne pas à la maison. Seulement Victor ne l’entendait pas de cette manière. Souvent il faisait de petites escapades chez sa grand mère, sans grandes conséquences mais qui entretenaient très bien la tension dans la famille. La grand mère, elle, aimait bien Victor mais il était évident que son grand amour, l’amour de sa vie, était son fils et qu’il valait mieux « pour tout le monde » que le petit fils reste éloigné. Pendant ce temps là, les choses commencèrent à se dégrader, comme prévu. Certains soirs on voyait Victor revenir d’une virée et monter l’escalier du vingt six tout droit jusqu’à sa chambre. Il s’était enivré à mort : on le retrouvait sur son lit baignant dans un océan de dégueulis. Et puis, on commença à moins supporter ses façons de se servir avant tout le monde, de vider les plats, de se goinfrer devant le frigo, d’écraser ses cigarettes n’importe où, de répondre « ta gueule » à la moindre observation. Pas qu’il soit devenu plus agressif, ou moins attachant, il arrivait même à nouer de bonnes relations avec d’autres jeunes patients. Il vécu deux ou trois petites bluettes plutôt sympathiques avec de jeunes patientes. Il ne se comportait ni mieux ni plus mal qu’un autre avec ses soignants, prenait aussi volontiers son traitement que les joints qui passaient par là. Bref, il se comportait avec eux comme avec sa grand mère et ils étaient, à leur grande surprise, beaucoup moins tolérants. Après quelques semaines de ce régime, ils se mirent en quête d’une autre solution, à moyen terme comme on dit. Puisque Victor semblait tenir à la vie de famille, ils eurent la folle idée de lui en trouver une, un peu plus vraie que leur fausse vraie famille à eux et un peu moins violente que sa vraie fausse famille à lui. Une fausse famille professionnelle, une famille d’accueil. ll n’opposa aucune objection, trouva même l’idée plutôt « cool », sentant confusément qu’il valait mieux faire profil bas. Il prit donc le train un matin accompagné de Caroline pour aller partager un temps, à l’essai, la vie d’une famille de l’Ouest de la France. L’essai ne fut pas long. On leur téléphona au bout de deux ou trois semaines pour leur demander de revenir chercher Victor de toute urgence : il avait envoyé son poing dans la figure du petit garçon de la famille, âgé de neuf ans, sans prévenir. Ce ne fut qu'une fois l'acte commis, que leur erreur leur sauta aux yeux : toute famille, pour Victor était lieu de violence qui le renvoyait à la sienne. Il passa encore un moment au vingt six mais le cœur n'y était plus. Ils étaient une trop fausse famille. Il revenait de plus en plus souvent ivre, quand il ne découchait pas des semaines entières, se pointant juste pour les repas ou les frigos. Il tenta de pathétiques retours chez ses grands parents, quelques uns réussirent mais la plupart furent catastrophiques. On filait droit vers le placement d'office. son dernier passage au vingt six fut désastreux : un soir, alors qu'on ne l'avait pas vu depuis des semaines il passa en coup de vent et frappa au visage, sans raison, comme le petit garçon de Vendée, Armand qui téléphonait dans le bureau. Il s'enfuit avant que quiconque put intervenir. Il avait brûlé ses derniers vaisseaux. A quelques temps de là, le placement d'office fut prononcé lors d'une crise de violence encore plus violente que les autres. Dans la maison familiale le champ était devenu définitivement libre pour l'oncle. A l'hôpital, ou il resta de longs mois, Victor refusa obstinément de les revoir. Ils ne surent jamais vraiment pourquoi : soit parce qu'il avait trouvé là, dans l'enfermement, quelque chose qui comblait une brèche au fond de lui et redoutait qu'ils l'en privent, soit parce qu'il leur en voulait de ne pas avoir su le garder avec eux, soit les deux. Il ne sortait qu'en fuguant pour aller se saouler ou se shooter et revenait de lui même se faire mettre en chambre d'isolement comme punition jusqu'à la fugue suivante. A la fin, il ne fut même plus puni et il finit par se faire oublier, sombrant dans une apathie terrifiante dont le traitement neuroleptique n'était pas la seule cause. Un jour il s'était enfui. Du moins, il avait passé la porte sans revenir. Ils n'avaient plus entendu parler de lui pendant un an malgré les avis de recherche. Puis on leur avait renvoyé : il avait été hospitalisé en HO a Grenoble et avait refusé de donner son nom. Ils avaient mis tout ce temps pour trouver sa véritable identité. Et puis, petit à petit, comme ils ne se résolvaient pas à le laisser croupir à l’hôpital, et qu'il acceptait à nouveau de jouer à peu près le jeu, après de longues négociations, ils commencèrent à croire ou faire semblant de croire à une sortie possible. C'était déjà plusieurs années après leur première rencontre, son front commençait lui aussi à se dégarnir, mais il conservait sa crinière léonine et sa forme physique. On lui trouva un studio dans une maison du quai Bourgoing. Au début, tout se passa à peu près bien, pas plus mal en tout cas que pour d'autres "patients difficiles", mais rapidement la situation leur échappa à nouveau. Il n'avait plus aucun lien social, ses amis l'avaient abandonné depuis longtemps, le grand père était mort et l'oncle régnait sur la grand mère et la maison presque vide de Moulin-Galant. On commença à le revoir torse nu au milieu des rues, amaigri et fou, se moquant des voitures, persuadé de son invulnérabilité. Il n'était plus du tout agressif, venait les voir, acceptait leurs visites, venait se faire faire ses injections retard, mais se mettait en danger à tout moment. Il se prétendait Prince d'Egypte, lui qui n'avait jamais déliré, et se disait à la recherche de son unique amour, une princesse des temps anciens. Il s'était inventé tout un monde de cinéma de série B et de bandes dessinées. Il nous jouait, littéralement le jeu du doux dingue et on avait du mal à y croire. Il nous montrait que toute tentative pour le rendre autonome serait vouée à l'échec. Haltman se souvenait d'une visite chez lui : un lit dans le noir de volets jamais ouverts, aucun autre meuble, pas même une chaise, des habits roulés en boule et une incroyable odeur de bouc. Il acceptait très facilement de retourner à l'hôpital pour des périodes de "réajustement du traitement", trop facilement. A la fin, ils n'y croyaient plus, il manqua de se faire renverser plusieurs fois, il faisait peur aux petits enfants. Et ils comprirent, pas du tout fiers d'eux, qu’ il préférait rester à l'hôpital, quitte à reprendre ses fugues régulières. Il y resta. Il atteignit l'âge de trente cinq, trente six ans, il fut bouffi par les neuroleptiques, la calvitie remplaça ses longs cheveux blonds bouclés. Il ressemblait comme deux gouttes d'eau à son oncle abhorré. Toujours est-il qu'un beau jour, Renée fit parvenir à Haltman ce poème tapé à la machine parmi d'autres textes destinés à faire partie d'un recueil de l’atelier d'écriture. C'est de loin le plus beau texte de tout le tas. On lui fait deviner l'auteur. Il donne sa langue au chat : Victor. Incroyable. Lui qui n'était même pas capable d'aligner deux phrases, même pour parler. D'ailleurs il n'a jamais fréquenté l'atelier d'écriture, personne n'aurait même pensé à le lui suggérer. Un jour il est venu et a laissé ce poème, c'est tout, et il est reparti. Il n'est jamais revenu. Il est toujours à Frescobaldi, entre deux fugues...

Un été certain
Sur herbes allongé
Ciel regardais bleu
Et oiseaux passer
Brise légère était
Allaient mes pensées
Vers une femme aimée
En certain passé
Rencontrée l'avais
En mois de Juillet
Etait dans un square
Réverbère posé
Discuté avions
Jusqu'au soir passé
Et puis tendrement
L'avais courtisée
Etais fasciné
De tant l'amourer
D'un amour si fort
D'un amour si grand
D'un amour si fort
Et puis si puissant
Un été certain
Sur herbe allongé
Ciel regardai bleu
Et oiseaux passer




02 septembre 2004

26 (titre provisoire), XI

Dans les années soixante-dix les livres de Laing et Cooper avaient été pour la génération de Jacques et Haltman de vrais livres de chevet. le film "Family life" de Kenneth Loach qui en était directement inspiré les avait bouleversé et littéralement hanté durant des années. À cette époque, ils lisaient l'histoire de la folie de Michel Foucault (dans la collection 10/18, abrégée, à la couverture criarde, ce n'est que bien plus tard qu'ils avaient lu la version intégrale de chez Gallimard qui est restée très longtemps épuisée) et les " murs de l'asile" de Roger Gentis (dans la "petite collection Maspero" toute blanche.) Roger Gentis, avec son langage de tous les jours impressionnait Haltman. Il l'avait rencontré un peu plus tard, sans le chercher, à Moisselles où les hasards du choix de stage des étudiants hospitaliers l'avaient envoyé, quand il venait rendre visite à sa copine qui était infirmière dans le service de Jean Ayme : Ils se retrouvaient tous, "vieux" et jeunes, médecins et infirmiers,chefs et étudiants, à refaire la psychiatrie dans la bibliothèque si belle de cet hôpital de banlieue (en fait, elle n'avait rien de beau, c'était un barraquement banal, mais il se souvenait de la lumière dorée qui jouait avec les rayonnages, ils se souvenait de la ferveur de ces assemblées et se demandait la gorge nouée de nostalgie où étaient donc passées les bibliothèques feutrées des hôpitaux d'antan) Il lisait aussi "l'introduction du changement à l'hôpital psychiatrique" de Gérard Majastre, un gros bouquin sérieux, qui parlait précisément de Moisselles. C'était en 1972. Il avait 22 ans. Il lisait aussi "Mary Barnes, un voyage à travers la folie", livre à quatre mains où Mary Barnes et son thérapeute, Joe Berk, racontaient la vie quotidienne à Kingsley Hall (il se souvenait qu'ils racontaient que Kingsley Hall était un lieu vraiment à la mode et que tout un tas de célébrités venaient y passer des soirées, puisque c'était totalement ouvert, il se souvenait particulièrement de Sean Connery, James Bond lui-même) et racontaient aussi comment Mary était sortie de sa folie le jour où Ronald Laing, contemplant un mur qu'elle avait barbouillé de sa propre merde avait déclaré simplement que ça manquait de couleur, ce qui avait déclenché sa vocation pour la peinture et la fin de son "voyage". Toujours est-il que la scène suivante se passe une quinzaine d'années plus tard, au début de l'été, Mary Barnes est assise dans un jardin, à Dormeil, celui du 26. C'est elle en chair et en os. Freud lui-même ou plutôt "l'homme aux loups" qui était encore vivant à l'époque ne l'aurait pas plus impressionné, étrangement banale et anglaise. Elle a déjeuné là (il se souvient du menu, cuisiné par Danièle : roti de loitte au Haddock à la crème et à la moutarde de Meaux) Abraham Segall, était allé la chercher à Londres, probablement pour la faire dialoguer avec un protagoniste du film qu'il tournait à ce moment sur le 26. Il l'avait installée avec Francis Lapoule dans le petit jardin du centre de crise et finalement n'avait pas tourné la scène, on ne sait plus pourquoi. Haltman se souvenait de Mary Barnes et de sa robe à fleurs, de son air gentil et un peu hébété, de sa façon très "anglaise" de parler anglais et du cadeau qu'elle leur avait fait : un tableau, bien évidemment, où on ne distingue pas grand-chose, une masse de bleu outremer très sombre, avec des traînées de pinceau enfiévrées, un peu de blanc bleuté vers le haut, qui semble figurer une vague. Le titre le confirme, écrit de la main même du peintre avec la signature, au dos du carton toilé : "Rough Sea", ce qui peut se traduire par le "mauvais" jeu de mot : "mauvaise mer". C'est, il faut l'avouer une très mauvaise peinture. Les membres de l'équipe du Vingt-six qui n'avaient pas lu "Un voyage à travers la folie" douze ans plus tôt, ne pouvaient comprendre l'acharnement que certains d'entre eux, mais surtout Haltman, eurent à exposer respectueusement la croûte dans le bureau du centre de crise. Ils disaient, et avaient raison, que c'était "à dégueuler", ce qui correspondait probablement assez à l'intention du peintre. Comme on s'obstinait tous les jours pratiquement à retourner le chef d'œuvre face contre le mur mais sans jamis le faire disparaître, pour lui montrer que sa dévotion, malgré son manque absolu de sens critique, était en quelque sorte respectée, il a fini un jour par le voler, persuadé qu'il aurait fini aux ordures qui étaient sa destination logique. Il pensait ainsi préserver un souvenir inaltérable de la grande époque de l'anti-psychiatrie anglaise et mondiale. Il l'a suivi dans ses nombreux déménagements et Haltman ne s'est jamais résolu à l'accrocher à une place digne de lui sans être lui-même pris des nausées mentionnées plus haut.


01 septembre 2004

26(titre provisoire), X


Ce soir, après le dîner, Fernando leur annonce qu'il sort. Il ne sera pas long. Il va tuer monsieur S. qui se prétend son père. C'est plus compliqué. Fernando leur dit que c'est son père adoptif. Donc son "faux père", et si c'est son "faux père", c'est donc un usurpateur, puisqu'il a un vrai père, Mario. Sus à l'usurpateur. Il doit mourir. (ils apprendront plus tard qu'à chaque fois que Fernando va mal il s'en prend à la famille S., allez savoir pourquoi. Ils sont marocains et lui portugais. Est-ce à cause de leur différence qui les réunit ? Une fois il a agressé par erreur un homme qui n'était pas monsieur S. L'homme en question s'était défendu et avait cassé la gueule de Fernando. Une autre fois, il avait été tellement menaçant que toute la branche mâle de la famille, le père, deux de ses frères, un beau frère et un cousin S.(mettez-vous à leur place), était allée porter plainte au commissariat et que, faute de réponse, comme d'habitude, ils s'étaient mis à ratisser le quartier de Montconseil à la recherche du "faux fils" pour lui appliquer le traitement spécial local, genre commando avec battes de base ball et tout. Fernando n'avait du son salut qu'en se réfugiant au 26, mais çà ils ne l'avaient pas su. De toute façon, il était assez délirant pour qu'on l’accueille ce jour-là. Fernando avait donc décidé d'en finir ce soir. Monsieur S. devait payer pour toutes ses fautes. Cela serait lui ou Fernando, foi de Fernando. Il s'est habillé ou plutôt déshabillé en conséquence : il est torse nu et a ceint son front d'un bandeau de pirate. Les deniers jours, ils l'ont retrouvé à plusieurs reprises immobile au milieu de la chaussée, jambes écartées et bras croisés sur la poitrine, le regard noir fixé sur le carrefour au bout de la rue des Cavaliers Saint François. C'est un guerrier, il est brave, calme, sûr de sa force et ne craint pas la mort. L'avant-veille, les S. sont venus les voir au 26, assez menaçants à nouveau. Ils exigeaient qu'on leur "donne" Fernando qui avait repris ses menaces. Ce sont des braves gens, ils aiment bien Fernando, mais tout de même (sic), ils étaient assez énervés, pourrait-on dire. Il avait fallu parlementer. Fernando s'était éclipsé un peu avant. Haltman et Cathy avait noté dans le déchronographe qu'ils lui avaient rapporté les paroles de la famille S. Elle promet de réduire Fernando en bouillie s'il montre le bout de son nez à Montconseil. Ils n'ont qu'à veiller sur lui. Ils les tiendront pour responsables de tout ce qui arrivera. Pas commode, la famille S. Ils lui ont interdit de retourner voir les S. Ils préviendront la police. Fernando n'a pas soufflé mot et est remonté dans sa chambre. Mais ce soir c'est une autre paire de manche. Il est terriblement déterminé. Impossible de lui barrer la route. Il disparaît à pas lents dans la nuit noire. C'est une vraie nuit d'angoisse. Ils font le pari insensé de ne pas prévenir immédiatement la police, ni la famille S., plus grave encore. Mais au moment où ils pensent à le faire, deux heures après le départ de Fernando et sans nouvelles de lui, ils s'en veulent de ne pas l'avoir fait plus tôt. Pas de coup de téléphone de la famille S. cependant. Ils s'accrochent à ce mince espoir. Jean Paul, du coton plein les oreilles pour étouffer les voix malgré l'Haldol monte et descend, hagard, les escaliers. Cédric a plusieurs fois fait le tour du quartier avec la 4L sans succès : pas un chat dehors, aucune ombre furtive qui se glisse dans les jardinets. Pas de sioux sur le sentier de la guerre, pas de quartier maître à l'abordage, pas le moindre Géronimo. Fernando s'est-il pris un coup de batte de baseball ? Combien de morts ? Cathy se ronge en silence dans le bureau implorant le téléphone de lui donner une solution, mais en vain. Devant la télé, il n'y a que Philomène qui regarde juste au dessus du poste. Les autres sont montés se coucher, sauf Jean Paul qui continue de faire des apparitions furtives et fantomatiques. Philomène lève les yeux sur Cédric. Elle dit, sans autre préambule et d'une voix atone : "le docteur H. me parle." (Elle est amoureuse de son médecin généraliste, le docteur H. qui lui a conseillé de se soigner ailleurs) "A cette heure-ci ?", demande Cédric, "Il est onze heures du soir." "Oui, il me parle." Vous voulez dire maintenant ?" "Oui, maintenant, il est à la télé." "Ca m'étonnerait, il ne travaille pas à une heure aussi tardive" répond Cédric, flegmatiquement. "Il me parle même quand il ne travaille pas, il me parle dans son lit." " Le docteur H. est dans votre tête." conclut Cédric un peu brièvement car il a entendu la porte d'entrée se refermer. Il laisse Philomène au docteur H. et franchit le couloir. Il entrebâille la porte du bureau et passe juste un oeil. Il voit Cathy et Fernando assis en tailleurs, par terre, sur le tapis, aux pieds du bureau de Germaine et du canapé Odéon. Ils se font face. Fernando tourne le dos à Cédric. Ils sont en plein paow wow. Cathy lui envoie un sourire, tout en parlant à Fernando. Il referme la porte du bureau. Philomène est montée se coucher. Comme d'habitude, la télé parle toute seule. Il n'y aura pas de mort ce soir, à Montconseil.