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28 juin 2007

Vieux lieux pieux (...), 15 et fin


Le café du Val de grâce fait le coin Nord de la rue du Val de Grâce et du boulevard. Au-delà, sur l'autre berge de cette étroite artère, au bout de laquelle la façade imposante et noire du Val de Grâce (la chapelle de l'hôpital militaire) inquiétait jadis le regard (elle n'a été ravalée et restaurée, joliment d'ailleurs, qu'à la fin des années quatre-vingt dix), c'est déjà le deuxième cercle. Certes, nous ne sommes pas, pour ainsi dire, autant à l'étranger qu'"en face"(nous empruntions ce chemin pour aller à la station de métro Port-Royal, par exemple) mais c'est déjà plus loin que notre horizon quotidien (je ne me résous pas à respecter la concordance des temps). En revanche, la rue du Val de Grâce, elle-même, zone frontière, en faisait partie. Nous allions y chercher le pain et les journaux, nous l'empruntions pour nous rendre rue Pierre Nicole ou habitait notre copine Agnès et ses parents, ou pour rejoindre les nombreux commerces de la rue Saint Jacques. Le coin sud, du carrefour, comme je l'ai déjà dit plus haut est occupé par le rival de toujours, le "Gamin de Paris". C'est lui qui a "hérité" du débit de tabac. Il expose, fièrement, au niveau du premier étage, son trophée, sa prise de guerre, la fameuse carotte qu'un néon rouge illumine jour et nuit en spirale serrée du plus bel effet. La carotte est d'ailleurs entourée de deux autres enseignes de prébendes, lumineuses, elles aussi : l'enseigne du Loto, en lettres rouges et bleues sur fond blanc, et celle du métro, sous forme d'un ticket de métro géant, de couleur vert d'eau, comme il se doit (depuis combien de temps les tickets de métro ne sont-ils plus jaune bulle, au fait ?) Le "Gamin de Paris" est, lui, très bien fréquenté. Etudiants bien nourris et professeurs. Le tabac veut se donner des airs de brasserie, comme celle du Montparnasse déjà tout proche, mais il n'y parvient pas tout à fait. Il faudrait, dernier effort, larguer le "café du Val de Grâce" qui lui colle le train, et rappelle à tous, comme un encombrant parent pauvre, les modestes origines ; voguer vers des quartiers plus chics. Cet effort est cependant impossible : les café-tabacs, pas plus que les petits bateaux, ne possèdent de jambes. Le "Gamin de Paris" restera toujours amarré, flanc à flanc, à l'indignité du "café du Val de Grâce" et ne quittera jamais ce coin de rue pas assez aristo. C'est assez moral, somme toute. Le porche de l'immeuble dont dépend le "Gamin de Paris" a perdu son numéro : du moins la plaque émaillée sur lequel il était inscrit. L'enquête n'a pas permis de déterminer s'il y eut vol ou chute due aux vibrations du métro qui passe juste en dessous ou quelque autre délit plus grave encore. Toujours-est-il qu'on a cru bon de graver ( fort maladroitement) dans le plâtre sec, le nombre 139, en attendant de la remplacer, pour ne pas déconcerter les facteurs, probablement. Il y avait là un fleuriste chic, qui vendait de beaux bouquets de magazines féminins, des orchidées, des plantes grasses et exotiques, hors de prix. Il a disparu. La boutique est en travaux. l'enseigne du fleuriste subsiste encore, toute de guingois. On la retirera en temps utile, on n'est pas pressé. Il y aura là un cabinet de radiologie flambant neuf. On ne peut s'empêcher de penser au nénuphar qui pousse dans le poumon de la pauvre héroïne de l"Ecume des Jours". Le café du Val de grâce fait le coin Nord de la rue du Val de Grâce et du boulevard. Au-delà, sur l'autre berge de cette étroite artère, au bout de laquelle la façade imposante et noire du Val de Grâce (la chapelle de l'hôpital militaire) inquiétait jadis le regard (elle n'a été ravalée et restaurée, joliment d'ailleurs, qu'à la fin des années quatre-vingt dix), c'est déjà le deuxième cercle. Certes, nous ne sommes pas, pour ainsi dire, autant à l'étranger qu'"en face"(nous empruntions ce chemin pour aller à la station de métro Port-Royal, par exemple) mais c'est déjà plus loin que notre horizon quotidien (je ne me résous pas à respecter la concordance des temps). En revanche, la rue du Val de Grâce, elle-même, zone frontière, en faisait partie. Nous allions y chercher le pain et les journaux, nous l'empruntions pour nous rendre rue Pierre Nicole ou habitait notre copine Agnès et ses parents, ou pour rejoindre les nombreux commerces de la rue Saint Jacques. Le coin sud, du carrefour, comme je l'ai déjà dit plus haut est occupé par le rival de toujours, le "Gamin de Paris". C'est lui qui a "hérité" du débit de tabac. Il expose, fièrement, au niveau du premier étage, son trophée, sa prise de guerre, la fameuse carotte qu'un néon rouge illumine jour et nuit en spirale serrée du plus bel effet. La carotte est d'ailleurs entourée de deux autres enseignes de prébendes, lumineuses, elles aussi : l'enseigne du Loto, en lettres rouges et bleues sur fond blanc, et celle du métro, sous forme d'un ticket de métro géant, de couleur vert d'eau, comme il se doit (depuis combien de temps les tickets de métro ne sont-ils plus jaune bulle, au fait ?) Le "Gamin de Paris" est, lui, très bien fréquenté. Etudiants bien nourris et professeurs. Le tabac veut se donner des airs de brasserie, comme celle du Montparnasse déjà tout proche, mais il n'y parvient pas tout à fait. Il faudrait, dernier effort, larguer le "café du Val de Grâce" qui lui colle le train, et rappelle à tous, comme un encombrant parent pauvre, les modestes origines ; voguer vers des quartiers plus chics. Cet effort est cependant impossible : les café-tabacs, pas plus que les petits bateaux, ne possèdent de jambes. Le "Gamin de Paris" restera toujours amarré, flanc à flanc, à l'indignité du "café du Val de Grâce" et ne quittera jamais ce coin de rue pas assez aristo. C'est assez moral, somme toute. Le porche de l'immeuble dont dépend le "Gamin de Paris" a perdu son numéro : du moins la plaque émaillée sur lequel il était inscrit. L'enquête n'a pas permis de déterminer s'il y eut vol ou chute due aux vibrations du métro qui passe juste en dessous ou quelque autre délit plus grave encore. Toujours-est-il qu'on a cru bon de graver ( fort maladroitement) dans le plâtre sec, le nombre 139, en attendant de la remplacer, pour ne pas déconcerter les facteurs, probablement. Il y avait là un fleuriste chic, qui vendait de beaux bouquets de magazines féminins, des orchidées, des plantes grasses et exotiques, hors de prix. Il a disparu. La boutique est en travaux. l'enseigne du fleuriste subsiste encore, toute de guingois. On la retirera en temps utile, on n'est pas pressé. Il y aura là un cabinet de radiologie flambant neuf. On ne peut s'empêcher de penser au nénuphar qui pousse dans le poumon de Chloé, la pauvre héroïne de l"Ecume des Jours" de Boris Vian. Le 139 abrite encore deux boutiques : l'une, d'antiquités chinoises, à la devanture peinte en rouge écrevisse (les antiquités chinoises marchent très bien, en ce moment), CHEN HUI, qui a ouvert récemment (impossible de me souvenir quelle boutique elle a remplacé), l'autres est une galerie d'art, "Regard Croisés". Elle expose des sculptures modernes en haut de colonnes blanches et des tableaux accrochés à la pierre des murs bruts. Les trois immeubles qui suivent terminent superbement le boulevard : Le 141, le 142 et le 143 rétablissent dignement l'alignement haussmannien avec balcons en fer forgé, sculptures dans la pierre de taille, etc. qui n'aurait pas du être interrompu si longtemps. C'est une sorte de cadeau d'adieu. Les trois immeubles sont signés par Pierre Bourseau, entrepreneur en 1912. Au 141, il y a une porte de service : c'est la première et la dernière que nous rencontrons dans notre promenade. Entre les porches du 142 et du 143 voisinent une galerie de mauvaises peintures de Paris qui se nomme bizarrement "FIDIM" et "ROYAL FOOD", tout petit vendeur de sandwichs grecs. Art et gastronomie…Le café Saint Michel se situe en bout de ligne, il n'offre aucune particularité. L'immeuble du 147 n'a pas été construit par Pierre Bourseau, il tente de prolonger l'alignement, mais sans véritable succès. On ne lui en voudra d'ailleurs pas car il ne fait pratiquement plus partie du boulevard qui s'est déjà considérablement évasé. Suivent une téléphonerie Bouygues Telecom bientôt en faillite et un magasin très laid de déménagement garde meubles. C'est la fin de l'alignement On tombe alors sur le 29 place Georges Bernanos et l'immeuble Bullier dont les descriptions n'ont pas leur place ici mais je ne leur en veux pas vraiment. Saint Michel s'est évanoui pour de bon.

25 juin 2007

Je me souviens qu' "Echolaliste" est dans la liste de mes liens depuis pratiquement le début. Je viens d'y trouver cette remarquable "listedeplaisirsdelire". Je rappelle qu'Echolaliste est un "wiki" et qu'il existait, j'en suis sûr, avant la trop célèbre "Wikipédia". Je rappelle ce qu'est un "wiki" : c'est un fichier entièrement modifiable à tout moment. Vous pouvez donc ajouter vos plaisirs de lire persos à la liste, mais vous pouvez aussi vous plonger interminablement jusqu'au bout de la nuit dans les presque trois milles listes disponibles et y ajouter tous les items que vous voulez, mais à l'instar de wikipédia vous ne pouvez pas rajouter n'importer quoi car les listes sont "modérées à la main", pour ainsi dire, par le listomane en chef, Georges Brougniard accompagné de son célèbre chinchard qui veille au grain et n'hésite jamais à ajouter son grain de sel. C'est d'ailleurs un soir dans l'une de ces listes que j'ai trouvé cette magnifique version de la première page de la "Recherche du temps perdu" traduite en japonais. Longue vie à Echolalie.

22 juin 2007

Petits théorèmes et entrechats, 2


Plus encore que l'Opéra, lequel manque sacrément de mouvement, la danse est pour moi l'art total. Cela a commencé par Béjart dans la cour d'honneur du Palais des Papes (Paolo Bortolluzi, Georges Done, Nomos Alpha, Les quatres fils Aymond) en 1967 puis continué par Alvin Nicholaïs, Alvin Aley, Merce Cunhigham, Maggie Marin, Pina Bauch, dans le désordre. Pour ceux qui ne connaissent pas, s'ils aiment Decouflé, imaginez la même chose, en mille fois mieux. Il y a eu une grande période pour la danse des années soixante dix à la fin des années quatre vingt. Pourtant à cette époque, Dieu sait si tout ce qui venait des USA était mauvais par principe. Sauf Gene Kelly, Cyd Charris, Fred Aster et Ginger Rogers, Stanley Donnen et Vincente Minelli. Un pays capable de produire de telles merveilles ne pouvait être totalement mauvais. Nous sommes tous d'accord pour dire que "Chantons sous la pluie" (allez, on se le refait, encore une fois) est le chef d'oeuvre absolu du cinema mondial largement devant le "Cuirassé Potemkine" des cinéclubs et de la propagande du Partide de notre adolescence mais nous ne voulons pas toujours l'avouer. Nous dirons même que "Brigadoon" est peut être même un peu au dessus. Il n'y a pas plus de différence entre la comédie musicale et la Modern Danse qu'entre Art Tatum et Martha Arguerish au piano. La forme populaire, là aussi, devance en perfection la forme savante.

19 juin 2007




Un blog vraiment magnifique ici. Et là, un autre, superbe !

18 juin 2007

Un Haïku par bain, 50


Un vaisseau fantôme
dérive un soir de solstice :
Ma baignoire et moi.




Sympathique utilisation du morphing. Tendrait à prouver l'éternel féminin (on peut se passer de la bande son...), via Geisha Asobi

17 juin 2007

Vieux lieux pieux (...), 14


Après le porche vert bouteille du 137, où l'habituelle plaque de cuivre nous apprend que le docteur Alain Lever pratique la médecine générale et la mésothérapie (Nous n'avons pas encore compté le nombre de médecins rencontrés dans cette promenade, mais nous pouvons, cependant, dire déjà qu'ils sont plus nombreux que les avocats), on atteint le café du Val de Grâce. Le café du Val de Grâce est un ancien tabac. Il s'appelait d'ailleurs le "Tabac du Val de Grâce", il y a des siècles, quand j'allais y acheter mes Gauloises sans filtre, et, il y a d'autres siècles encore, Mongrandpère son tabac à rouler. C'était aussi là que se situait le Flipper le plus proche de la maison. Nécessairement, il faut commencer une digression sur le flipper. Commençons-la, donc. J'ai été un accro du flipper (mais on n'employait pas ce mot dans les années soixante-dix et quatre vingt, le vocabulaire toxico n'ayant pas encore contaminé le niveau de langue quotidien (on disait "intoxiqué", ce qui avait plus à voir avec le poison, et donc avec l'alcool)), j'ai glissé dans la fente de la foutue machine des milliers de pièces de un franc, puis de pièces de deux francs (trois parties, deux francs, puis, encore plus tard, trois parties cinq francs, mais à ce moment-là je jouais moins). Je suppose, je suppose seulement, puisque cela doit faire au moins quinze ans que je n'ai pas touché un flipper, qu'à l'heure actuelle, on doit en être rendu à deux euros les trois parties ; je vérifierai, mais il y a beaucoup moins de flippers dans les cafés. J'ai connu, bien sûr le flipper quand on l'appelait encore le "billard électrique", c'est à dire dans les années soixante. Je me souviens, il y avait un café sur le trajet de l'école communale, au coin de la rue Saint Jacques et de la rue Gay-Lussac. Nous n'y jouions pas, bien sûr. Mais nous perdions volontiers dix minutes, au risque de se faire enguirlander par notre mère qui ne supportait pas le moindre retard, à contempler, à travers la vitrine, de grands ados aux moustaches clairsemées qui se prenaient pour de vrais hommes malmener un flipper. Nous étions souvent trois ou quatre gosses, agglutinés contre la paroi de verre, à suivre les lignes brisées de la bille de métal affolée, à nous griser des "ding" des chiffres du score qui défilaient à toute allure et du "tac-tac tac"des "bumpers" martyrisés. Notre regard allait de la course de la bille au visage du joueur, qui nous semblait l'image même de la concentration, de la virilité et de la sévérité. Le joueur de flipper était une sorte de demi-dieu. Il défiait, à la fois, la mécanique, le hasard et la mort (tout est fait, au flipper, pour ne pas nous laisser d'espoir. On ne fait que lutter contre la fin, pour faire durer, rien qu'un peu : la bille finit inexorablement par tomber dans ce gouffre en entonnoir où la machine s'unit à vous, entre vos bras, au niveau de votre ventre. C'est un combat héroïque, bien que dérisoire. Au flipper, on ne gagne que des "parties gratuites" qui ne sont rien d'autre que le droit de perdre à nouveau. Elles claquent comme une gifle, un drapeau qui se déchire ou les plombs qui sautent. L'autre grand "Clac" est celui du "Tilt". C'est la punition sans sursis, la guillotine. Plus rien alors ne peut s'opposer à l'engloutissement, et, la bille, privée de toute résistance intrinsèque, se laisse enfin aller à son triste sort. En général, le joueur ne veut pas voir ça. Avant la disparition finale, il retourne, ostensiblement, à sa bière ou à son café, sur le comptoir. Il méprise la mort, c'est un homme, un vrai). Le "Tilt", que nous attendions secrètement, nous prenait toujours par surprise et nous transperçait d'une onde de plaisir à peine équivoque. J'ai commencé à jouer au flipper en me mettant à fumer, vers seize ans. Premiers gestes d'adulte : entrer au Tabac du Val de Grâce, acheter ses clopes, en profiter pour faire une partie ou deux, puis, rapidement, cinq, dix ou quinze, en comptant les "gratuites". Il y a déjà un ou deux joueurs, plus âgés, ça grise, "it's more fun to compete". On saisit la machine chacun son tour. Pas un mot ne sera échangé : ce n'est pas la compétition qui importe, ni la communication, c'est le pouvoir de pénétrer dans un espace jusque là interdit, celui des mâles adultes, et de mimer les gestes. C'est précisément ce qui en fait une drogue aussi dure que le tabac, qui est mime, lui aussi. Quoiqu'il en soit, le "Tabac du Val de Grâce" a été remplacé par le "Café du Val de Grâce". Entre temps les anciens propriétaires, auvergnats renfrognés, avaient "vendu", comme disaient mes commerçants de parents, mais j'avais déjà quitté le quartier depuis longtemps, à un couple de petits jeunes pleins de projets et de petites entreprises. Un beau matin, seule la rumeur sait pourquoi (mais laissons la rumeur au commères), on a déboulonné la fière "carotte" qui surplombait les vitrines : la "licence" avait été retirée. On peut encore voir les vestiges du glorieux passé, au niveau du premier étage, au dessus de la devanture, sous forme de trous pas rebouchés, cicatrices indélébiles, témoins du descellement fatidique. Il est vrai que la petite entreprise n'a jamais décollé. La fréquentation des lieux, amputés de ce qui en faisait la raison principale, a chuté, selon le principe des vases communicants, au profit de celle du "Gamin de Paris", le café d'en face la rue du Val de grâce, tout heureux de la manne, dont on parlera à un prochain paragraphe, qui végétait jusque-là, souffrant de sa trop grande proximité avec le Tabac, justement. Les petits jeunes ne s'en sont jamais remis. Ils ont tenté de surnager, d'une année sur l'autre, le café ne se faisant plus de nouveaux habitués (ce sont les habitués qui font vivre les cafés de quartiers, à l'inverse des grands cafés des boulevards parisiens qui vivent du "passage"), ils se sont un peu laissés aller avec les derniers piliers de comptoir fidèles qui leur restaient, et ils ont vieilli aussi, comme leurs derniers piliers de comptoir fidèles, le visage hagard et les yeux vitreux, malgré le sourire commercial, les cernes autour des yeux et la couperose précoce aux joues. A la fermeture du "marchand de journaux" (on ne disait pas "Point Presse", à l'époque) de la rue du Val de grâce, ils ont passé un accord avec les NMPP, pour servir de dépôt local. L'idée n'était pas mauvaise (j'ai bien connu un garage qui s'était appelé "la Belle Idée"), ça arrangeait les gens du quartier qui n'aimaient pas faire plus de cent mètres pour se procurer leur "Figaro" quotidien. Mais le cœur n'y était plus, ils ont arrangé le café n'importe comment pour faire de la place aux rayons de revues et aux présentoirs de presse. Ils en ont fait un lieu hybride, plutôt monstrueux, aux revues de motos à la place de bouteilles de Ricard et aux bouteilles de Ricard à la place des cigarettes. Pour couronner le tout, croyant surfer sur la vague Internet, mais au mauvais moment (c'est à dire à celui où tout le monde s'est mis à posséder un ordinateur chez soi), ils ont transformé un bout de leur salle en une caricature d'Internet café tout ce qu'il y a de plus ringard, avec un seul ordinateur d'un modèle largement obsolète, et à la chaise de café ripolinée de blanc devant toujours vide. En tout cas, je n'ai jamais vu la moindre touriste allemande, scandinave ou américaine aux cuisses fuselées s'y installer. À force de noyer leurs échecs incompréhensibles dans les verres de leurs derniers piliers de comptoir fidèles, les petits jeunes sont devenus des petits vieux avant l'âge, au sourire toujours commercial mais terrifiant comme celui des morts qui s'extirpent de leurs cercueils.

12 juin 2007

J'ai écouté cet après midi tout à fait par hasard (j'étais exceptionnellement en voiture à cette heure et je suis resté scotché à mon siège bien après être arrivé à destination) - cette émission inouïe - c'est véritablement le mot - sur France Cul, "du Grain à Moudre", avec Jacques Vergès dans le rôle du méchant : "Peut-on défendre l'indéfendable ?" A écouter de toute urgence, même vous n' avez pas 56 minutes ! Du suspense, de l'action, des débats, des disputes, des empoignades, de la mauvaise foi, beaucoup d'intelligence et un "goûter avec le diable". De la vraie radio ! (on peut l'écouter pendant un mois)

11 juin 2007

Vieux lieux pieux (...), 13


La façade du 131 ressemble, par son absence de détails notables, à celle du 129. Le porche ouvert montre une vilaine cour. Au fond de la cour, comme l'indique une plaque assez discrète à gauche du porche en entrant, des bureaux annexes de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales sont logés dans un rez de chaussée dépourvu de tout charme. Une autre plaque, bien mystérieuse et tout aussi discrète, annonce un énigmatique "CID", centre inter-institutionnel pour la diffusion" (de quoi ?) qui doit se situer dans les étages. Suit immédiatement une boutique "Manpower". C'est ce que nous disent de larges lettres bleues qui courent au-dessus de la boutique et répondent à leurs petites sœurs, blanches, inscrites sur une bannière de grosse toile du même bleu disposée encore au-dessus. C'est L'agence spécialisée dans la pharmacie et la chimie. Il y a deux vitrines séparées par la porte d'entrée, vitrée, elle aussi. On ne repère pas immédiatement le célèbre emblème de l'agence (cet homme debout aux bras et aux jambes écartés, touchant les quatre coins d'un carré parfait, lui-même inscrit dans un cercle, dessiné par Léonard de Vinci) : Il n'apparaît qu'en tout petit sur les petites et classiques affichettes qui tapissent la première vitrine. " Nous recherchons des professionnels chauffage, froid, climatisation, plomberie". "Recherchons infirmières". "Formation de gardiens d'immeubles" (sic). "Animalier de labo. BTS biologie (biochimie. Expérience en microbiologie)". La deuxième vitrine montre des fioles, ou des "vases", qui, malgré leur nombre, ne suffisent pas à contenir un flot de fausses gélules toutes de la même couleur (bleues, évidemment) et du même format qui se répandent finalement en nappes sur le sol, comme émises par une corne d'abondance invisible, double métaphore des joies du travail intérimaire et de la spécialité concernée (au moment où je frappe ces lignes, je me souviens, adolescent, avoir longuement et rêveusement contemplé cette vitrine, tentant de compter le nombre immuable des gélules et me disant en même temps que je n'y arriverai jamais (Je suis certain, aujourd'hui, que les gélules, quoique un peu plus poussiéreuses, les fioles et les "vases", sont encore exactement les mêmes, qu'ils n'ont pas été déplacés d'un centimètre depuis toutes ces années, et que leur nombre n'a pas bougé d'une unité)). Le 133 est un immeuble plus étroit, sans boutique, Il possède une belle porte en bois et fer forgé. A gauche de la porte deux plaques disposées l'une au-dessus de l'autre : "Docteur Sylvia Payen, gynécologue. Sur rendez-vous." "Docteur Christelle Bougard Barge angiophlébologue. Docteur Bruno Payen Doppler. Echographie vasculaire. microcirculation. Varices. Phlébites. Artérites." Le 135 est lui un superbe immeuble 1930 dont la façade rattrape un peu la médiocrité des numéros précédents. Sur ses sept étages, elle est entièrement recouverte d'une mosaïque de tout petits carreaux de faïence grise qui recouvrent aussi les colonnettes des balcons droits ou en forme de croissant. Chacun de ces balcons est souligné d'un motif de petits carreaux dorés. La porte, toute de verre et de fer forgé, très élégante, une vraie oeuvre d'art, est rehaussée, elle aussi, d'un double filet des mêmes petits carreaux dorés. L'immeuble, signé au coin droit de la façade par "H.M. Delaage, ARCte DPLG", abrite deux boutiques de part et d'autre de l'entrée. L'une, à gauche ne porte aucune enseigne, aucun signe de reconnaissance extérieure. Les deux vitrines sont aveuglées par des rideaux sales mais bien tirés, laissant à grand peine distinguer des piles de dossiers. C'est une officine obscure et quelconque, peu soucieuse de publicité, qu'on ignore en passant. L'autre est la "Maison de la bible", qui, depuis longtemps a pris, je crois, la place d'une jolie librairie vouée, dès le départ, à disparaître, gérée par des petits jeunes, qui ont même tenté l'aventure de l'édition et vendu des livres d'occasion pour tenir. C'est, comme son nom l'indique, une librairie religieuse, du type de celles qui prospèrent dans le quartier de Saint Sulpice, pas particulièrement spécialisée dans la bible. L'enseigne en est un livre ouvert sur les pages duquel repose un globe terrestre (si on regarde mal, ou distraitement, on croit apercevoir une tête de pieuvre (le globe) et ses tentacules (les tranches bombées des pages du livre ouvert)). Un bac de géranium, qu'on sort dès le printemps, en agrémente peu originalement l'entrée. A l'intérieur de la vitrine, une affiche, plutôt incongrue, risque de rendre le passant hésitant quant à la véritable destination de la boutique : C'est une plage tropicale avec les cocotiers, le sable immaculé et la mer toute bleue. Mais la légende ne propose qu'un voyage spirituel : "Heureux qui met sa confiance dans le seigneur". On se rassure. Le 137 ne vaut malheureusement pas le 135. C'est à nouveau un immeuble banal, au crépi gris fatigué et douteux, sans grâce, malgré les persiennes conservées aux fenêtres et les balcon en fer forgé du cinquième et du sixième étage. Deux boutiques se serrent et se suivent avant qu'on atteigne un porche sans intérêt particulier. La première a remplacé l'OTU, Office du Tourisme Universitaire, des tarifs préférentiels duquel je n'ai jamais pu bénéficier, n'étant pas étudiant à l'époque de sa splendeur et des premières années des vols charters réservés aux universitaires (Cuba, Katmandou, la Crête, le Portugal d'après la révolution des oeillets). Quand je suis ensuite devenu moi-même étudiant, les vols charters s'étaient suffisamment "démocratisés" et généralisés : j'ai pu alors réserver les rares places d'avion dont j'avais besoin dans des agences de voyages plus professionnelles. La boutique et son activité d'agence de voyage spécialisée n'ont d'ailleurs pas survécu à la banalisation de l'avion comme moyen de transport. Il a fallu que la MNEF, qui avait partie liée à l'UNEF à ses débuts, puis s'était autonomisée au décours des luttes intestines entre les syndicats étudiants, la reprenne. C'était, au demeurant, une excellente mutuelle qui n'avait qu'une rivale, non politisée (donc de droite, à l'époque, mais tout a bien changé), la SMEREP, qui se tenait plus haut sur le boulevard, sur le côté opposé dont il n'est pas question et ne sera jamais question, n'y comptez pas, dans ces pages. Mais la MNEF a connu les ennuis que l'on sait. Il a fallu encore une fois transformer la boutique. Elle est restée le siège de la mutuelle, mais, à cause du scandale, c'est la mutuelle qui a changé de nom : elle s'appelle maintenant la LMDE et se prétend, sur une large affiche qui barre toute la boutique en diagonale, "la première mutuelle étudiante". L'ancienne enseigne n'a même pas été déposée. Elle est seulement soustraite aux regards par un calicot blanc noué à la va vite qui cache mal le sigle devenu honteux. Des affiches, placardées sur toutes les vitrines, vantant les mérites indépassables de la LMDE, masquent, elles aussi, l'intérieur de la boutique. A gauche de la porte d'entrée une grosse boite aux lettres porte de grandes lettres jaunes : "Dépôt des dossiers". La boutique qui suit immédiatement n'a, selon mes plus anciens souvenirs, jamais subi aucun changement. C'est une librairie de livres de droit d'occasion qui a toujours, qu'il pleuve ou qu'il vente, exposé dans des bacs posés sur des tréteaux de chaque côté de la porte d'entrée. J'ai fouillé, il y a très longtemps, parmi les codes Dalloz périmés et les manuels écornés de droit fiscal, comme on se promène dans un paysage indifférent, juste pour la marche.

08 juin 2007

J'ai installé la nouvelle petite merveille du web, "hyperwords", sur mon navigateur comme me l'a soufflé "transnet" et je me suis immédiatement mis à faire joujou. On surligne un bout de texte, un mot, une phrase, un paragraphe et hop ! on fait ce qu'on veut avec en un tour de souris. On peut l'emailer en moins de temps qu'il faut pour le dire, le chercher sur Google ou Wikipedia en trois coups de cuillère à pot, le faire apparaitre sur une carte comme par enchantement (essayer avec le "129 boulevard Saint michel" du dernier "Vieux Lieux Pieux" (nobody's perfect)) et un tas de choses tout aussi magique et vertigineux. Mais les fantômes du temple veillent à peine masqués, prêts à tout intercepter. Tout se paye. A part ça, il y a un petit outil de traduction automatique et immédiate en quinze langues qui ravira vos polyglotismes les plus secrets. J'adore les robots traducteurs. Ils font des progrès tous les jours, mais ils restent délicieusement idiots. On ne rendra jamais assez grâce aux robots traducteurs automatiques idiots qui n'imaginent jamais eux même leur incroyable potentiel poétique. J'ai immédiatement soumis le haïku de bain N° 49 (voir un peu plus bas) à l'épreuve. Voici ce que cela donne, d'abord en espagnol :

Hundir en el aqua caliente
No dissuelve la préoccupacion
que se me clava al corpo

On dirait du Gongora, non ? En allemand cela donne ceci :

Ins heisse Wasser tauchen
löst nicht die Sorge auf
die meir auf den Körper klebt

du Goethe, rien moins. Et en italien, en portugais, en hollandais, en anglais :

Immergere nell'acqua calda
Non scioglie la préccupazione
Che me attacha al corpo

Mergulhar na aqua quente
não dissolve a preoccupação
Que cola-me ao corpo

In het warme water duiken
outbindt de zorg niet
die me aan het lichaaen plakt

dive in hot water
not dissolve the concern
that sticks me to the body

qui immédiatement retraduit en français donne l'énigmatique :

Plonger dans l'eau chaude
Pas dissout l'inquiétude
Qui m'enfonce au corps

Nous faisant préssentir que la poésie n'est pas un "corps" commutatif pour la traduction automatique (entrez "corps" dans "hyperwords" si vous êtes nuls en math) quoique, retraduit de l'espagnol cela donne le bien meilleur :

Descendre dans l'eau chaude
Ne dissout pas la préoccupation
Qu'on me cloue au corps

Qui retraduit en espagnol puis retraduit en français finit par donner :

Diminué dans l'eau chaude
Il ne dissout pas la préoccupation
Moi qui cloue au corps

Etc.etc., à l'infini, jusqu'à la jargonophasie terminale :

Rétréci en l'eau qui il chaleur
Pas il préoccupation il dissout
A le corps non cloué

Amen.

04 juin 2007

Enfin sur Ciscoblog : intégrale des haïkus de bain, dernière mise à jour. Voir en LCD

03 juin 2007

Vieux lieux pieux (...) , 12

Le 129 boulevard Saint Michel, qui fait suite au 127, est, lui aussi, un immeuble de rapport banal. C'est là, au premier étage qu'habitait notre copine Chantal, dont la maman tenait la boutique du rez de chaussée. Cette boutique est maintenant une boutique de Pizzas à emporter. Une "Pizza Hut". Il n'y a pas de table, on n'y mange pas. On peut acheter les pizzas à un comptoir et les emporter chez soi. Mais surtout, c'est la base d'où partent, sur leur mob Peugeot toute rouge, les livreurs pressés d'imiter le héros du film "Taxi" et de livrer en onze minutes chrono la boite de carton contenant la Pizza commandée par téléphone dans les trois kilomètres à la ronde. La boutique est toute rouge, pas très propre, comme les mobs fatiguées qui traînent, par deux ou trois, sur le trottoir. Une enseigne portant un téléphone stylisé (un Logo) annonce la boutique de loin le soir. Des affiches jaunes et vertes barrent les vitrines, en biais. "Même le week End ! 1 pizza achetée = 1 pizza offerte". Dans le temps, (j'aime assez cette expression; je suis d'accord avec le commentaire d'Alain Rey : "ellipse de dans le temps passé (1770, d'Alembert). L'ellipse de passé engendre une autre image, celle de l'enfoncement dans la dimension temporelle"), dans le temps, donc, La boutique avait été une boutique de "cadeaux", qui s'appelait "Home Confort" (je me souviens des brain stormings, vers la fin des années soixante, qui avaient agité la famille et le voisinage au moment où, Yvonne, la maman de Chantal, ayant pris la décision de faire de sa boutique de "marchand de couleurs" une boutique moderne, il avait fallu donner un nom au nouveau magasin). C'était le temps où les "Gadgets" devenaient à la mode, et où, surtout, on les tenait encore dans un certain respect, qu'il ne faut pas oublier, dans leur inutilité même, leur luxe véritable, comme témoins d'une société de consommation ludique qui prenait son essor. La décadence des "Gadgets" date seulement des années soixante-dix, après la critique soixante-huitarde, et ce n'est que dans les années quatre-vingts, que les "Gadgeteries" cessèrent définitivement d'être considérées comme des boutiques de luxe. En tout cas, dans ses débuts, "Home Confort" n'était pas la gadgeterie qu'elle est devenue en partie plus tard, mais un "magasin de cadeaux", ce qui est bien plus honorable. D'ailleurs l'histoire de cette boutique, "marchand de couleurs" (droguerie) devenue "magasin de cadeaux" résume à elle seule assez bien l'évolution sociologique du quartier en quarante ans, y compris sa triste fin de Pizza Hut à emporter. "Home Confort" était le point de ralliement des commères du quartier dont la mienne, je veux dire, de mère ( le mot "commère" n'est que le féminin exact du mot "compère" qui n'a pourtant pas la même connotation péjorative puisque le mot "compèrage" n'existe pas.) Des souvenirs de la boutique de marchand de couleurs, je n'en ai plus (j'en avais, j'en suis certain, il y a quelques années; j'ai un souvenir de souvenirs, mais ils se sont effacés) même si, en me concentrant, j'arrive à faire naître une image le visage d'Yvonne jeune et souriante sous des ballais-brosse suspendus au plafond par le bout du manche. Cela n'est pas un vrai souvenir. C'est une image reconstruite à partir des deux boutiques de marchand de couleurs que je connais et qui subsistent à Paris probablement par nostalgie et souci louable de conserver un peu de "couleur" locale. L'une est située rue des Ecoles, dans un quartier branché, j'y suis passé pas plus tard que l'année dernière avec ma copine, l'autre est plus incertaine, mais son image constitue, elle, dans ma mémoire, un véritable souvenir; elle est située rue Raymond Losserand, dans le quatorzième, où j'ai habité huit ans. La boutique "Home Confort" faisait quasiment fonction de service public dans le quartier. On pouvait, par exemple, y récupérer des clés, laissées en partant par un membre de la famille; on pouvait y déposer, comme à la consigne, des objets encombrants et continuer de faire ses courses, et même des messages "oraux", comme on précise maintenant, à transmettre si on voyait, par hasard passer le destinataire; on pouvait s'y faire livrer, si c'était à des horaires indus, bref tout un tas de petites choses que la modernité a remplacé ou supprimé sans même sans rendre compte, en même temps que la vie de quartier et les relations de voisinage. Après le porche, en continuant notre remontée, il y a maintenant un concessionnaire de motos Honda : "Boulmich Moto" (sans apostrophe, s'il vous plaît). C'est une vaste boutique, presque une halle, rouge et bleue, qui expose, serrées les une contre les autres, un nombre impressionnant de motos et de scooters de tous types, en laissant déborder sur le trottoir tout un choix de neufs ou d'occasion. Des vendeurs en tenue décontractée de rigueur (à l'inverse, exactement, des concessionnaires autos) discutent avec d'éventuels acheteurs qui ont l'air d'être leurs copains. Les lieux, de tout temps, ont été habilités à contenir de gros objets. Le concessionnaire a été précédé, jusqu'à la fin des années soixante-dix, par un marchand de lits : la literie "Gerbault". Elle aussi, à la bonne saison, exposait la marchandise à des prix imbattables sur le trottoir. Je dis : "elle", parce que le magasin se condense pour moi en l'image unique de sa propriétaire, une grosse femme sanguine aux cheveux blancs pas coiffés, que je revois, debout au milieu de ses sommiers, les poings sur les hanches.
Un Haïku par bain, 49


Plonger dans l'eau chaude
Ne dissout pas le souci
Qui me colle au corps