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31 mars 2003

Pens�e de la nuit N� 16 : "Dans ce grand pays am�ricain, en 1812 d�j�, les anglais avaient incendi� Washington, et, deux ans plus tard, br�l� raz le capitole et la maison blanche. Ses militaires, si fiers de proclamer le "zero mort" des bombardiers engag�s dans leur croisade, s'�taient-ils rappel� qu'ils ne faisaient que r�p�ter le "O Kay" de la guerre de s�cession, lorsque, au rapport, on mentionnait, laconique, le "zero killed", le "O.K.", l'absence de perte humaine dans le combat du jour ? Que vaut une vie qui ne vaut m�me pas d'�tre sacrifi�e ?" Jean Clair, Court Trait� des Sensations
Bonne nuit, folks. Ceci n'est pas un poisson d'avril mais un petit site tr�s dr�le qui vaut bien un coup de clic de temps en temps. M�rite la LCD imm�diatement.

28 mars 2003

Pens�e de la nuit N� 15 : "Non ce n'est pas de me d�tacher d'une image de moi" qui m'est "demand�". C'est de passer de moi, image de moi, peut-�tre, mais tellement plus - de moi en cet instant, en train de vous �crire, assise l�, regardant le soleil d'automne sur les peupliers devant ma fen�tre quand je l�ve la t�te, pensant d�j� � la phrase suivante, et, marginalement � ce que vient d'�tre la journ�e, moi sans cesse en projets et en souvenirs, passer de moi au noir absolu. Il s'agit bien d'une image ! Il s'agit de cet "�troit passage" et rien d'autre, �tre morte, soit, je veux bien, mais mourir..." Colette Audry, Rien au del�
Je me souviens de l'hippopotame du zoo de Vincennes. Je ne sais pas si c'est un "vrai" "je me souviens". Je me souviens de l'hippopotame du zoo de Vincennes de quand j'�tais petit, mais je me souviens aussi de l'hippopotame du zoo de Vincennes de quand mes enfants �taient petits. Donc, quand je me souviens de l'hippopotame du zoo de Vincennes, je me souviens aussi, peut-�tre, de l'hippopotame du zoo de Vincennes de quand mes parents �taient petits ou de celui de quand vous, vous �tiez petits ou vos enfants, ou vos parents, ou quand vos parents �taient petits (je crois que le zoo de Vincennes date de l'exposition coloniale de 1936). C'est un hippopotame centenaire, au moins. Vous souvenez vous, vous de cette eau croupie, puante, vert glauque, de ces remous, comme dans un chaudron de sorci�re, et soudain de cette gueule rose ouverte , b�ante, obsc�ne, aux quatre dents jaunes, �normes et g�t�es ? On pouvait y laisser tomber, du haut d'un petit promontoire, des bouts de pain �normes, de demi-baguettes enti�res, au moins, des pommes pourries, des poign�es de cacahu�tes. Au fond de ce rose, le gosier, comme un �go�t, comme un siphon, qui engloutissait tout. Je me souviens aussi de l'�l�phant qui disait toujours merci et petits enfants qui lui ordonnaient, imp�ratifs, de remercier :"Dis merci !" et il disait merci, mais il disait merci m�me quand on ne lui avait rien donn�, car il ne savait demander qu'en disant merci : il levait sa trompe en l'air, reculait d'un pas et �cartait grand ses oreilles. Il recommen�ait jusqu'� ce qu'on lui jette une friandise. On lui lan�ait des cailloux, aussi, ou des boules de papiers, des peaux de bananes. Il v�rifiait tout, consciencieusement du bout de sa trompe, il triait, mais ne se plaignait jamais, ne se f�chait jamais. Il disait toujours merci. Il doit �tre mort maintenant. Mes petits enfants ne s'en souviendront pas. D'ailleurs, je ne sais pas s'il verront jamais des �l�phants vivants. C'est une autre histoire. Je me souviens du contact rugueux du faux mur en pierre en vrai b�ton qui surplombait le rocher aux singes � qui nous jetions des cacahu�tes. Je me souviens de ce contact, mais je ne me souviens plus si c'�tait quand mes parents me soulevaient pour me permettre de voir ce que devenait ma cacahu�te, au fond de la fosse, ou quand je soulevais moi-m�me mes enfants, dans le m�me geste, avec la peur, d�licieuse qu'on vous l�che et que vous vous retrouviez avec les b�b�s singes dans les bras d'une maman singe au cul tout rouge qui vous aurait ramass� et emport� dans un coin du rocher.Je me souviens des yeux phosphorescents du Aye Aye tapis dans l'ombre du rocher aux l�muriens et de la chaleur de la m�nagerie, du tigre qui tournait en rond dans sa cage.

26 mars 2003

Attention : chic mais cru, tr�s chic mais tr�s cru, tr�s tr�s chic mais tr�s tr�s cru, chic et cru, quoi... (quand �a marche..). Et ne dites pas que je ne vous ai pas prevenus.
Pour ce soir, quelques sites (probablement) �ph�m�res.

25 mars 2003

Fen�tre sur cour N� 12

Ouverte !





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Histoire de Sma�l (�pisode 10)

Une autre histoire, qui se situe quelques ann�es plus tard, montre quelle place tenait la violence dans la famille. Comme il nous l�avait enseign� lui-m�me, Sma�l, depuis un petit moment, se comportait avec nous de telle mani�re que les choses ne devaient pas se passer tr�s bien rue d�Angoul�me : Il se mettait � nouveau en avant, se montrait particuli�rement irritable, accusait Mustapha des maux les plus invraisemblables, ne supportait plus d��tre contredit, nous accusait de faire �chouer, par pure malveillance, en m�cr�ants impies que nous �tions, ses proph�ties les plus infaillibles et ses pr�dictions les plus exactes, pronon�ait des anath�mes et parlait fort. Il demandait toujours plus d�Artane et nous laissait sans protester outre mesure et sans r�sultats apparents forcer sur l�Haldol D�canoas. Bref, il nous sembla qu�il �tait temps de prendre des nouvelles nous-m�mes, de faire une petite visite � la famille. Un paquet d�ann�es avait pass� depuis le temps o� nous arrivions dans l�appartement aux tomettes rouges et nous nous asseyions autour de la table branlante pour boire le th� dans des verres � moutarde en regardant les enfants de Rachid jouer ou faire leurs devoirs � m�me le sol. Tout le monde avait vieilli, y compris nous. Nous ce jour-l�, c��tait Aim� et moi. Aim� avait d�j� connu Sma�l quand il travaillait � Barth�lemy Durand, vingt ans plus t�t. Mais le plus �vident, c��tait les enfants. Amar, le petit gar�on turbulent �tait � pr�sent un grand gaillard de seize ans au cr�ne ras�. Nous avions entendu parler de lui, de loin en loin, lors de r�unions des nombreux professionnels m�dico-sociaux qui � intervenaient �, comme on dit, � sur � la famille et dont nous faisions bien s�r partie, comme d�un jeune particuli�rement difficile, � plac� � � plusieurs reprises par le juge des enfants dans diff�rents foyers, � la suite de petits vols qui grandissaient de plus en plus et de divers trafics dont Rachid, son p�re, jurait ses grands dieux n�avoir jamais �t� ni complice ni instigateur, ce qui �tait difficile � croire. Il buvait, se d�fon�ait au crack. Une petite frappe. Il commen�ait � faire r�gner la terreur. C�est lui qui devenait le vrai ca�d. Il avait d�j� barre sur son p�re, de plus en plus accul� � jouer les seconds r�les et qui nous prenait m�me � t�moins de ses vains efforts �ducatifs et de la jeunesse d�aujourd�hui dont on ne pouvait d�cid�ment plus rien faire. Nous croyions r�ver�Toujours est-il que ce jour-l�, Amar ne jouait plus sous la table. Il fit son entr�e en claquant la porte et nous demanda, en ma�tre des lieux, ce que nous venions faire ici. Il savait tr�s bien que nous nous occupions de son oncle depuis des ann�es. Il vint directement vers moi et me parla sous le nez, je n�en cru pas mes oreilles : � T�as fini d�emb�ter mon oncle, toi, t�as fini de lui faire du mal, mais qu�est-ce que tu lui veux ? hein, qu�est-ce que tu lui veux ? � C��tait de la pure provocation. Il cherchait la bagarre et rien d�autre. Il devait d�tester les � intervenants m�dico-sociaux �, par principe. Il �tait peut-�tre d�fonc�, mais pas s�r, pervers, oui, certainement. Quoi que je r�ponde j�allais en prendre une. Un grand coup de pied dans les tibias me fit donner le signal d�une peu glorieuse retraite. Amar et ses deux oncles, Sma�l et Mustapha, appel�s � la rescousse, en pleine hyst�rie, sous le regard malgr� tout navr� de Rachid et de sa m�re, se mirent � nous prendre en chasse. Je me souviens m�me que Sma�l s��tait saisi d�un balai au passage et qu�il avait enfil� l'escalier o� nous nous �tions engouffr�s. Il suivait son chef de neveu, aveugl�ment, qui lui avait indiqu� son pers�cuteur, sans tenir compte une minute de mon statut de bon docteur, ni du sien, conseiller sp�cial dudit bon docteur. C��tait plus qu�une d�faite, une d�route. Je m�en souviens comme d�un moment particuli�rement humiliant et d�primant, un moment o� on se demande vraiment pourquoi on exerce un m�tier pareil. Nous nous jetons dans la voiture toute neuve d�Aim�. Juste le temps de verrouiller les portes avant de voir d�bouler nos poursuivants en pleine rue. Sma�l et Mustapha font demi-tour et remontent l�escalier avec leurs balais. Amar, toujours enrag�, d�fonce la porti�re c�t� conducteur d�un saut�-chass� des deux pieds pendant qu�Aim� acc�l�re. Nous nous �loignons enfin de ce cauchemar. J�ai deux �normes bleus aux tibias qui me font boiter et la voiture d�Aim�, qui aime beaucoup les voitures, a subi une brusque d�cote. Trois jours plus tard, Sma�l revient au Vingt-six, juste un peu moins fou, maudissant Amar. Comment lui reprocher quoique ce soit ? La famille ne nous a fait aucune excuse. Nous avons jug� vain de pr�venir la police. C�est la derni�re fois que je suis all� rendre visite � Sma�l. La psychiatrie de secteur a tout de m�me ses limites.

23 mars 2003

Je m�dis, je m�dis... Mais il y a toujours quelque chose � trouver sur la "the" toile, si on se donne la peine de chercher. Ce soir, je vous ram�ne �a, p�ch� sur "Echolalie"
Fen�tre sur cour N� 11

Livres et maisons
Ensemble sur les rayons
Le dehors est dedans

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Voiol�, j'ai re�u �a par mail ce matin, c'est plut�t rigolo, secondegresque, et m�rite un petit d�tour

Bonjour,
Durant deux mois �Mon Dimanche, revue populaire illustr�e� [t�l�chargeable 95 ans apr�s] a n�glig� ses lecteurs et lectrices aussi abondants que fid�les.

L��dition du dimanche 22 mars 1908 n�offrant aucun texte int�ressant, la r�daction a donc profit� de l�occasion pour rattraper son retard. C�est donc une importante livraison que nous vous offrons pour vous distraire et vous instruire ce dimanche.
(Rappelons que les fichiers de �Mon Dimanche� sont en format A4, PDF. Le poids important de certains fichiers n�est d� qu�aux ajustements de d�finition (et non pas � la taille de l�article) qui ont parfois �t� n�cessaire pour que nos lectrices et lecteurs populaires puissent conna�tre un bon confort de lecture tant � l��cran que sur le papier. Enfin, pr�cisons que chaque article ne fait au maximum qu�une page.)
Bonne lecture, bon dimanche
La r�daction.

T�l�chargez toutes nos s�lections list�es ci-dessous � l�adresse :
http://www.mondimanche.fr.fm

Les s�lections de �Mon Dimanche, revue populaire illustr�e� du 9 f�vrier 1908 :


LES FEMMES QUI SE DEFENDENT

Paris conna�t l�ins�curit� : on le sait. �Mon Dimanche� s�interroge : �est-ce qu�une femme peut repousser l�attaque d�un agresseur ? Ne conviendrait-il pas, en ces temps o� la criminalit� redouble d�intensit�, de conseiller � nos s�urs, � nos femmes et � nos filles, de ne sortir qu�arm�es?� S�appuyant sur des faits affreux qui se sont d�roul�s rue St-Sauveur, Boulevard de la Grande-Arm�e, Porte-Maillot, pr�s des stations du m�tropolitain ou au Far West, Mon Dimanche fait �uvre de p�dagogie.-

LES TROUBLES CEREBRAUX DES DYSPEPTIQUES

Le Dr Drack, dont la comp�tence et le s�rieux ne cessent d��tonner notre lectorat, nous expose les �tonnantes cons�quences de la dyspepsie sur l��quilibre mental. �L�influence morbide de l�estomac sur le cerveau� peut conduire entre mille choses � �l�obnubilation c�r�brale�. C�est simple : la dyspepsie est une maladie proprement terrifiante dont les cons�quences sont aussi inattendues qu�abondantes.

- LE CHOCOLATIER MENIER

C�est lorsque qu�un capitaine d�industrie meurt qu�on se rend compte � quel point on l�aimait. A chaque d�c�s la presse se fait d�ailleurs l��cho de l�amour que le peuple voue � ces grands hommes. �Mon Dimanche� anticipe en tra�ant le portrait d�un de nos plus importants Fran�ais, le chocolatier Menier. On saura tout de ses usines et de son train de vie imp�rial. N�attendez pas la mort d�un capitaine d�industrie pour vous rendre compte � quel point il vous manque. Lisez �Mon Dimanche,�

La s�lection de �Mon Dimanche, revue populaire illustr�e� du 16 f�vrier 1908 :

- VOLEURS D�ENFANTS !!!

Signe de la perte des rep�res de notre soci�t�, perte de la morale, et sympt�mes de l�avilissement et d�cadence de la soci�t� : on entend de plus en plus parler des rapts d�enfants ; lesquels n�ont jamais �t� si nombreux. �Mon Dimanche� fait le point sur quelques horribles affaires r�centes. Vraiment, jusqu�o� ira-t-on ?
Les s�lections de �Mon Dimanche, revue populaire illustr�e� du 23 f�vrier 1908 :-

LES MESAVENTURES DE BOIS DE REGLISSE.

Les enfants d�aujourd�hui lisent de plus en plus et leur maturit� de plus en plus pr�coce ne laisse pas d��tonner. C�est pourquoi �Mon Dimanche� a cr�� �La page des enfants�. A travers de courtes historiettes distrayantes, �Mon Dimanche� essaie de faire passer quelques id�es sur le monde d�aujourd�hui, afin que les jeunes lecteurs soient plus tard des adultes complets, responsables et citoyens dans la soci�t� de demain. Il s�agit d��duquer nos t�tes blondes ! �Les m�saventures de Bois de R�glisse� va montrer � votre enfant comment on peut venir � bout de la paresse d�un n�gre.

- MOYEN D�APPRECIER SA FORCE PHYSIOLOGIQUE

Le Dr Drack, dont d�cid�ment les comp�tences scientifiques sont pluridisciplinaires nous livre un moyen de conna�tre si l�on est ou non sensible � la maladie : il suffir de calculer son �indice num�rique�. Prenez taille, poids... Et une rapide �quation vous apprendra si vous serez prochainement malade.

- LE MARIAGE AUX RAYONS X

�Mon Dimanche� consacre r�guli�rement des articles � la vie am�ricaine. Les Am�ricains sont de grands enfants, mais parfois ils inventent, reconnaissons-le, des choses �tonnantes d�efficacit� et de pertinence. Derni�re tendance en date : passer au rayon X avant de dire �oui� lors de la c�r�monie du mariage, afin d��viter de se retrouver uni � une personne malsaine. �Mon Dimanche� estime que cette pratique va se r�pandre et se p�renniser.

La s�lection de �Mon Dimanche, revue populaire illustr�e� du 15 mars 1908 :

- LES DANGERS DES CONFETTIS

Le Dr Drack, qui a toute la confiance de la r�daction tant ses connaissances sont impressionnantes, met en garde contre les confettis. Cette invention qui remonte � une douzaine d�ann�es d�j� � fait pl�thore de victimes : �touffements, empoisonnements, contagions pernicieuses... Le danger des confettis est r�el. Des mesures sanitaires s�imposent...

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21 mars 2003

fin de s�rie


Fin de la s�rie des natures mortes aux pieds vivants.
Pens�e de la nuit N�14 "C'est seulement une heure apr�s la mort, que du masque des hommes, commence � sourdre leur vrai visage" Andr� Malraux, L'Espoir

20 mars 2003

Histoire de Sma�l (�pisode 9)

Un jour, Sma�l a cass� le nez d'Andr�e. D'un coup de boule port� avec une technique telle qu'on a bien vu qu'il n'en �tait pas � son premier essai : il lui a pos�ment pris la t�te entre les deux mains et lui a tap� le front avec son propre front, d'un coup sec. Il l'a laiss� s'effondrer et est retourn� s'asseoir sur le canap� du bureau, assez content de lui. Dire pos�ment, c'est plus � cause de sa fa�on de faire, tr�s "pro", qu'� son �tat du moment car il �tait dans une p�riode o� sa m�galomanie n'avait plus de bornes. Il ne supportait pas d'�tre contredit par quiconque, surtout pas par sa m�re ni les femmes en g�n�ral. A vrai dire, seule la m�re de Sma�l pouvait se soumettre � une telle tyrannie, elle seule �tait assez forte - assez folle - pour supporter l'insupportable. Elle l'a d'ailleurs toujours pay� au prix fort : Sma�l l'a plusieurs fois battue. Toujours est-il que ce jour l�, Sma�l, au Vingt-six, ne s'�tait trouv� entour� que de femmes, ce qui, d'ailleurs, �tait d�j� arriv� � de nombreuses reprises. Andr�e s'�tait oppos�e � lui, pour une broutille, enfin ce qui peut para�tre une broutille, ce qui en serait pass� pour une n'importe o� ailleurs : Une histoire d��ufs dans le frigo, qu'il s'�tait appropri�, qu'il ne voulait pas partager rien que pour montrer qui �tait le ma�tre, une histoire de donner et de recevoir � manger. Les histoires de donner � manger, de parler de nourriture ou de manger les mots, sont toujours des histoires tr�s compliqu�es et tr�s �tranges. On ne soup�onne pas toujours � quelles d�vorations sanglantes elles renvoient. Mais parfois, dans le feu de l'action ou plut�t en l'occurrence, dans le train-train du quotidien, comme au vingt-six - c'�tait l'heure du repas, il fallait s'affairer - on oublie, on se d�p�che, on fait comme si on �tait chez soi, avec les gosses. On r�pond �vasivement ou un peu vivement � une demande qui parait banale. La violence de la r�plique vous stup�fie et vous fait transpercer le miroir, la cuill�re en bois � la main, au milieu du verre fracass� partout. On transporta Andr�e � l'h�pital. Elle subit une op�ration aux suites tr�s p�nibles et porta un masque de pl�tre un mois durant. Sma�l, � l'arriv�e du SAMU comprit probablement qu'il risquait des ennuis et, comme un bon d�linquant qu'il essayait d'�tre � tout prix, s'�clipsa discr�tement, au milieu de l'agitation. Nous nous rend�mes chez lui, o� nous le trouv�mes, bien s�r, et o� il se tenait d'ailleurs � carreau, pour le plus grand bien-�tre de toute la famille, pour une fois, et comme par hasard. Nous lui signifi�mes qu'il �tait �videmment tricard au vingt-six pour une dur�e ind�termin�e. Si jamais la famille ne le supportait plus, il se retrouverait � l'h�pital psychiatrique, voire en prison, un point c'�tait tout. Cela n'arriva pas. L'�v�nement avait donn� � Sma�l, pour un temps, le statut qu'il avait en vain recherch� les derni�res ann�es : il s'�tait conduit en mauvais gar�on, pas en fou. C'�tait un comportement que ses fr�res pouvaient comprendre, et mieux encore, tol�rer. Il mit donc momentan�ment son d�lire dans sa poche et roula des m�caniques. La m�re s'en remit � Allah, comme � chaque fois. Il fut m�me convoqu� au commissariat, o� la famille �tait tr�s c�l�bre, car Andr�e, tout � fait courageusement, avait port� plainte elle-m�me (l'administration de l'h�pital s'�tait honteusement d�fauss� au nom d'une tol�rance de principe qui nous laissa r�veurs par ces temps s�curitaires. Nous savions d�sormais � quoi nous en tenir sur le soutien � esp�rer de notre tutelle directe.) Il en ressortit avec une remontrance et un avertissement sans frais. Nous n'entend�mes plus parler de Sma�l pendant deux, trois, voire quatre mois. Un r�pit. Cher pay�. Puis un matin, pas plus beau qu'un autre, nous le rev�mes assis sur le perron du Vingt-six, attendant d'entrer, comme si rien ou presque ne s'�tait pass�. Il d�lirait gentiment � pleins tuyaux. �a ne devait plus trop gazer rue d'Angoul�me. Andr�e avait repris le travail depuis longtemps. Il se souvenait quand m�me de ce qui s'�tait pass� et lui fit, un peu pour la forme, il fallait bien, des excuses embrouill�es qui se transform�rent en plaidoyer avec des tremolos dans la voix et des pleurs rentr�s, invoquant la faute des esprits de ses anc�tres. Il jura qu'il ne recommencerait plus. Nous lui demand�mes toutefois de retourner chez lui, le temps de prendre une d�cision. Il attendit quelques jours, bien gentiment, que la sanction fut lev�e. Andr�e, toujours aussi courageuse, n'apporta que de minimes modifications � ses horaires de travail pour ne pas avoir � partager trop de temps avec lui, au d�but. Sma�l retrouva, comme on pouvait s'y attendre, sa place derri�re la table de la cuisine et la vie - si, la vie - continua.

18 mars 2003

Fen�tre sur cour N� 10 (et 10 bis)

trois fen�tres deux fen�tres












Histoire de Sma�l (�pisode 8)

L�oncle Amar �tait retourn� en Alg�rie depuis longtemps d�j�. La question du � lit pour Sma�l � avait fini d�attendre sa r�ponse. Elle resta d�finitivement en suspend. Sma�l, un peu plus calme, recommen�a � retourner � la maison, laissant son lit � d�autres, mais il ne perdit pas les liens avec le Vingt-six. Il tenait � ses ordonnances, par exemple, au Valium et � l�Artane surtout, il fallait toujours en rajouter (je me demande en tapant ces lignes s�il ne le trafiquait pas avec ses fr�res.) Il prit l�habitude de venir passer ses journ�es parmi nous, et commenter le d�roulement des jours depuis sa place favorite, derri�re la table de la cuisine. Les entretiens avec la famille s�espa�aient de plus en plus. Fatima, elle aussi, �tait retourn�e � sa vie parmi les siens. Rachid et Mohamed, qui n��taient de toute fa�on jamais venus, continuaient leurs trafics. La m�re allait au march� avec son panier � roulette. Souvent nous raccompagnions Sma�l rue d�Angoul�me en fin de journ�e et parfois nous montions avec lui pour prendre des nouvelles de la famille. Les choses se remettaient � peu pr�s en place, cahin-caha, sans beaucoup de changement. Je me souviens d�un samedi o� je l�ai emmen�, avec un autre patient, voir le � Grand Bleu � au cin�ma (nous sortions tous les week end, en ce temps-l�, avec tous les patients quel que soit leur �tat, on se partageait les voitures de service, un petit groupe partait dans les bois, l�autre se promener � Paris, par exemple) je l�ai perdu au bout d�un quart d�heure. Non pas que le film ne lui ait pas plu, Non pas qu�il l�ait angoiss�, ce qui aurait �t� possible avec le � Grand Bleu �, je crois franchement qu�il lui avait �t� indiff�rent. Il �tait tout simplement impossible que Sma�l aille au cin�ma : il ne pouvait pas rester un quart d�heure sans fumer. Il �tait tout simplement sorti fumer dehors et �tait retourn� au Vingt-six sans nous attendre. Nous l�avons retrouv� devant la porte ferm�e � s�en griller une quinzi�me (c��tait la version longue.) Je me souviens de son rire et de la voix suraigu� qu�il prenait quand il voulait exprimer de la joie ou du plaisir, et de son sourire qui barrait tout son visage d�une oreille � l�autre, mais le rictus de douleur, les pleurs et les cris d�chirants n��taient jamais loin. Je me souviens quand �a n�allait pas du tout. En g�n�ral il cessait de venir pendant quelques jours. La m�re, en allant ou en revenant du march�, sonnait � la porte du Vingt-six, Elle entrait, tirant toujours son panier � roulette derri�re elle dans le couloir, sa petite silhouette blanche s�encadrait dans la porte du bureau et, rassemblant tout son courage, elle parvenait � dire : � Sma�l, �a va pas �. Il ne fallait pas en demander plus. Elle ne savait pas en dire plus. Quand la m�re disait que Sma�l n�allait pas, c�est que Sma�l n�allait pas du tout, parce que par exemple quand Sma�l allait comme d�habitude, c�est � dire simplement mal, elle disait, si on le lui demandait : � Sma�l, �a va � avec un charmant petit hochement de t�te. Donc il se passait dans la famille quelque chose qui touchait � l�insupportable, qui n��tait pas d� � Sma�l, la plupart du temps, ni � une quelconque �volution de sa maladie pour � elle-m�me � : seulement Sma�l fonctionnait comme bouc �missaire, comme caisse de r�sonance, il occupait le devant de la sc�ne, il s��tait assign� la t�che de tromper l�ennemi, de faire diversion, de sauver la famille co�te que co�te. Il fallait toujours qu�il se mette en avant. Nous appr�mes � reconna�tre dans l�aggravation de son �tat, les moments o� par exemple les fr�res �taient en difficult�, avait des ennuis avec la police ou d�autres mauvais gar�ons, o� le petit Amar en faisait voir de toutes les couleurs aux �ducateurs de rue et � ses ma�tres � l��cole ou quand il y avait de mauvaises nouvelles d�Alg�rie. Sma�l finissait toujours par d�bouler, mais aussi nous lui rendions visite chez lui. Nous le trouvions pr�t pour la guerre sainte, un foulard nou� autour du front, par exemple, ce qui faisait ressembler son visage, aux joues toujours creuses et mal ras�es et aux yeux qui lan�aient des �clairs, � celui d�un Dieu guerrier et vengeur. Dans ces moment-l�, il acceptait souvent une injection de s�datifs, mais pas toujours, il s�enfuyait. Nos relations �taient chaotiques. Il fallait parfois n�gocier de longs jours pour qu�il accepte un traitement.
Pens�e de la nuit N� 13
"Apr�s avoir contempl� la lune
Mon ombre
Me raccompagne"
Sodo, Haiku

17 mars 2003

Histoire de Sma�l (�pisode 7)

Nous sommes au Zoo de Vincennes, avec Sma�l, Patrick et Marie Annick. C�est une belle matin�e de d�but de printemps. Sma�l marche seul devant, il ne se prom�ne pas, il fuit, tout droit, il cherche la sortie. Nous nous pressons atterr�s derri�re lui, d�faits. Nous passons � toute allure devant le rocher des ours ou se tient le dromadaire qui prom�ne les enfants. Sma�l n�a pas un regard pour le dromadaire. C�est le fiasco. La promenade, minutieusement pr�par�e depuis plusieurs semaines tourne � la d�route, � la retraite de Russie. Pr�vue pour la journ�e, la ballade-souvenir aura dur� en tout et pour tout un quart d�heure, au pas de course. Nous retrouvons la voiture, Sma�l s�y engouffre et nous retournons � Corbeil en silence. Ce qui est extr�mement rare avec Sma�l, je veux dire le silence. Il regarde le paysage d�filer � travers la vitre, l�air sombre et d�termin�, mais pas un mot. Bien s�r nous sommes en col�re, Patrick, Marie Annick et moi. Nous ne comprenons pas pourquoi Sma�l a d�lib�r�ment tout g�ch�. C��tait pourtant lui, Sma�l, qui, au cours des entretiens avec Marie Annick et Patrick s��tait souvenu de son instituteur, quand il �tait petit, qui les avait amen�s lui et sa classe faire une promenade au Zoo de Vincennes et que m�me il avait fait un tour de dromadaire. Un peu auparavant, Patrick et Marie Annick avaient entrepris de faire parler Sma�l de son enfance, dans l�id�e de le � sortir � un peu de son monde d�lirant, au sens propre et au sens figur�, en faisant appel � ses souvenirs, � son histoire. Il s��tait ex�cut� volontiers et leur avait servi, parmi quelques autres chromos, celle de l�instituteur, toute pleine d��motion et de bons sentiments : le petit gar�on �migr� bien sage et tr�s intelligent, d�brouillard et modeste � la fois. Comme d�autres. Sma�l donnait litt�ralement l�impression d��tre enferm� dans son d�lire, (� mur� dans son d�lire � est une expression consacr�e) comme dans une bulle de fer r�sistant � l�espace, au temps, � l�histoire et � la g�ographie, ne communiquant avec l� � ext�rieur � qu�� l�aide un appareillage compliqu�, lourd, peu efficace, sans nuances, dont le fonctionnement lui �chappait, v�ritable labyrinthe imp�n�trable et qui, de fait, �tait le d�lire lui-m�me, ultime tentative de gu�rison. Deux solutions pour communiquer : entrer en force, maintenir ouvert le moindre entreb�illement de la bulle par tous les moyens et tirer au dehors par le bras ou la jambe qu�on a pu attraper, m�me si �a fait mal ( avec les neuroleptiques pour calmer cette douleur) ou reconstituer les plans de l�appareil, remonter patiemment les canalisations, parcourir toutes les ramifications, rebrousser chemin dans tous les culs-de-sac, boucler toutes les boucles, faire de la topographie, se transformer en g�om�tre, pour au bout du compte se glisser un peu dans la bulle (� tu me fais un peu de place Sma�l ? �) et naviguer � deux. � En pays de psychose, je ne suis pas interpr�te, je suis topographe ou g�om�tre � dit Jean Claude Pollack. Tenter de � sortir � quelqu�un de son d�lire, comme on dit, m�me avec les meilleures intentions du monde, m�me si parfois le succ�s est au bout, malgr� toute la douceur que vous pouvez y mettre, est toujours une action violente, une effraction, un passage en force. Et des passages en force, il en avait connu, notre Sma�l, dans son existence de � pensionnaire � des h�pitaux psychiatriques, il avait appris � se m�fier, � louvoyer, � prot�ger la bulle, � donner le change. Il �tait un v�t�ran des neuroleptiques, un praticien rompu � toutes les subtilit�s des entretiens psychoth�rapiques. Il nous a appris pas mal de psychiatrie. Certes, il �tait entr� dans le jeu de Patrick et Marie Annick, mais � moiti� seulement : il � savait � se souvenir, pas besoin de le tenir pour un robot. Des souvenirs, d�ailleurs, il en avait � la pelle, autant que vous voulez. Attention, je ne vous ai rien donn�, je vous ai juste dit des mots, parce que vous m�en avez demand�, mais ce ne sont que des mots, vous n��tes pas entr�s en moi, vous ne me poss�dez pas encore, d�ailleurs c�est moi qui vous poss�de. Si vous aviez cru que le Zoo de Vincennes m�importait vraiment, vous vous �tes tromp�s. Je vous ai bien eu, moi, le Zoo de Vincennes, ce n�est que mon histoire, et elle n�est pas pr�te de me rattraper, foi de petit Sma�l, la seule chose qui compte pour moi ce sont les proph�ties des cadavres morts de la Kabylie, voil�. Rien, vous ne savez rien. Rien de moi. Tel �tait le sens de la le�on que Sma�l nous avait donn� aujourd�hui et, m�me s�il faisait la t�te, dans la 4L du service qui filait sur l�autoroute, il fallait se rendre � l��vidence : c��tait un dur � cuire, un loubard, exactement comme ses fr�res.

16 mars 2003

� cet endroit la Seine s'�coule en un ou deux m�andres. Ils suivent l'�troite route, presque un chemin, qui longe le fleuve en le descendant du Barrage du Coudray � la piscine de Corbeil. Rive gauche. Elle a brutalement d�cid� de passer par-l�, de retour de Fontainebleau. Ils roulent � tr�s faible allure. Elle est au volant. Le ciel d'hiver est bas. La lumi�re est terne. Ils vont si lentement qu'ils ont le temps de tout voir : c'est m�me une sorte de passage en revue, une r�vision. Le Barrage, ou plut�t l'�cluse comme elle le fait remarquer, l'imposante passerelle m�tallique peinte en bleu sale, La Renomm�e, restaurant � la terrasse d�sert�e � cette �poque de l'ann�e, des bicoques sans forme, des maisons de parisiens pr�tentieuses ou de vieilles demeures vides cach�es derri�re des murs gris, l'auberge du Barrage, avec des parasols en berne, qui a scand� leur histoire, o� ils ont f�t� des anniversaires, des arbres d�nud�s, des pontons disloqu�s par la r�cente temp�te, des barques �ventr�es � demi coul�es, du bois mort qui flotte, cet �trange b�timent industriel d�saffect� depuis toujours, entre le fleuve et la route, en arrivant sur Corbeil. Ils ne se parlent pas beaucoup. Elle lui montre de curieux oiseaux noirs � bec court qui nagent sur l'eau, parmi les canards plus familiers. Ils n'en avaient jamais vu par ici. Il se demande si ce ne sont pas des cormorans. Mais il n'en est pas s�r. Parfois il faut se garer pour laisser passer une voiture en sens inverse ou un press� qui veut les doubler. Il la regarde conduire, attentive. Il d�borde d'une tendresse presque imb�cile. Il ne dit rien. Combien de fois ont-ils long� ce chemin, � pied ou en voiture ? Combien de serments y ont-ils �chang�s ? Combien de disputes y ont-elles �t� consomm�es ? Il se demande si elle ressent la m�me chose que lui, cette nostalgie, mais n'ose pas l'interroger. Elle conduit en silence. Ils d�passent la piscine et entrent dans Corbeil. Dans deux minutes, arriv�s � la place L�on Cass�, ils vont se quitter. Comme toujours. Il se dit qu'il est arriv� � ce point de sa vie : dire au revoir aux choses. Il va passer le reste de sa vie � �a : retrouver les choses pour leur dire au revoir. Quoiqu'il fasse pour se persuader du contraire. Il se dit qu'il y aura de la douceur en cela. Si au moins il arrivait � �a, dire au revoir aux choses, les quitter, avec tendresse, mais sans regret, en prenant le temps qu'il faut, �a serait bien. Nous passons notre jeunesse � d�couvrir le monde, � dire bonjour aux choses, � les accueillir, les rencontrer, les perdre, les retrouver. Puis nous croyons qu'elles sont � nous pour toujours. Mais en v�rit� il faut les rendre. Les rendre � elles-m�mes, � leur nature de choses, parce qu'elles sont �ternelles, elles, et pas nous. Le moment vient o� il faut rebrousser chemin, dire au revoir aux choses. C'est le moment du d�tachement. Cela devrait durer aussi longtemps que la jeunesse, refaire le chemin en sens inverse, tranquillement, lentement, pr�cis�ment. Longer les fleuves � contre courant. Les voici arriv�s Place L�on Cass�. (�crit le 21 janvier 1999)

13 mars 2003

Histoire de Sma�l (�pisode 6)

La question �tait venue en causant. Si Sma�l savait dormir, comme il le pr�tendait, le probl�me n��tait donc pas qu�il dorme, puisqu�il savait, Le probl�me �tait donc de d�terminer o� Sma�l allait bien pouvoir dormir. Lui, disait : � Dans un lit, tiens ! �, et nous reprenions : � Bien s�r, dans un lit ! � Mais y avait-t-il un lit quelque part pour Sma�l ? En tout cas, manifestement, il n�y avait pas de lit � la maison ou, pour le moins, Sma�l n��tait pas prioritaire dans le lit voisin de celui de sa m�re, c��tait Mustapha qui l�occupait, celui-l�, et pas question de changer l�ordre pr�f�rentiel, d�ailleurs Mustapha nous le faisait bien savoir, tout en restant totalement mutique, dans les entretiens avec toute la famille, quand il se mettait en col�re d�s qu�on abordait la question du � lit pour Sma�l �, et qu�il claquait la porte du bureau, on le retrouvait dans le hall des Mozards � fumer cigarette sur cigarette (je n�ai jamais vu personne fumer autant que Mustapha, les doigts de ses deux mains en �taient jaunes et crevass�s.) Il y avait bien celui du Vingt-six, de lit, mais tout le monde comprenait bien qu�il ne s�agissait que d�un lit transitoire, d�un lit-relais, d�un lit de secours en somme, qu�il faudrait bien quitter un jour, pour laisser la place � un autre patient en mal de nuits blanches. Alors, nous reprenions notre question : � Quel lit pour Sma�l ? � et la famille tout enti�re se taisait, baissait la t�te en se prenait le front pour r�fl�chir et la relevait sans avoir trouv� de solution. C�est probablement vers cette �poque que Sma�l se mit � consid�rer qu�il avait deux maisons tout en sachant que cela ne r�solvait en rien la question de sa place dans la famille et � l�int�rieure m�me de ces maisons. La premi�re, rue d�Angoul�me, aupr�s de sa m�re qu�il disputait sans trop d�espoir � Mustapha et la seconde, au vingt-six de la rue des Chevaliers Saint Jean, aupr�s d�un simulacre de p�re, dira-t-on, qui �tait une sorte de maison de replis, de secours parfois. Un asile en quelque sorte, mais pas aussi tranquille que l�h�pital psychiatrique, s�il s�y �tait une fois fait oublier, ce qui n�est pas s�r, un asile o� il ne pouvait pas s�abandonner. En tout cas la question du � lit pour Sma�l �, elle, ne fut jamais r�solue, m�me celle de son lit de mort, comme on le verra plus tard. Sma�l lui-m�me, d�ailleurs, tenait � cette place marginale de veilleur, de vigie et faisait tout pour ne pas s�en laisser assigner, de place. Le p�re �tait mort. Sa parole �tait tomb�e. Sma�l avait d�cid� de ramasser cette parole morte, cette d�pouille, qui ne voulait plus dire que l�absence, de la reprendre, pour la porter � sa mani�re, comme un �tendard ou un flambeau, comme si la mort de son p�re lui avait donn� la victoire et en m�me temps la folie, ind�fectiblement.
La p�che sur la toile est toujours aussi chiche, par les temps qui courrent. Je vous ai tout de m�me ramen� �a : c'est mignon, bon.

12 mars 2003

Promenade quai de la gare, si le coeur vous en dit
Pens�e de la nuit N� 12 " Comment aurais-je aim� �crire ? Comme un vieux grec qui �voque les morts et effraie les vivants. Ou comme un yeti qui erre seul pieds nus. Noter la montagne, consigner la mer � l'aide d'une fine aiguille, telle l'esquisse d'un motif de broderie. Ecrire comme uin marchand ambulant russe en route pour la Chine : il a trouv� une cabane. Il l'�bauche. Le soir il observe, la nuit il dessine, et � l'aube il a fini. Il paie son �cot et s'en va au point du jour" Amos OZ, Seule la mer
Histoire de Sma�l (�pisode 5)

Dire que tout devint facile, et que le reste de notre histoire avec lui fut un long chemin vers la gu�rison est tr�s �loign� de la v�rit�. Je peux affirmer que la vie de Sma�l a �t� un enfer, d�un bout � l�autre, sans aucun r�pit d�aucune sorte, y compris parmi nous. N�anmoins, ce fut le d�but d�une sorte d��tat de gr�ce o�, Sma�l, sans jamais se d�partir de ce qui constituait sa radicale alt�rit�, sans jamais accepter une seconde de quitter la position sur laquelle il campait d�sesp�r�ment depuis si longtemps, voulut bien nous montrer qu�il � savait �, comme il l�avait dit � Dany, de quoi notre monde �tait fait, et, qu�il pouvait, jusqu�� un certain point, nous y accompagner. Mais del� � y faire des s�jours prolong�s, o� y immerger un peu plus que le bout de l�orteil, il y avait un foss� qu�il ne se r�solut jamais � franchir. Je peux seulement dire ceci, qui n�est rien d�autre qu�un constat : � partir de ce moment l�, et sauf au moment de sa mort, c�est � dire pendant plus de dix ans, Sma�l ne retourna jamais � l�h�pital psychiatrique. Il y eut � nouveau des moments plus que difficiles, o� Sma�l nous conduisit encore plus loin dans le d�couragement que lors de ses premiers moments au vingt-six, mais aussi des p�riodes comme celle de la � cl� �, o� il semblait vraiment trouver un peu de paix. C��tait les moments o� il se faisait vraiment gardien de la maison. De sa place favorite, derri�re la table de la cuisine, il surveillait les all�es et venues, et faisait, � haute voix, mais sans hurler, des commentaires �sot�riques, donnait des ordres un peu bizarres qu�il ne se souciait pas de voir ex�cut�s. Nous avions relanc� le travail avec la famille. Je me souviens de l�oncle Amar, d�sol� de la mal�diction qui pesait sur la descendance m�le de son fr�re mort, surtout sur Sma�l et Mustapha, mais pas pr�t du tout � nous d�cerner le titre de th�rapeutes efficaces : il en avait vu bien d'autres. Il ne se montrait pas certain que notre projet de soigner Sma�l ailleurs qu'� l'h�pital �tait vraiment une bonne id�e. Je crois m�me qu'il soup�onnait en nous un peu de pr�somption. Nous v�mes aussi la s�ur Fatima, � fleur de peau, partag�e entre sa tendresse de fille aimante et reconnaissante, ses devoirs de s�ur et la sauvegarde en urgence de sa "vie priv�e", avec son mari et ses enfants, dont elle ne voulut jamais nous parler comme si celle-ci avait pu, par notre simple contact, �tre infect�e par la folie de ses fr�res. Nous compr�mes qu'il ne fallait pas trop lui en demander, d'autant qu'il �tait �vident qu'elle veillait de loin, � sa mani�re, avec tout l'amour (et aussi la culpabilit�) dont elle �tait capable sur la partie maudite de sa famille (Zacchia, L'autre s�ur ne se manifesta que bien plus tard, quand ce fut la fin, mais qui peut lui en vouloir.) La m�re, donc, Rachid, sa femme et ses deux enfants, Mustapha et Sma�l vivaient � sept (et � huit quand Mohamed revenait squatter, apr�s l'�chec in�luctable de ses minables aventures) dans ces deux pi�ces de la rue d'Angoul�me, donnant sur une cour triste, perch� au premier �tage au bout d'un escalier tout sombre et tout droit. Le reste de la famille s'�tait cotis� pour leur acheter ce logement insalubre, pour qu'on ne puisse plus les expulser, pour qu'on ait pas un jour � les h�berger. La m�re et les deux enfants fous dormaient dans la m�me chambre. Nous y avons parfois p�n�tr�, surtout quand Mustapha ou Sma�l �taient alit�s pour une grippe par exemple ou que tout � coup, Sma�l, apr�s des semaines d'insomnie, c�dait � un sommeil de plusieurs jours. Mais dans la chambre ne pouvaient tenir que deux lits : celui de la m�re et celui de Mustapha, avec � peine l'espace pour circuler entre les deux. Comme Sma�l ne dormait presque jamais, le probl�me du manque de place avait �t� radicalement r�solu. Pas de lit pour Sma�l. Il passait ses nuit, attabl� � la table de la cuisine, � jeter ses anath�mes, ou bien dehors, quand la patience de la maisonn�e avait atteint ses limites. Nous aurions pu, si nous avions �t� nous m�me en proie � l'insomnie, le voir errer, vers quatre heures du matin, sur les trottoirs de la rue de Paris ou le croiser rue Feray attendant l'ouverture des caf�s arabes ou bien celle du Vingt-six. Rachid, sa femme et ses deux enfants occupaient l'autre chambre qui �tait toujours ferm�e quand nous venions : nous avons ainsi toujours ignor� de quelle mani�re s'y agen�ait l'entassement. Le reste de l'appartement �tait une cuisine, au sol de tomettes rouges in�gal, sur laquelle donnaient les chambres, o� la m�re et la femme de Rachid, silencieuses, s'aff�raient toute la journ�e et o�, m�me quand ce n'�tait pas le temps du Ramadan, chauffait toujours une gamelle de Chorba aux vermicelles.
Fen�tre sur cour N� 9

la cour aux autos

La m�me cour, mais pas la m�me fen�tre (celle de la cuisine)

10 mars 2003

Histoire de Sma�l (�pisode 4)

Deux semaines apr�s son arriv� au vingt-six, Sma�l ne dormait toujours pas. Il passait ses nuits � arpenter la maison de haut en bas, faisait craquer terriblement les marches de l'escalier et hurlait ses impr�cations. Personne ne dormait. Il mangeait tr�s peu et s'�croulait parfois quelques heures dans un sommeil comateux d'o� il n'�mergeait que pour hurler plus fort. Nous ne pouvions pas l'approcher, impressionn�s par cette col�re inextinguible dont nous savions bien ne pas �tre la cause mais dont nous redoutions les effets. Malgr� tout, Sma�l acceptait les traitements que nous lui proposions, y compris injectables, mais rien n'y faisait. Nous ne savions plus � quel saint nous vouer. Les autres patients se terraient dans leurs chambres, la fatigue se lisait sur les visages. Il fallait absolument une id�e, sous peine de renoncement. C'est Dany Bolzo qui l'eut, un jour. Elle s'�tait souvenue d'une berceuse kabyle dont elle avait lu les paroles dans un recueil, elle lui en avait lu les paroles en Fran�ais et il s��tait souvenu de la chanson en Arabe, il avait m�me tent� de la fredonner. Il y �tait question d�un enfant qui s�endormait, comme dans toutes les berceuses. La maman glissait la cl� de la maison sous son oreiller pour chasser les djinns et les mauvais r�ves. Dany ne proposa pas de glisser la cl� de la maison du 26 sous l�oreiller de Sma�l mais de lui confier, tout simplement, un soir apr�s le d�ner. Sma�l la prit sans surprise et l�introduisit simplement, avec un sourire entendu, dans la poche int�rieure de son veston. Apr�s quoi la soir�e se passa comme d�habitude, avec les all�es et venues habituelles, la veill�e dans le bureau et la t�l� qui marchait toute seule. Vers vingt-trois heures tout �tait calme, � minuit aussi et deux heures du matin encore. Tout le monde dormit tout son saoul. Certains, le lendemain, rattrapaient m�me le temps perdu et faisaient la grasse matin�e. Sma�l attendait, assis � la place qui allait d�sormais devenir la sienne, � la table de la cuisine, pr�s de la porte, tranquillement, que la maison se r�veille. Pas que la maison fut tout � coup devenue silencieuse, pas qu�on se soit mis, comme par miracle � chuchoter et �viter d��lever la voix, pas que Sma�l lui m�me aie beaucoup dormi, pas qu�il aie renonc� une seconde � sa col�re inassouvissable, mais quelque chose qui s�apparentait � la paix, � la tr�ve, �tait advenu. Si nous avions �t� croyants, nous aurions appel� �a le � miracle de la cl� � et nous aurions demand� qu�on instruise un proc�s en canonisation du vivant m�me de Dany, mais nous f�mes simplement fiers de nous, fiers d�avoir tenu, d�avoir su r�sister � notre envie de baisser les bras, de renvoyer Sma�l � l�h�pital psychiatrique, fiers d�avoir su chercher, avec acharnement, � maintenir la relation, � laisser Sma�l saisir la bonne occasion de baisser un peu la garde. Dany lui demanda : � Bien dormi, Sma�l ? �, il r�pondit par un grand sourire silencieux et porta la main � sa poche de chemise. Il en extirpa la cl� de la maison qu�il rendit � Dany, puis il ajouta, sans r�pondre � la question : � Il sait dormir, tu vois, le petit Sma�l! � Voil�, c��tait �a la grande nouvelle : Sma�l savait dormir. Qu�on se le dise !

09 mars 2003

Je me souviens de Joseph Ujlaki et de Roberto Benzi . Pourquoi les deux ensemble ? Je me souviens tr�s bien de Joseph Ujlaki avant centre du Racing de Paris. A cette �poque il y avait la m�me rivalit� entre le stade de Reims et le Racing de Paris qu'entre le PSG et l'OM de nos jours. Je me souviens que j' �tais supporter de Stade de Reims et que mon copain Alain �tait supporter de Racing. C'�tait un fan d'Ujlaki. Je me souviens tr�s bien d'un dispute � ce sujet, sur le chemin du Lyc�e, rue Soufflot. Pour ce qui est de Roberto Benzi, c'est une sc�ne d'un film � la t�l�, "Pr�lude � la gloire", o�, jouant son propre r�le, il dirige un orchestre symphonique � huit ans en venant � bout des vieux instrumentistes les plus endurcis. J'ai longtemps cru que Roberto Benzi avait �t� un produit de marketing et que, devenu adulte, on l'avait oubli�, qu'il ne faisait plus de musique, si jamais il en avait vraiment fait. Or c'est, encore de nos jours, un chef d'orchestre tout � fait honn�te et reconnu.
Pens�e de la nuit N� 11 : "Nulla dies sine linea". Amiel, journal
Histoire de Sma�l (�pisode 3)

Sma�l, avant, il ne dormait jamais. Il parlait toute la nuit, il parlait tout le jour. Non seulement il parle, mais il harangue, il vitup�re, il apostrophe, il menace. Les voisins viennent se plaindre � la psychiatrie de secteur parce que la police ne veut pas se d�ranger et finissent par d�m�nager. Rien n'y fait, ni les mauvais traitements de Rachid, ni les insultes d'Amar, ni les pri�res de la m�re, ni les grosses doses de neuroleptiques m�me rajout�s � son insu dans la soupe. Il a une voix tr�s grave et tr�s forte. Il pr�dit tout et tout le temps, il a quelque chose du proph�te, voire de Dieu lui-m�me : il fait le monde au fur et � mesure, c'est le tuteur c�leste, le ma�tre de tout. Il parle de lui � la troisi�me personne, pas comme les enfants mais comme les rois, fait l'inquisiteur et jette des anath�mes. Ses lamentations sont plus tonitruantes que celles de J�r�mie. A la fin, tout le monde devient fou. Pas moyen de le faire taire. M�me � l'HP, parfois il met des mois � se taire et � dormir la nuit. Alors, parfois, les fr�res lui sautent dessus, sauf Mustapha, sans demander son avis � la m�re, mais elle n'en peut pas plus que les autres, et le d�posent de force aux urgences comme un paquet. L�, personne n'ose s'approcher de lui, il prend �a pour du respect, on appelle le psychiatre de garde et on l'envoie � l'HP la plupart du temps contre son gr�. C'est comme �a, qu'un jour, Sma�l arrive au Vingt-Six au lieu d'atterrir � l'HP. Il aurait peut-�tre pr�f�r�, lui, mais c'est une �poque o� l'HP ne veut plus de lui. Le Vingt-Six, il n'a jamais trouv� �a bien. Ses rep�res y sont tout chamboul�s. Personne ne respecte personne. �a n'est pas ordonn�, pas en r�gle, les infirmiers n'ob�issent pas aux m�decins, et les "pensionnaires", c'est encore pire, ils font ce qu'ils veulent : Comme il n'y a pas de caf�t�ria, on les retrouve toujours au caf� du coin, ils entrent et sortent sans pr�venir, passent m�me des nuits dehors et on ne sait pas o� ils sont, ils prennent leur traitement quand ils ont le temps parce qu'il n'y a pas de distribution � heures fixes. Sma�l ne s'y retrouve plus. L'absence d'ordre immuable l'emp�che de tout pr�voir � l'avance, ce qui forc�ment nuit � ses qualit�s de proph�te et diminue son rendement de conseiller sp�cial du m�decin chef. Et d'ailleurs il n'y a m�me pas de m�decin chef. Bref, Sma�l est de la vielle �cole, le Vingt-Six n'est pas assez classique pour proph�tiser correctement. "M�fie-toi, m�fie-toi, Le petit Sma�l te le dis, tu n'es pas ob�i comme il faut, les infirmiers, ils traitent mal les pensionnaires" ne cesse-t-il de r�p�ter de sa voix de basse noble pleine de tr�molos th��traux. Je suis le sujet de Sma�l, non pas seulement celui de son �trange royaume peupl� d'enfants morts ressuscit�s, mais sujet-cr�ature au service de sa toute puissance. Sma�l fixe les r�les : il se fait d'embl�e Docteur Mabuse de peur d'�tre lui-m�me abus�, poss�d�. Qui peut le plus, peut le moins : en contr�lant l'univers, il contr�le son espace proche et du m�me coup le m�decin qu'il contient. Il y a parfois des rat�s. Des personnages plus ou moins secondaires lui �chappent. Tout ma�tre est contest� aux marges de ses terres : il y a toujours une dissidence � mater, des contrevenants � tancer, des brebis �gar�es � remettre sur le droit chemin. Ne jamais rel�cher la vigilance, se m�fier de tout et de tous, on conna�t ces parano�as de tyrans. Je suis son instrument. Je ne suis que la main qui signe des ordonnances t�l�pathiques. Quand je le conduis en voiture, pour l�accompagner chez sa m�re, par exemple, il t�l�guide mes mouvements sur le volant et c�est lui qui conduit la voiture par la force de sa pens�e. Il ne faut soigner que lui. A tout instant. S'il poss�de son m�decin, c'est plus pour en avoir toujours un pr�s de lui que pour le tenir � distance. D'autres aussi, au plus fort de leur angoisse, disent qu'ils sont psychiatres ou chirurgiens. On dit qu'ils refusent les soins. C'est faux. Ils en veulent trop. La souffrance se retourne en doigt de gant : quand on va encore plus que tr�s mal, il arrive qu'on ne meure pas, il arrive qu'on passe de l'autre c�t� du miroir, on devient m�decin... ou Napol�on. Aujourd'hui je re�ois l'oncle Amar et la m�re de Sma�l. L�oncle Amar vit � El Biar, pr�s d'Alger, deux de ses enfants sont m�decins. On dirait qu'il n'a pas vieilli malgr� tout ce temps, bien propret, ras� de pr�s sous sa toque de mouton. Il reste un homme du peuple mais son fran�ais polic� et surann� a quelque chose de noble. Un c�t� Alg�rie fran�aise qui rassure... C'est un homme bon, un sage. La maman est belle et lisse sous son foulard et ses tatouages. Ses mains sont pos�es sur ses genoux. Elle suit la conversation avec attention mais n'intervient pas. Je ne l'ai jamais entendue dire plus de trois mots en fran�ais. C'est l'oncle qui parle pour elle. Depuis un moment elle a le projet de retourner en Alg�rie, dans sa belle-famille. Bien s�r, elle voudrait emmener Sma�l et Mustapha, pas question qu'elle s'en s�pare. Mais Sma�l se soigne � l'h�pital, comment faire ? L'oncle Amar pose de questions pr�cises sur la maladie et le pronostic, je lui r�ponds avec franchise. J�observe la m�re : elle a tout compris, elle ne sourcille m�me pas. Trois mots suffisent � l'oncle pour tout traduire. Il prend la d�cision : Sma�l serait trop mal soign� s'il retournait maintenant en Alg�rie, surtout avec les �v�nements, il vaut mieux que nous continuions � nous en occuper. Je le pense aussi. La m�re approuve avec un soupir.
Fen�tre sur cour N� 8

De plus en plus fant�matique

06 mars 2003

Histoire de Sma�l (�pisode 2)

La m�re, elle a fait le p�lerinage � La Mecque. On se demande comment elle a pu se le payer, �conomiser sur quoi. C'est peut �tre une bonne action de Rachid ou des deux filles Zachia et Fatima qui ont fait des �tudes, se sont mari�es et ont une bonne vie. On a tous cru qu'elle n'en reviendrait jamais, que Sma�l et Mustapha allaient d�finitivement rester orphelins. Pas seulement parce que c'�tait l'ann�e de cet effroyable accident o� des centaines de p�lerins s'�taient fait �craser dans une bousculade, mais parce qu'elle �tait partie � bout de force, un moment o� Sma�l et Mustapha �taient plus fous que jamais et parce que c'�tait la seule fois o� elle les laissait. Nous nous �tions occup� de notre mieux de Sma�l et de Mustapha en son absence et nous nous �tions pr�par�s � tout. Elle est revenue, apr�s une tr�s longue absence, on n'y croyait plus, on aurait dit un ange du ciel avec sa jolie bouille ronde et ses tatouages sous son fichu blanc. Il fallait voir la joie de Sma�l et sa fiert�, lui qui, comme tous les autres hommes de la famille l'avait toujours trait�e comme une moins que rien. �a lui avait donn� un de ses fameux coups de sagesse qui ne duraient pas mais qui �tait toujours �a de pris. Comme si c'�tait lui, le Hadji. Ils recevaient gravement tous les deux, assis par terre en tailleur sur les tomettes rouges de l'appartement, les femmes du quartier qui leur faisaient les visites respectueuses traditionnelles. Alors, on a � nouveau cru qu'elle allait encore mourir parce que justement elle �tait revenue et que c'�tait la seule chose qui lui restait � faire de mourir, parce qu'elle �tait vraiment tr�s vieille et qu'elle avait presque atteint la saintet�. Mais elle n'est pas morte. Elle a continu� � revenir. Au fond, toutes ces ann�es, on a toujours cru qu'elle allait mourir bient�t parce qu'elle ne pouvait plus continuer � porter toute seule sans jamais se plaindre toute cette famille d�chir�e, parce que ce n'est pas humain, parce qu'elle avait droit � un peu de Paradis. Mais elle ne mourait pas, elle revenait toujours du march�, on la voyait tourner le coin de la rue, avec son cabas � roulettes, avancer en se balan�ant le regard droit devant elle. Elle n'est toujours pas morte. Peut-�tre elle a cent ans, aucun de ses enfants ne conna�t son �ge. C'est Sma�l qui va mourir le premier, le premier de tous apr�s le p�re, d'une forme de cancer du poumon particuli�rement incurable. Depuis qu'il est hospitalis�, elle ne dort plus dans l'appartement aux tomettes rouges o� ils continuent de tous s'entasser, elle dort juste en face de l'h�pital, � Montconseil, chez des cousins, pour �tre plus pr�s de lui. Elle lui rend visite tous les jours. Elle vient se planter en silence devant le lit o� Sma�l la houspille comme il n'a jamais cess� de le faire, elle ne s'assoie jamais et ne sort en soupirant que quand il dort, assomm� par la chimio, sans d�ranger personne.
Fen�tre sur cour N� 7

le fant�me enfin d�masqu�

05 mars 2003

Histoire de Sma�l (�pisode 1) :


La premi�re fois que je suis all� rendre visite � Sma�l, je ne l'ai pas vu. C'�tait dans le vieux temps des Mozards, vers le milieu des ann�es soixante-dix, en hiver. C'�tait � Soisy sur Seine, en pleine ville. Leur maison, on aurait dit un squat. D'ailleurs, on allait la vendre, le propri�taire les chassait. Il y avait une grille rouill�e, un jardin aux mauvaises herbes gel�es, une pi�ce nue avec un brasero. Les fr�res de Sma�l y jetaient des bouts de planches ou de meubles cass�s, le visage ferm�. Les fen�tres �taient ouvertes � cause de la fum�e. Il faisait froid, le brasero ne servait pas � grand chose. Rachid m'impressionnait, il �tait jeune et violent. Il portait un blouson de moto en cuir �lim�, il avait d�j� la voix �raill�e. Mohamed s'agitait comme un d�ment pour attiser le brasero. Les fr�res parlaient arabe, ils faisaient comme si nous n'�tions pas l�. La m�re se tenait � l'�cart. Elle �tait silencieuse, elle ne faisait rien pour une fois, elle se chauffait de loin. Le p�re �tait mort depuis longtemps. Il avait eu sa crise cardiaque. Zachia et Fatima, les deux jeunes s�urs, n'�taient pas l�, elles avaient compris comment sauver leurs peaux. Il y avait Mustapha, le jumeau de Sma�l en folie, mais Mustapha, c�est le fou sage, celui qui se tait, subit sans rien dire, pas loin de sa m�re, alors que Sma�l est le fou hurlant, celui par qui le scandale arrive toujours. Amar n'�tait pas encore n�. Rachid n��tait pas encore mari�. Il nous parla, il dit : "Sma�l, on n'en veut plus, il est irr�cup�rable, vous n'avez qu'� le piquer. Comme un chien � Et il se tut. Sma�l, dans une chambre � l'�tage se pelait de froid et ne voulait pas descendre. La m�re s'excusait. Elle portait sur son visage rond toute la mis�re du monde. Quand je vis Sma�l, c'�tait quelques ann�es plus tard, aux Mozards. A cette �poque l�, il faisait de longs et fr�quents s�jours � l'h�pital psychiatrique. Il avait de longs cheveux boucl�s et portait des pantalons patte d��l�phant � carreaux beiges et gris, r�cup�r�s. Il proph�tisait au cours d'une r�union soignants-soign�s. Mustapha ne faisait pas partie de l'assistance morne et muette. C'est tout ce dont je me souviens de la jeunesse de Sma�l. �a pourrait �tre un r�ve. Je n'ai pas connu le caf� � Soisy, la p�riode de gloire dont parlait toujours Sma�l, celle o� le p�re r�gnait derri�re le bar, sur la famille, les clients et la communaut�. Sma�l disait qu'il �tait dur et juste. Il avait r�pudi� la m�re une premi�re fois et l'avait reprise quand l'autre femme �tait morte. Elle �tait revenue sans rien dire et s'�tait remise au travail. Puis le p�re est mort � son tour et la famille a tout perdu. Rachid est juste devenu un petit chef de bande avec Mohamed pour lieutenant et a continu� de traiter la m�re comme le p�re. Maintenant, Rachid est un p�p�. Il est chauve. Je ne sais pas s'il est compl�tement rang� des barri�res. On dirait un cave, en pyjama ray� bleu ciel et blanc et petites lunettes de la S�cu dans le service de pneumo de l'h�pital o� il se fait soigner pour l'asthme. Mohamed aussi, on le voit � l'h�pital, mais aux urgences, quand des copains de gal�re l'accompagnent pour se faire d�cuiter. Il m'interpelle, en souvenir d'un vieux temps pas si bon que �a, o�, apprenti dealer, il avait re�u dans une rixe un coup de rasoir en pleine figure. Il a gard� longtemps une cicatrice qui rayait son visage de haut en bas. Maintenant, elle s'estompe. Il ne joue plus les ca�ds. La prison l'a lamin�. Il ne se drogue plus, il boit. �a avilit encore plus s�rement. Il y a quelques ann�es, son neveu Amar, le neveu de Sma�l et le fils de Rachid, celui qui jouait sous la table quand nous venions voir Sma�l dans le nouveau taudis que la famille a habit� plus tard � Corbeil, m'a s�v�rement agress�. Pour rien. Je n'ai du mon salut qu'� la fuite. Je n'y suis jamais retourn�. Je me dis qu'Amar, il doit avoir dans les vingt-deux vingt-trois ans maintenant, il en avait seize � l'�poque, depuis longtemps les �ducateurs ont baiss� les bras, un jour il tuera quelqu'un, peut-�tre.
Petite pr�cision technique : bien que dans l'ensemble BLOGGER soit un logiciel assez convenable, pratique et tout, il lui arrive de se comporter comme un cochon. Par exemple, il enregistre les archives exactement quand il veut, c'est � dire au petit bonheur ! Il a mang� les archives de novembre 2002 et f�vrier 2003. J'ai donc du cr�er une nouvelle rubrique en LCD les ARCHIVES BIS o� je renvoie � la main (admirez la performance !) sur mes propres archives. Je sais, vous n'y comprenez rien, moi non plus, mais �a marche, ne me demandez pas comment...

Deuxi�me petite pr�cision technique : comme je vous l'a�i plusieurs fois rappel� (notamment le 25 aout 2002) Les premiers seront les derniers. C'est � dire que, quand vous lisez les textes ici mis en ligne, les plus r�cent s'inscrive au-dessus des plus anciens, comme des strates successives. Le texte � �pisodes qui va suivre (donc pr�c�der, h� h�, vous me suivez ?) se lit en quelque sorte � l'envers : Il se terminera par le d�but. Mais, n'ayez crainte c'est tr�s facile � suivre.

04 mars 2003

Fen�tre sur cour N� 6

ma vie int�reure, en quelque sorte

03 mars 2003

Pens�e de la nuit N� 10 : "Je me suis si bien habitu� � ne pas lire que je ne lis m�me pas ce qui me tombe sous les yeux par hasard. Ce n'est pas facile : on apprend � lire tout petit, et toute une vie on reste esclave de ces trucs �crits qui vous tombent sous les yeux. J'ai peut-�tre du faire un certain effort, les premiers temps pour apprendre � ne pas lire, mais maintenant cela me vient tout naturellement. Le secret est de ne pas �viter de regarder les motds �crits, au contraire : il faut les regarder fixement jusqu'� ce qu'ils disparaissent." Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver


Nature morte, aux deux pieds vivants, mais en chaussettes (noires).
pr�hibernoluthidolichospasmes : sanglots longs des violons de l'automne, ph�nom�ne m�t�omusical aux propri�t�s hom�oan�micardiomutilatoires, d�crit pour la premi�re fois par Verlaine en 1866 (via "XYLOGLOTTE", �videmment)
Nature, morte encore, mais, cette fois, aux deux pieds vivants.

02 mars 2003

Je me souviens qu'on nous distribuait, une fois par semaine, � l'�cole communale, du Viandox dans des quarts en alu, on faisait la queue dans le pr�au ; je me souviens que le Viandox, un jour, a �t� remplac� par du Banania chaud (ou l'inverse). Je me souviens aussi des timbres anti tuberculeux. Les deux souvenirs arrivent toujours ensemble.
La p�che n'est pas tr�s bonne sur le web, ces derniers temps, ne trouvez vous pas ? (ou alors est-ce mon humeur ?). Pour cette nuit, voici ce que j'ai trouv� : c'est pratique, original, gratuit et � l'heure !. Que demander d'autre ?

01 mars 2003

Pens�e de la nuit N� 9 : "Il y a la lumi�re, tout autour, la lumi�re du soir. Le soleil te prend sur le c�t�, quand c'est comme �a, c'est une mani�re plus douce, les ombres se couchent d�mesur�ment, c'est une mani�re qui a, en quelque sorte quelque chose d'affectueux - ce qui explique peut-�tre comment il se fait qu'en g�n�ral, il est plus facile de se croire bon, le soir - alors qu'� midi, on pourrait presque assasiner, ou pire : avoir l'id�e d'assassiner, ou pire : s'apercevoir qu'on serait capable d'avoir l'id�e d'assasiner, ou pire : se faire assassiner." Alessandro Baricco, chateau de la col�re