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29 avril 2007

Pour Nathan (private joke...)





(via l'excellente livraison du mois de mai de "Geisha Asobi")
Un haïku par bain, 47


Cinq grains de cristal
Poussent au bout de mes doigts
Sans se concerter

25 avril 2007

Vieux lieux pieux (...), 8



Le 111 boulevard Saint Michel est un bel immeuble. J'y ai vu s'installer, enfant, dans le courant des années soixante, le service culturel de l'ambassade de la République Arabe Unie, qui est, depuis la fin des rêves grandioses du président Nasser, redevenue l'ambassade d'Egypte. C'est un vaste espace au rez de chaussée à la devanture dorée et largement vitrée, mais teintée qui abrite des expositions d'art égyptien, surtout contemporain mais parfois antique, aussi, qu'on ne peut pas voir de la rue. Entre deux vitrines, qui n'ont pas été refaites depuis les années soixante-dix, il y a un vrai bas relief de marbre, figurant une inscription hiéroglyphique, comme il se doit. On y organise des vernissages le soir, assez selects, et des débats littéraires ou politiques. Ces diverses manifestations sont assez discrètement annoncées par de petites affiches raffinées placardées sur la porte d'entée et les vitrines. C'est un lieu public : j'ai bien dû pousser la porte une ou deux fois pour jeter un œil sur des toiles abstraites ou sur des exercices de calligraphie moderne. Mais, peut-être à tort, je n'y suis jamais revenu. Cela ressemble plutôt à une galerie privée comme on en voit rue de Seine ou rue Mazarine, avec une jeune fille pâle, l'air de s'ennuyer à cent sous de l'heure, très peu accueillante, assise derrière une table de verre fumé avec un téléphone design qui téléphone à une copine ou recopie des listes d'invités avec toute la lenteur requise, qui ne vous dit ni bonjour ni au revoir ni même ne semble vous accorder aucune attention. Au fond, c'est un service d'ambassade peu dynamique, replié sur son quant à soi, ses petites habitudes et ses petits privilèges, coupé de toute éternité de la vie d'un quartier qui n'en possède pas beaucoup et qui n'est pas décidé à lui en apporter la moindre. L'immeuble date de 1909, comme en témoigne la signature de ses deux architectes, Roset et Boillats, au-dessus de l'atelier de coiffure JEAN LAUNAY dont la devanture de laque vert sombre date, elle, des années soixante-dix et n'a jamais changé depuis les heures de gloire de son fondateur et propriétaire. Le mobilier et magnifiquement moderniste et désuet. Jean Launay lui-même continue d'officier aux peignes et aux ciseaux avec acharnement. Il a au moins quatre-vingts ans, Il est d'une laideur légendaire, il a des cheveux longs et raides comme des baguettes, teints en noir corbeau, qui le rendent encore plus sévère et inquiétant. Il mourra très certainement à la tâche, comme Molière sur son fauteuil. On le voit, à travers la vitrine, qu'il pleuve ou qu'il vente, matin, après midi et soir de nocturne - mais n'est-ce pas tous les soirs nocturne ? - toujours en proie aux tourments de la création, mais toujours inspiré, le geste aussi assuré que celui de Praxitèle, donner le coup de ciseaux qui change tout, le coup de brosse sublime, la dernière touche de génie à la très élégante coiffure de bourgeoises qui ont à peu près son âge et qui ont du être glorieuses il y a cinquante ans. Il est assisté dans son office par de diaphanes apprenties toutes vêtues de noir et ostensiblement attentives et admiratives. On ne vient pas se faire coiffer chez Jean Launay. On vient s'y faire portraiturer, se donner à un maître pour qu'il fasse de vous un objet d'art, on vient à la messe. Mais les jeunes filles aux cheveux de lin ne passent plus par le haut du boulevard Saint Michel. Depuis longtemps, plus près de la Seine, les Magnatis et autre Jean Louis David ont créé leurs empires franchisés. C'est comme un salon de coiffure fantôme, mis en scène par un brin de sadisme à la Polanski, comme un atelier d'embaumeur raffiné avec ses vielles momies figées sous des casques intergalactiques. Le 113, qui abrite la petite agence de voyages "WASTEELS" (spécialisées dans les trajets Paris-Bruxelles ?) est un immeuble parisien banal, le premier à la façade en mauvais état et sur lequel il n'y a pas grand chose à dire. Passons. On passera, donc, non sans se souvenir du restaurant universitaire "halal" qui se trouvait derrière la porte, qui a fonctionné dans une relative discrétion, y compris pendant la guerre d'Algérie, jusque dans le début des années quatre-vingts. On n'y mangeait pas plus mal qu'à Censier, il n'était pas réservé aux musulmans, j'y suis allé une fois ou deux avec ma carte du CROUS, à l'époque. Il m'en reste une vague image : celle de gobelets en plastiques en guise de verres sur des tables en formica pas desservies.



Le service (pas le centre) culturel de l'ambassade d'Egypte n'a, comme prévu, pas changé d'un iota. Vu de dehors tout du moins. Une fois de plus les vitres teintées m'ont découragé d'y entrer. Une affichette, identique à celles d'il y a cinq ans invite cependant à une exposition. On peut y lire, sous la reproduction de deux tableaux figurant des objets et un paysage, "Hamed Dalam Hazeb, plasticité égyptienne". Sans plus d'enthousiasme. L'atelier JEAN LAUNAY a été remplacé, très certainement depuis la mort de son fondateur en plein effort à la tâche, les ciseaux et le peigne à la main, par un autre coiffeur au nom japonais ou africain ou peut-être thaïlandais, AZOUMI, qui propose en lettres assez lisibles sur la vitrine des "massages par captitude.com", tecnhique probablement dernier cri dont le me demande ce qu'elle à à voir avec la coupe en brosse. l'officine "WASTEELS" est fidèle au poste, inespérément identique à elle même. On passe toujours. Le porche par où on gagnait le restaurant universitaire hallal ne semble pas avoir été ouvert depuis la dernière fois. Je n'avais pas mentionné à sa gauche un grand tableau représentant un girafe sur un fond arc en ciel signé MOSKO et ASSOCIES

21 avril 2007

Un homme, vers onze heures du soir, sort de sa maison avec son chien. Tout est désert, mais pas silencieux. Il y a le vacarme de la rivière. Juste avant le large pont qui sert de place du village, à l’endroit exact où les deux torrents, gonflés par la fonte des neiges, confluent en un seul dans une trombe d’enfer, la route qui monte entrelacée à la rivière depuis Sarp tout en bas de la vallée, se dédouble pour continuer de s’entremêler à chacun des deux bras vers Sost au Nord Ouest et Ferrère au Nord Est. Du côté de Sost, c’est le bout du monde : la route s’arrête, elle bute sur la montagne et se perd dans les estives. De l’autre côté, après avoir dépassé Ferrère, elle continue de suivre le torrent devenu ruisseau et se hisse en quelques lacets jusqu’au col de Balès d’où elle peut, depuis peu, continuer à vivre autrement que sous la forme d’un sentier de muletier et redescendre sur la vallée d’Oeil où la vue sur le massif de la Maladetta est imprenable. Un peu plus loin dans le village, alors que le bruit de l’eau s’estompe presque tout à fait, sous la lumière orangée des lanternes les modestes ruelles prennent des allures de décor d’Opéra. Il pense à l’Italie, allez savoir pourquoi, à cause de l’Opéra, probablement, et des décors de théâtre. C’est Bergame, bien plus majestueuse évidemment mais silencieuse et déserte elle aussi, perchée au sommet de sa colline, où il s’est promené à la même heure il y a plus de trente ans, qui lui revient en mémoire. Précédé du chien qui n’en sait rien et se rue sur les odeurs en tirant sur sa laisse comme un malade, il gagne la petite place en triangle que ménagent une ou deux maison, le parvis de l’église et un bout de mur du château et où ses pas se mettent à résonner. Une source s’écoule tranquillement dans une auge de pierre. Malgré la modestie absolue des lieux et l’absence totale de tout décor baroque, les deux petits cyprès qui flanquent joliment l’entrée de l’église le ramènent encore au souvenir incongru de Bergame et de son enfilade de piazzettas nocturnes. De jour, rien dans ce paysage simplement campagnard n’aurait évoqué la ville italienne. Mais à cette heure, l’apparition soudaine d’Arlequin au détour d’un muret, le fixant d’un regard complice, l’index tendu sur les lèvres closes, implorant son silence ne l’étonnerait pas plus que cela. C’est à cause de la nuit, de la douceur de l’air, de la tonalité irréelle de la lumière, de l’écho de ses pas et de celui du bruissement de la source, de l’heureuse harmonie des lieux, à cause d’il ne sait trop quoi. Le souvenir de la nuit bergamasque, venu du fond des temps, maintenant armé de ses détails les plus précis (une petite Fiat garée seule dans une rue vide, une vasque en forme de coquille s’égouttant près d’un porche) se superpose au paysage qu’il a sous les yeux. Son esprit se met à sauter de l’un à l’autre comme le chien court après les odeurs sans suite qui l’affolent. Voilà qu’il se met lui aussi à divaguer. La mémoire et la vie s’entrelacent comme les vers des sonnets de Gongora, se dit-il, comme les bras mêmes des amoureux que chantent ces sonnets et comme la rivière et la route auxquelles il vient de penser. Après la promenade, l’homme et le chien retournent dans leur maison au bord du torrent. Ils s’installent pour la nuit. Le chien couché en rond devant la porte d’entrée et l’homme, à l’étage, assis à son bureau, dans la chambre où sommeille sa compagne, devant le rectangle de lumière froide que diffuse sans rien éclairer son ordinateur portable. Il tape les quelques lignes qu’on vient de lire.


13 avril 2007

Une semaine de vancances bien méritées. Ciscoblog vous retrouvera en pleine forme le jour des élections !
Vieux lieux pieux (...), 7



Sur la place « de la Quinine » s’abouche une sortie de la station du RER Luxembourg. Dans les temps préhistoriques qu’il m’arrive d’évoquer, cette sortie n’existait pas, bien sûr. D’ailleurs le RER lui-même n’existait pas : c’était la ligne dite « de Sceaux », tentacule unique de la pieuvre métropolitaine qui envoyait ses rames, allez savoir pourquoi, jusqu’à Orsay et l’entrée de la vallée de chevreuse. Je me souviens que nous l’empruntions, avec ma classe, en rang par deux, pour nous rendre au « Plein Air » sur le stade d’Antony au-delà de Bagneux et de Bourg-la-Reine. Il y avait aussi, à la station Laplace, celui du fameux démon, la sortie pour la « maison des examens », où j’ai passé le CPEM ( le bac, je l’ai passé à celle de la rue de l’abbé de l’Epée, l’internat dans une salle de la Mutualité, et l’assistanat à la porte de Versailles, à moins que ce ne soit l’inverse.) En sortant du métro vous pouvez acheter Libé ou le Monde à un kiosque à journaux qui a toujours été là, lui, mais qui vient d’être refait dans le plus pur style « mobilier urbain » de Jacques Decaux. Entre la fontaine et l’immeuble qui borde la place à l’Est dont je vais bientôt parler se situe une sorte de monstruosité architecturale, un furoncle, une soit-disant oeuvre d’art vaguement néoclassique destinée à masquer les aérations du métro, faite de pierre de taille et de grillages qui ne masque rien du tout et ne fait qu’exagérer une laideur qui, sans elle, serait peut-être passée inaperçue, offrant de surcroît des bancs ridicules installés apparemment pour jouir surtout de la pollution qui émane du sous-sol. Nous ne nous y installerons donc pas pour admirer le majestueux immeuble du 103. C’est l’ancien siège de la librairie « Armand Colin ». Il y a trente ans vous pouviez encore y acheter vos livres de classe, mais depuis longtemps les éditeurs, même riches, ont déménagé en banlieue, ils ne peuvent plus s’offrit un tel luxe, réservé maintenant aux chaînes de télé ou aux laboratoires pharmaceutiques, du côté du périphérique avec la tour de TF1 et l’immeuble de Canal Plus. Il reste un immeuble de « prestige », abritant des sociétés financières internationales dont le nom est connu des seuls initiés. N’empêche, il a fière allure avec ses décorations de stuc, ses têtes couronnées de laurier et aux barbes fleuries posées au sommet des colonnes qui délimitent des croisées immenses aux étages et les vitrines maintenant aveugles du rez de chaussée. Le 105 est l’extrémité d’un immeuble qui appartient en fait au 20 de la rue de l’Abbé de l'Epée. A son sommet se dresse une splendide coupole recouverte de tuiles d’ardoise avec des ouvertures en forme d’œils-de-bœuf ouvragées. Les balcons allient des délires de pierre et de fer forgé que n’aurait peut-être pas reniés Gaudi lui-même, il fait pendant aux non moins magnifiques immeubles de la rue Auguste Comte, à coupoles et dentelles de pierre eux aussi, qui font face aux serres du Luxembourg, mais qui sont ici hors sujet puisqu’ils sont du côté des numéros pairs. Le rez de chaussée du 105 est occupé par la boutique « vidéo sphère » qui est un commerce assez indéfinissable, à la fois papeterie, gadgeterie loueur de cassettes vidéos, et surtout vendeur de collections très complètes de figurines en plastique très appréciées des enfants : Série de Zorros, d’Astérix, de schtroumfs, de toutes sortes de films de Walt Disney et j’en passe. Il semble me souvenir qu’un tapissier l’avait précédée jusqu’à la fin des années soixante dix, mais je n’ai pas gardé de souvenir de son atelier. Sur les pierres de taille, de part et d’autre de l’entrée de la boutique, les nom des maîtres d’œuvre : H.Ragache. Architecte. 1910. P.Bourseau. Constructeur. 1910. Au-dessus des bacs remplis de vidéos d’occasion, encore une plaque commémorative : « Ici, le 25 août 1944, Raymond Bonnand, FFI du XVème régiment est mort pour la France à l’age de dix neuf ans. » Puis, il faut traverser la rue de l’Abbé de l’Epée, longer un tout petit bout du mur de l’institut des sourds-muets, traverser la rue Henri Barbusse dans le passage clouté avant de reprendre pied sur la berge du boulevard, qui, dieu merci, reprend son cours normal. Le café « le Luco » fait office de figure de proue. Plutôt sans enthousiasme jusqu’à ces dernières années, à vrai dire. Il était resté assez petit bourgeois et conventionnel, avec des patrons étriqués et toujours ronchons qui n’aimaient manifestement pas leur métier ou avaient autre chose à faire que de faire prospérer leur entreprise et qui de toute façon n'ont jamais rien compris au quartier. Il n’attirait ni les étudiants, qui se font à vrai dire plus rares à cette hauteur, ni les touristes qui ne viennent pas se perdre souvent en ces confins du quartier latin. Bref, c’était un café parisien, que je ne dédaignais pas pour son calme relatif et y réviser à la va vite les partiels du lendemain, mais pas du tout un endroit branché comme on dirait de nos jours. C’est en train de changer : la salle a été égayée, les nouveaux patrons, plus entreprenants ont rajeuni la carte du midi et installé une terrasse au soleil, où les bobos (bourgeois-bohèmes, précisé-je au cas ou cette expression très à la mode dans les années deux mille n'aurait plus court quand on exhumera ces manuscrits) du quartier peuvent prendre un café face à « la quinine » et bronzer quand il fait beau. C’est loin encore d’être le Flore ou le Rostand, Mais c’est déjà ça. « Le Luco » occupe le rez de chaussée du 107. Tout le reste de l’immeuble est l’hôtel « Observatoire-Luxembourg » : demi-luxe de bon aloi, air conditionné, trois étoiles, lauriers et thuyas dans des bacs devant l’entrée, vitres fumées au rez de chaussée, belle porte cossue donnant sur une entrée où l’on distingue un beau lustre art déco, quartier central et calme. La façade n’a aucun intérêt. C’est un ancien immeuble « de rapport », sans style. De même que le 109. Au-dessus d’une porte à un battant tout à fait modeste subsiste encore la petite plaque émaillée datant de la fin du XIXeme siècle affirmant qu’on trouve « eau et gaz à tous les étages » et qui me fait toujours penser, allez savoir pourquoi, à une chanson paillarde. Au rez de chaussée, le magasin de maroquinerie « Peau d’Âne » occupe le trottoir avec des portants chargés de sacs. Il a remplacé depuis longtemps un miroitier dont je n’ai plus que de vagues souvenirs. Depuis le temps, la maroquinière est devenue une copine de ma mère qui habite à dix numéros soit cinq immeubles plus loin. On se rapproche.

12 avril 2007

Graveur sur melon : voilà un métier qu'il est kitch !

09 avril 2007

Un haïku par bain, 46


Visite du chat :
De la queue qu'il tient en l'air
Seul le bout dépasse.

05 avril 2007

VITRINE
Vieux lieux pieux (...), 6



Si on file la métaphore physiologique, cette vielle catachrèse qui utilise la circulation sanguine, comparant la ville à un corps gorgé de sang, véhicule de tous les bienfaits pour ses habitants, si donc on convient de donner à notre boulevard préféré l’appellation d’artère, alors la Place Louis Marin en serait comme un anévrysme voire, un angiome, puisque, pour toujours filer la métaphore, la région se trouve fortement vascularisée : C’est le point de confluence, sur le trajet de notre boulevard, de la rue de l’Abbé de l’Epée, qui vient de l’Est, bien perpendiculairement, de la rue Henri Barbusse, qui vient du Sud, comme à rebours, beaucoup plus parallèlement, qui remonte le cours du boulevard sur un trajet de trois cent mètres, délimitant sur sa rive Est, celle qui nous intéresse, non pas un pâté de maison, un block, comme on dit à New York, mais une ligne, une file de maisons, un contre quai, comme à Honfleur ou à Sauzon ( Belle Île en Mer), de la rue Auguste Comte, qui déboule de l’Ouest, partie de la rue d’Assas et vient heurter la place de plein fouet, y perdant son nom, du coup, en la traversant, puisque de l’autre côté, de philosophe et positiviste qu’elle était jusque là elle devient ecclésiastique et protectrice des sourds et muets. Mais, je l’ai déjà dit, nous n’appelions pas cette place la place Louis Marin, d’ailleurs je ne sais pas si elle portait un nom avant la mort du Marin en question (survenue, comme nous l’avons lu quelques quinze pages plus haut sur une plaque commémorative, en 1960, donc largement après mes dix ans), nous l’appelions la place de « la Quinine ». Chacun sait que la quinine, extraite de l’écorce du quinquina est souveraine contre les accès palustres. Mais je dois avouer que « la Quinine », pour moi, est tout autre chose qu’un vulgaire alcaloïde : « la Quinine », c’est comme « la belle Otero » ou « la Fornarina » ou encore « la Claudia Cardinale ». Car « La Quinine » est une femme. Une superbe femme de marbre allongée sur un piédestal en marbre de trois mètres de haut. Elle est toute nue. Un linge, qui ne voile que ses cheveux, lui ceint, impudiquement pourrait-on dire, le front et non les hanches. Signe, probablement, qu’elle est malade, mais bien belle tout de même, puisque à cause de sa maladie ou plutôt grâce à elle, en proie à une horrible migraine, elle a oublié d’enfiler sa chemise de nuit et nous offre toutes les merveilles de son corps languide. De plus, pour bien nous montrer qu’elle a vraiment mal au crâne, et autre chose à penser que de couvrir sa nudité, elle renverse la tête en arrière, drapant ainsi de son voile une partie du socle, et se tient le front d’un avant bras, justifiant ainsi son impudeur, alors que l’autre bras, accoudé sur le socle, permet à son buste, ainsi légèrement relevé, de faire la symétrie avec ses jambes a demi fléchies. « La quinine », allégorie de la souffrance et de la maladie, chouette, les allégories sont toujours de femmes nues, a toujours été pour nous comme une balise, un fanal, un point de ralliement reconnaissable de loin, quand nous revenions de nos promenades, signe que la maison et le bon goûter n’étaient plus très loin (de même, le Lion de Belfort, place Denfert Rochereau, nous a servi longtemps à marquer l’entrée de notre territoire, le dimanche soir, après les embouteillages sur l’autoroute du Sud qu’on appelait pas encore l’autoroute A6.) « La Quinine », donc, qui a nourri certaines de mes rêveries érotiques au début des années soixante, s’alanguit au centre de la place Louis Marin, au sommet d’un parallélépipède dressé qui fait aussi office de fontaine double, l’eau s’écoulant par deux fontaines à la forme des serpents entremêlés du caducée situées sur chacune des faces étroites du grand bloc de marbre blanc, surmontées l’une et l’autre des profils en bronze de chacun des deux inventeurs du médicament antipaludéen, Caventou et Pelletier ( Professeurs à l’Ecole de Pharmacie, 1795 –1877 et 1798 –1842). Malgré le fait que l’eau était – et est toujours - recueillie dans deux petits bassins minables, toujours plus ou moins obstrués de divers détritus, peaux de bananes ou sacs en plastiques, et en dépit de leur sens de l’hygiène réputé aigu, nous y avons toujours vu des touristes scandinaves, allemandes ou américaines s’y rafraîchir le visage avant d’aller rendre leur vélo de location hollandais au marchand de cycles un peu plus haut sur le boulevard et même étancher leur soif. cela nous donnait délicieusement à imaginer qu’on aurait pu bientôt les retrouver elles-mêmes, dans leurs chambrettes de la cité universitaire, toutes nues sur leurs lits, se tenant le front en proie aux affres de la maladie tropicale que « la Quinine », contagieuse comme elle était, n’aurait pas manqué de leur refiler par le truchement des sournois serpents qui lui servaient, sous prétexte de fontaines, à évacuer les miasmes dont elle était infestée (jamais n’avons nous osé nous- mêmes y tremper le bout de nos lèvres, même assoiffés par nos courses les plus folles.) Sur la face la plus large du socle, on peut lire ces nobles lignes : « L’an 1820, les pharmaciens Pelletier et Caventou firent la découverte de la quinine. Par leur précieuse découverte, par leur désintéressement, ils ont mérité le titre de bienfaiteurs de l’humanité. » Pour savoir qui est l’auteur de cet inoubliable monument, il faut faire au moins deux fois le tour de l’édifice. On finit par dénicher une signature, tout en haut, juste sous le voile qui pend le long du socle : Poisson Pierre, S.C. Bravo et merci, encore merci ! On doit à la vérité de dire qu’au moment où j’écris ces lignes, l’érotisme un peu pervers et kitsch de notre belle malade vient d’être encore aggravé du fait de la pose, par je ne sais quel tagueur impertinent, d’un soutien gorge peint en blanc à même ses seins marmoréens, la transformant pour un peu en une vulgaire et valétudinaire preneuse de bain de soleil ou même en bonne sœur de films pornos softs. Honte à lui.

02 avril 2007

Pensée de la nuit N° 117 et 118

Il en va ainsi de la vérité : depuis toujours elle est connue de tous et de tous elle est sans cesse oubliée. C'est pourquoi elle demande perpetuellement à être redécouverte. Et elle ne peut l'être qu'à titre personnel puisque la révélation qui la concerne ne prend jamais d'autre forme que celle d'une expérience. C'est à dire : d'une épreuve. Philippe Forest.Tous les enfants sauf un. Gallimard

J'écris toujours afin de pouvoir cesser de le faire. Mais je n'y parviens pas. Philippe Forest Philippe Forest. Tous les enfants sauf un. Gallimard